Adieu Bouboule !

Nous apprenons aujourd’hui le décès d’une figure de Dijon. Roger Soulier, dit « Bouboule », s’est éteint le 8 mars dernier à l’âge de 79 ans. En janvier 2013, Dijon-Beaune Mag lui avait consacré un portrait, que nous souhaitons partager ici en guise de dernier hommage.

Roger Soulier, dit «Bouboule», posant dans la cage d’escalier de son foyer avec des objets chers à son cœur : le portrait de ses parents, sa carte d’ancien combattant d’Algérie, les coupes et maillots de ses courses à pied. (photo © Jean-Luc Petit)
Roger Soulier, dit «Bouboule», posant dans la cage d’escalier de son foyer avec des objets chers à son cœur : le portrait de ses parents, sa carte d’ancien combattant d’Algérie, les coupes et maillots de ses courses à pied. (photo © Jean-Luc Petit)

Dans la petite chambre de son foyer, toute une vie rassemblée. Une vie pas toujours facile, mais toujours prise par le bon bout. Une vie de peine et de labeur, droite et digne malgré les coups tordus. Une vie qui n’oublie pas pour autant les petites joies, les canons entre copains, la danse au son de l’accordéon et la course à pied. Portrait d’un drôle de zèbre.
Par Geoffroy Morhain

Une vie humble et admirable, celle de Roger Soulier, 76 ans, figure tutélaire du quartier Monge où, de Chez Tonio à L’Univers, sous le sobriquet de « Bouboule » (un surnom qu’il n’apprécie guère bien qu’il ne fasse nullement référence à ses rondeurs ni à sa petite taille, mais aux terrains de boules où tout jeune il accompagnait son père), tout le monde connaît sa dégaine bonhomme et son œil malin, sa gentillesse parfois abusée et sa légendaire facilité à pousser la chansonnette après quelques verres.
Derrière la « vedette du quartier », se cache pourtant une « personne du troisième âge » sensible et émouvante, qui malgré les coups du sort ne se laisse jamais abattre. Un « vieux » qui prend la vie du bon côté, se satisfait du peu qu’il a, sans jamais se plaindre ni tomber dans l’ornière du misérabilisme social. Toujours prêt à participer et à faire la fête, à la chorale comme au club Théâtre, ne ratant jamais un thé dansant ni une course à pied (à 76 balais, le père Soulier chausse encore volontiers les baskets malgré des débuts tardifs)… Certains « tamalous » feraient bien d’en prendre de la graine.

Roi de l’opérette de comptoir

Roger nous reçoit tout sourire dans sa chambre du foyer de la Manutention : 15 mètres carrés entre lit et TV, rayonnages dégoulinants de babioles, chaise en plastique et canevas fleuri. Certains ne sont là que de passage, lui y est installé depuis 16 ans déjà et y finira probablement ses jours. Des jours à 17 euros, le montant de sa retraite, intégralement versée au foyer qui, en contrepartie, le loge, le blanchit, le nourrit, le chérit aussi parfois tant sa seule famille est ici… «En fait, je ne manque de rien, j’suis pas malheureux », résume-t-il avec philosophie. Sous-entendu, certains sont bien plus à plaindre… Sur les murs, affichettes, photos et autres papiers punaisés sont un peu comme une BD qui nous parle de lui. Trônant au centre de la seule mini-table basse de la pièce, un grand portrait jauni de son beau-père et de sa mère chérie « partie il y a 20 ans d’un cancer qui l’a laissée à 30 kg ».
De son vrai père, lui qui ne l’a jamais été conserve religieusement un diplôme encadré au creux d’une pile de vêtements : sous des palmes très académiques, on y découvre un titre d’« agent non spécialisé » au lycée Hyppolite-Fontaine, un poste d’aide-cuisinier en fait que Roger reprendra, à l’occasion de remplacements dans un premier temps. A 18 ans, le service national l’appelle alors en Algérie (nous sommes en 1956) : une parenthèse de 27 mois (au lieu des 18 réglementaires, « événements » obligent) inoubliable dans la vie du p’tiot Dijonnais de l’Arquebuse, comme le rappelle la photocopie couleur de sa carte d’ancien combattant fixée sur un autre mur. A son retour, il reprendra la place de son père pendant une quinzaine d’années avant de faire la plonge dans les meilleurs établissements dijonnais, de La Cloche au Central pour finir aux OEnophiles.
Ailleurs encore, sur de vieilles photos d’Instamatic, c’est Bouboule le pitre qui s’affiche, grimé et perruqué, entraînant sa cavalière sur une piste de danse… C’est que le Roger, faut pas trop le pousser pour faire la gigue, lui le pote de Jamait et Fernandez, le roi de l’opérette de comptoir. Une autre facette du personnage, celui qui a placardé à côté de sa petite télé le calendrier des sorties organisées par la Ville pour le troisième âge afin de ne pas manquer un thé dansant. Et de ne jamais oublier de demander à l’accordéoniste de service une affichette dédicacée qui trouvera bonne place sur les murs de sa chambre… Des murs également décorés de nombreuses coupes et médailles, témoins de la dernière marotte de notre papi : course du Bien Public, Foulées du lac, 10 km de Nuits, au parc de la Colombière avec le maillot rose d’Odyssea (en faveur de la lutte contre le cancer du sein) ou à Saint-Apollinaire avec un dossard des Foulées épleumiennes… Depuis 2005, Roger s’est soudain découvert une passion pour la course à pied, même s’il arrive souvent dernier. Juste pour l’ambiance, le plaisir d’être avec les autres, d’entendre le public le soutenir et finir sous les applaudissements une casquette à la main. Juste pour vérifier que « les gens me connaissent et m’aiment bien ». Difficile de faire autrement avec ce genre de zèbre.