Bienvenue dans le monde fabuleux de la musique mécanique de « Monsieur Paul »

Le célèbre Paul Bocuse fut le parrain du Festival de musique mécanique de Dijon (du 25 au 27 septembre 2015). Bienvenue dans le monde fabuleux de ces véritables orchestres en armoire et carton perforé bichonnés par Monsieur Paul.

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Crédit photo ©Jean-Luc Petit

Par Geoffroy Morhain – Photos : Jean-Luc Petit

Bonne chère rime avec limonaire. Et ce n’est sûrement pas un hasard si, parmi les rares collectionneurs de ces orgues de foire, on trouve plusieurs grands chefs cuisiniers ou vignerons. De feu Jean Ducloux (Le Greuze à Tournus) à Georges Dubœuf (le Hameau du vin à Romanèche-Thorins), les limonaires fanfaronnent encore dans le sud de la Bourgogne. En poursuivant la Saône vers le sud, c’est un certain Bocuse qui continue à faire vivre ces orchestres mécaniques dans une abbaye de Collonges dédiée à la fête plus qu’à la prière.

Là même où sa grand-mère tenait une guinguette, la pièce maîtresse de la collection de « Monsieur Paul » – un imposant orgue Gaudin de 1900 équivalant à 110 musiciens – continue à réjouir les convives des réceptions organisées ici – noces, banquet, escale touristique de groupe ou séminaires d’entreprise. Ceux qui sont déjà allé à l’abbaye de Collonges le savent : le lieu est un mélange de styles assez baroque, une sorte de Disneyland gastronomico-touristique élevé à la gloire de Monsieur Paul et à la mémoire des racines familiales, qu’on découvre selon un rituel bien établi.

Esprit guinguette es-tu là ?

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Crédit photo ©Jean-Luc Petit

A Collonges-au-Mont-d’Or, à une dizaine de kilomètres au nord de Lyon et quelques centaines de mètres de la célèbre auberge verte et rouge du Pont de Collonges (69), le restaurant gastronomique le plus capé de France (3 étoiles Michelin depuis 1965), l’abbaye a été aménagée par Paul Bocuse, à l’endroit même où la grand-mère Bocuse tenait auberge dans cette ferme autrefois exploitée par les moines de l’île Barbe. Des moines, il reste le nom, ainsi qu’un morceau de pseudo-cloître reconstitué à l’entrée. De la grand-mère, il reste la cuisine-musée, une petite pièce plus ou moins dans son jus, encombrée d’objets d’époque, relique garante des racines paysannes du maître-queux, qui porte solennellement l’inscription « Ma grand-mère Marie Bocuse utilisa cette cuisine jusqu’en 1924 », en lettres capitales sur le manteau d’une cheminée supposée authentique.

Au mur, la photo en noir-et-blanc de la modeste guinguette des bords de Saône côtoie les photos encadrées du fiston prodige, faisant la une d’un magazine américain ou serrant la paluche aux grands de ce monde ravis par sa cuisine. Dans une extension de l’auberge originelle, le groupe de convives est ensuite conduit dans une première pièce qu’on pourrait dire « de décompression » : une salle à l’atmosphère foraine, celle dite du « Petit limonaire », où un « simple » orgue Limonaire 52 touches à carton fait office d’entrée en matière. Car le gros de la matière se trouve derrière un épais rideau de velours rouge, que le maître de cérémonie écarte en temps voulu avec une expérience consommée de la mise en scène, sous les cuivres et les flonflons assourdissants des 110 musiciens qui se réveillent en même temps.

110 musiciens dans buffet étincelant

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Crédit photo ©Jean-Luc Petit

Gardé par deux dragons orientaux ramenés du Japon par le chef, le « Grand Limonaire » flamboie sur tout un pan de la vaste salle de banquet, imposant et merveilleux à la fois. Un instrument d’exception, qui a retrouvé une vie digne de son rang et fascine d’autant plus qu’on connaît son histoire mouvementée: commandé après la guerre de 14-18 par un certain monsieur Grolière, négociant en bois et en vin, l’orgue de foire anime les bals du dancing du Breuil près de Thiers (63) jusqu’en 1940.

