Le vin et les nazis : à lire et à entendre sans modération

Ce week-end, au Café des bourrus de France Bleu Bourgogne, l’historien Christophe Lucand parle de son ouvrage Le vin et la guerre et traite sans tabou de la Bourgogne viticole au plus fort de la Seconde Guerre mondiale. Il le détaille plus longuement dans le nouveau Bourgogne Magazine : il n’y eut pas que des belles histoires, sur la Côte…

Historien et politique (il est le président de la nouvelle communauté de commune des Pays des Nuits et de Gevrey), Christophe Lucand vient de publier un ouvrage qui fera date sur l’histoire de nos Côtes pendant la Seconde Guerre mondiale. Le vin et la guerre, sorti début mars aux Éditions Armand Colin, est le fruit d’une méticuleuse reconstitution du puzzle de la Bourgogne viticole sous l’Occupation, rendue possible grâce à la connaissance très pointue de l’auteur sur le sujet et des sources inédites.

Au bout du compte, il y eut bien des résistants parmi les vignerons de la Côte. Encore heureux. Ce fut le cas du Groupe Vinicole de Résistance Commerciale (GVRC), créé en décembre 1944 à Beaune. Après la guerre, fiers, ses adhérents ont même fait écrire « maison n’ayant pas travaillé avec les « boches » pendant l’occupation » ou « pas une seule goutte de vin vendue aux Allemands durant la guerre » sur les étiquettes de leurs nectars.
Dans le même temps, d’autres ont préféré fermer les yeux, ou carrément se livrer à une collaboration plus ou moins voyante. Et d’arroser les soirées de l’ennemi ou le… dîner d’adieu d’un délégué du Reich, organisé et payé par la chambre syndicale du commerce des vins de l’époque, en pleine déroute nazie.

Rendez-vous est pris : Christophe Lucand racontera un bout de cette histoire pas toujours glorieuse au Café des bourrus (samedi et dimanche de 12h08 à 12h28), sur France Bleu Bourgogne.


Officiers allemands posant fièrement devant la pancarte nuitonne, le 22 juin 1940 © collection de Christophe Lucand

En attendant, vous pouvez jeter un œil attentif à cet article signé de l’historien, extrait du dernier Bourgogne Magazine n°53 : 

Durant les quatre années de guerre et d’occupation qui marquent la France entre 1940 et 1944, le vignoble bourguignon fut l’objet du plus intense pillage de son histoire. Toutes les unités militaires et tous les services allemands y opérèrent des prélèvements massifs de vins, suivant une redoutable planification mise en place en haut-lieu par les autorités nazies afin de ravitailler leur armée et leur population.

Plus de 70 ans après la fin du conflit, au-delà des tabous et de la « belle histoire » qui nous était racontée jusqu’alors, cet ouvrage révèle comment ce précieux butin de guerre fut capté en masse par les nazis. Au terme d’une enquête minutieuse, et à partir d’archives jusqu’alors totalement inexploitées, les tenants et les aboutissant d’une redoutable machine de prélèvement ont enfin pu être connus. Son efficacité était simple. Elle reposait sur la soumission de l’État de Vichy, avec la complicité de très nombreux professionnels, vignerons, négociants, intermédiaires véreux et courtiers sans scrupules, motivés par une cupidité sans bornes. Au-delà du « mythe de la Grande Vadrouille » et des récits plus ou moins fictifs rapportant le courage supposé de certains, la réalité apparaît souvent sous des traits beaucoup moins glorieux.

Vendre à tout prix

En juin 1940, au moment où les troupes allemandes déferlent sur la Bourgogne, on se bouscule déjà dans les vignobles de l’Yonne, de l’Auxerrois et du Chablisien, puis plus au sud, au cœur de la prestigieuse Côte bourguignonne. Relayées par les représentants des bureaux d’intendance allemande, nombre d’unités militaires opèrent des achats massifs de vins en direct à la propriété. Dans des domaines à moitié désertés, vidés parfois par l’exode et la mobilisation, les vignerons et négociants restés sur place vendent souvent tout ce qu’ils peuvent et à n’importe quel prix. Cette effervescence, après des années de disette commerciale, s’explique par l’incroyable pouvoir d’achat des troupes allemandes. Car c’est bien là l’instrument principal du pillage : l’achat, toujours plus cher et sans compter, par des soldats qui paient le plus souvent en bons d’achats d’occupation ou en francs, grâce à la très forte dévaluation de la monnaie française et au tribut de guerre que le pays est condamné à payer à son vainqueur. Ce sont des centaines de millions de francs-or qui sont dus chaque jour au Reich allemand, sous forme de créances révisables qui ruinent le pays mais enrichissent tous ceux qui se prêtent aux énormes exigences de l’occupant nazi !

Dans la Côte bourguignonne, de nombreux professionnels participent à ces ventes incontrôlées, opérées presque toujours sans factures ni déclarations. Parmi eux, les négociants Marius et Raoul Clerget, placés à la tête de la maison Les Grands Crus de Bourgogne à Pommard, comprennent l’aubaine qu’un tel événement constitue pour leurs affaires. L’établissement, en situation de faillite larvée depuis des années, exploite alors la vague sans précédent des ventes sauvages en faveur des troupes de passage. Partout, dans les caves du vignoble bourguignon, les uniformes vert-de-gris raflent tout…

[ La suite dans Bourgogne Magazine #53 (avril-mai-juin)
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