Notre caddie de courses, grand perdant de la crise ? L’avis de Benoit Willot (Super U)

Benoit Willot dirige deux enseignes Super U en région dijonnaise et préside Système U Est. Cette crise révèle en lui la solidarité de l’humain au travail, tout en montrant ses limites face à la consommation de masse. En point de mire de ces contradictions, la baisse du pouvoir d’achat.

Par Dominique Bruillot

Depuis le début de cette année singulière, il préside Système U Est, l’une des quatre super-régions du groupe, qui couvre 220 magasins et un volume d’affaires représentant le cinquième de l’enseigne. Mais une super région au cœur de la pandémie.

Benoit Willot, faut-il le rappeler, est aussi un militant de l’entreprise. Le toujours président de la CPME Bourgogne-Franche-Comté navigue donc entre la grande distribution à un niveau stratégique, le sort des TPE/PME dans une dimension syndicale suprarégionale et la gestion locale de ses propres supermarchés, à Arc-sur-Tille et Sennecey-lès-Dijon. Autant dire que son point de vue n’est pas du genre confiné.

Chez Super U, 6 fruits et légumes à prix coûtant

La plongée dans un monde nouveau a été immédiate. « Le groupe avait anticipé la situation, mais on a quand même été débordés. L’annonce du confinement a été brutale et, les premiers jours, une vague incroyable de clients a désorganisé la chaîne. » Il y a deux mois déjà, Dominique Schelcher annonçait le paiement comptant des TPE et PME agroalimentaires qui fournissent l’enseigne dont il est le président, dont ceux qui fabriquent la marque U. « Selon les observateurs, Super U est dans le top 10 des meilleurs payeurs, cela a déjà sauvé des boîtes », rebondit Benoit Willot.

« Nous avons bloqué les prix de 5 000 produits de marque distributeurs et proposé six fruits et légumes par jour à prix coûtant. »

Il y aurait donc comme une forme d’éthique dans le secteur pourtant si sauvage de la GMS. Confirmation immédiate.  « Nous avons bloqué les prix de 5 000 produits de marque distributeurs et, dans le même temps, pour écouler au mieux la production française, proposé six fruits et légumes par jour à prix coûtant ». En ce moment, c’est aubergine, radis, laitue, pommes de terre charlotte, tomate cerise…

Subitement, la gestion des ressources humaines devient un art à sa façon : « Tout de suite, il a fallu procéder au filtrage à l’entrée et mettre le personnel dans les meilleures conditions possibles. Nous n’avons pas fait appel à des agents de sécurité pour accueillir les gens mais à des collaborateurs volontaires. » Une situation qui suscite les précautions d’usage :  lingettes offertes au client pour le nettoyage de la barre du caddie, lavage systématique des mains et un sourire. Pour les caissières, le masque évidemment, les « blouses jetables, quand j’en avais ».

Benoit Willot et ses équipes du Super U tiennent bon la barre malgré un contexte sans précédent « L’annonce du confinement a été brutale et, les premiers jours, une vague incroyable de clients a désorganisé la chaîne. » © Foxaep

Une explosion de légumes

L’imagination est aussi au rendez-vous. « J’ai été épaté par la réactivité de nos amis de Publistick (ndlr, spécialiste de la signalétique basé à Sennecey-lès-Dijon) qui ont installé en un temps record des plexis de protection », s’étonne encore le patron des deux supermarchés côte-d’oriens.

Il faut composer avec une réalité nouvelle. Après la ruée sur le papier toilette, le petit monde confiné a opté pour des « produits attendus » de consommation courante, bien loin de nos rêves de circuits courts. Les produits traditionnels sont français par obligation, encouragés par la fermeture des frontières et la limitation des déplacements, donc plus chers à vendre parce que plus chers à produire. Quant à lui, « traumatisé » par le choc viral, le consommateur confiné se déplace, en majorité, en troupe pour consommer de l’industriel qui rassure. Courage, fuyons.

« Tous accomplissent leur mission avec cœur, on a même décidé d’un crédit d’heures entre nous. »

Du coup, les flux clients sont en dessous de la normale, mais le chiffre d’affaires, loin de l’hystérie collective de la mi-mars, est « flat » comme on dit. La boucherie se maintient bien et le rayon des légumes explose. Signe d’un retour noble aux fourneaux, qui alimente autant les réseaux sociaux que des bouches pleines d’envie et d’ennui face à l’isolement.

Le personnel, lui, est comme les autres. Il peut être malade ou avoir à composer avec sa vie familiale, ses enfants scotchés à la maison. D’où un absentéisme auquel la grande distribution n’échappe pas, que compensent des modifications d’horaires elles-mêmes destinées à ne pas mettre les salariés au contact des clients lorsqu’il faut remplir les rayons. Et justifie d’autant plus la fermeture dominicale, dans une période où, à l’échelle des deux établissements de Benoit Willot, « les charges fixes grimpent de 20 000 à 25 000 euros dans le mois ».

Le panier du consommateur après Covid-19 sera chamboulé, notamment par la guerre des prix que risquent de se livrer les enseignes de GMS. ©D.R.

La guerre des GMS

Le chef d’entreprise ne peut s’empêcher d’y voir quelque chose de bien. « L’atmosphère de travail est géniale, la solidarité est là, l’entente entre les salariés et les cadres est super. Ils accomplissent leur mission avec cœur, on a même décidé d’un crédit d’heures entre nous. » Peut-être faut-il y voir un juste retour des choses. « Dans ces moments-là, le management que tu as pu avoir avant, soit tu le gagnes, soit on te le rend en retour. »

Plus rien ne sera donc comme avant, on est en droit de le croire. Le baisse du pouvoir d’achat est à prévoir. Il y aura « un énorme trou dans le budget de l’État, des trous dans les budgets des ménages ». Une guerre féroce des prix entre les chaînes du secteur GMS est à craindre, par forcément au bénéfice de la qualité.

« Nous le savons : rien ne marche mieux que lorsqu’on est au plus près de l’objet. »

Il faudra aussi rassurer. « Je suis mandaté par Super U en tant que patron du commerce pour repenser notre stratégie, revoir nos rayons traditionnels et favoriser le consommer français », confie Benoit Willot. Il va aussi falloir rétablir la confiance en l’acte d’achat. Avec une note d’espoir malgré tout, celle « d’une belle évolution des mentalités vers de la solidarité, la défense du made in France et de la proximité. Nous le savons : rien ne marche mieux que lorsqu’on est au plus près de l’objet ». Cette fois c’est sûr, le consommateur de l’après Covid-19 ne sera plus le même.


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