A cette époque, craignant l’invasion allemande, le propriétaire fait emmurer l’instrument qui remplace alors nos sonos actuelles. Il y restera jusqu’en 1966, année de sa redécouverte par trois passionnés de musique mécanique, à savoir le facteur d’orgues Marc Fournier (son fils Christian continue à entretenir l’orgue avec amour de nos jours), l’organiste Paul Eynard et le chef Paul Bocuse. Le premier mettra quatre ans pour ramener l’orgue à la vie ; le second lui donnera un répertoire en éditant des airs prestigieux sur cartons perforés ; le troisième l’accueillera dans sa grande salle de réception. Installé d’abord sur une petite estrade, l’orgue sera ensuite positionné plus en hauteur pour permettre au son de mieux emplir toute la salle et lui donner encore plus de majesté. Des niches supplémentaires seront construites de manière à lui faire occuper la totalité du pan de mur, et des automates installés au deuxième niveau.

Rapidement, l’orgue Gaudin de Monsieur Paul est devenue la star de son abbaye de Collonges. On vient ici plus pour lui et la magie des lieux que pour la cuisine à proprement parler. Il est vrai qu’avec ses 12 notes de basse et ses trombones sur registre, ses 12 notes d’accompagnement, ses 23 notes de chant réparties en 11 registres (violon piano, violon forte, flûte zinc, ocarina, clarinette, piston, métallophone, bugara, unda maris, carillon, tremolo), ses 20 notes de contrechant sur 6 registres (cello, cello grave, flûte naturelle, baryton, violon céleste, bourdon céleste), son jeu de percussion complet avec wood-block et triangle… Il fallait un chef d’orchestre comme Bocuse pour pouvoir mener tout ce petit monde à la baguette.

Les orgues mécaniques

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Crédit photo ©Jean-Luc Petit

Comment ça marche ?

La différence fondamentale entre les orgues de foire (ou limonaires) et les orgues de Barbarie tient surtout à leur taille, mais aussi à la complexité des dispositifs qui les composent, cependant tous deux sont des orgues mécaniques. Certains des premiers peuvent être portés en bandoulière, les seconds atteignent la taille de camions et sont de véritables chefs-d’œuvre d’horlogerie comportant généralement des automates qui bougent au rythme de la musique. Limonaire est en fait le nom d’une grande famille de facteurs d’orgues mécaniques fondée en 1840. C’est par métonymie que le mot « limonaire » est utilisé comme nom générique pour n’importe quel orgue de foire ou de manège : Gavioli, Marenghi, Gaudin, Mortier… Schématiquement, il se compose d’une « boîte à vent » munie d’un système de soufflet, et d’un ensemble de mécanismes destinés à amener l’air jusqu’aux tuyaux qui produisent le son. Ces mécanismes sont commandés par un organe mobile qui comporte la mélodie : cylindre, disque, carton perforé ou, désormais, programme informatique sur clé USB.

Festival de Musique mécanique de Dijon

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Tournez jeunesse !

Tous les trois ans en septembre a lieu le plus important festival de musique mécanique d’Europe à Dijon, organisé par l’association Dijcolorg. Diverses animations vous sont proposées dans plusieurs endroits de la ville : expositions, concerts, bals… Venus de toute l’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Hollande, Suisse, Italie, Grande-Bretagne, Slovénie, Hongrie…), quelque 200 orgues mécaniques en tout genre viennent enchanter le cœur de la capitale des ducs de Bourgogne durant une bonne semaine. La 9e édition du festival aura lieu du 19 au 27 septembre 2015 (avec le point fort les samedi 26 et dimanche 27 septembre 2015).

* Tél. : 03.80.73.47.40 – [email protected]http://dijcolorg.free.fr