Demain vu par la CCI Côte-d’Or

Le monde consulaire est en ébullition permanente. Dijon-Beaune Mag a donc demandé à la direction de la CCI Côte-d’Or, président et directrice générale compris, d’imaginer ce que sera selon elle notre environnement économique en 2040. Autant dire que ça bout sous la marmite, mais avec quand même un certain optimisme. Réponses en 17 points.

Propos recueillis par Dominique Bruillot
Pour Dijon-Beaune Mag #70
Photos : Jean-Luc Petit, sauf mention contraire

Tout au-dessus de la pyramide consulaire, un président, Xavier Mirepoix et une directrice générale, Delphine Still. Puis vient l’étage des cadres qui, signe des temps et des regroupements opérés (et à venir), assument leurs compétences au-delà du seul territoire départemental.
Trois d’entre eux évoluent à la fois sur la Saône-et-Loire et la Côte-d’Or : Michel Caradot, directeur marketing ; Christelle Dupont, directrice de l’entreprenariat, en charge de la reprise et de la transmission des entreprises ; Séverine Delidais, « directrice de développement des hommes » (emploi et formation). Dernier acteur de ce casting très complémentaire, Gilles Durand, directeur du développement des territoires pour la Côte-d’Or.
Comme dans un jeu de rôles, Dijon-Beaune Mag leur a envoyé, de manière totalement aléatoire, 17 questions portant sur leur vision de notre environnement économique en 2040. À chacun alors de choisir les thèmes sur lesquels il se sent à l’aise. Au bout du compte, à la CCI Côte-d’Or c’est comme chez les mousquetaires : un pour tous, tout pour un. Avec une pointe d’optimisme.

 DELPHINE STILL 

Où sera la frontière entre public et privé dans ce monde de services ?
On peut espérer qu’elle soit la plus mince possible. Car l’objectif est le même pour tous : faire avancer l’économie et donc travailler ensemble dans un élan collectif. 2040 devrait voir de nouvelles gouvernances émerger, qui associeront sur des mêmes projets des compétences publiques et des compétences privées, ce qui permettra de maintenir une ambition de service public tout en adoptant une logique de résultats, qui guide le fonctionnement du secteur privé.

Le travail est de moins en moins sacré. Qu’en sera-t-il plus tard ?
C’est vrai, au regard de la manière dont nous l’avons considéré jusqu’à maintenant. Mais il s’agit plutôt d’une évolution. Tout le monde revendique le droit au travail, mais « à sa façon ». On le constate avec l’émergence aux affaires des « millénials », voire de la génération des post-millénials qui est née avec internet et un portable dans le berceau. La valeur travail reste un axe fondateur du développement personnel. C’est aux écoles, à qui revient la préparation au travail des futurs collaborateurs, et aux entreprises de s’y adapter. Et surtout d’apprendre à partager, à construire ensemble un projet, à s’enrichir des approches différentes des uns et des autres.

Quid de Pagny en 2040 ?
Grâce à l’achèvement en 2040 du canal Rhin-Rhône, Pagny (la plateforme portuaire est gérée à ce jour par la CCI de Saône-et-Loire) sera le numéro 1 en France des centres logistiques de transport multimodal rail/route/fluvial, avec une politique environnementale exemplaire que le monde nous enviera !

 XAVIER MIREPOIX 

Quid du monde consulaire en 2040 ?
Il va beaucoup évoluer ! De quatre choses l’une : il sera regroupé entre les chambres d’agriculture, celles des métiers et de l’artisanat et celles de commerce et d’industrie ; il sera privatisé sur la majeure partie de ses activités actuelles ; il sera au service de l’État ; il deviendra le service économique des collectivités locales. Bref, de nombreuses options sont sur la table. Ce qui est sûr c’est que notre réseau, qui a plus de 400 ans, a déjà beaucoup évolué et s’est adapté au fil des époques. Cette évolution se poursuivra dans les années à venir, nous nous y préparons.

Croyez-vous en un retour à la case patrimoine pour le chef d’entreprise ?
Le patrimoine du chef d’entreprise est indissociable de son engagement d’entrepreneur. Les entreprises doivent rester dans la famille et le rapport au capital doit être incarné par son dirigeant. Il sera nécessaire de favoriser les successions familiales dans les entreprises. Après un modèle de réussite sociale qui passe par la rupture et l’éloignement de la famille et de son patrimoine ou son héritage professionnel (boutique, hôtel, restaurant, petite industrie en milieu rural…), nous pouvons revenir vers une valorisation de ce patrimoine, plus local et mieux incarné dans son environnement. Le chef d’entreprise patrimoniale sera alors salué dans sa reprise et son investissement pour maintenir ce patrimoine, le faire évoluer et s’engager socialement sur son territoire.

 MICHEL CARADOT 

Serons-nous en tout point les toutous du tout numérique ?
Le numérique sera totalement incarné dans nos vies privées et professionnelles en 2040, des vies hyperconnectées. Certains parlent de symbiotique, c’est-à-dire la symbiose entre la biologie, le numérique et l’électronique. Nous avons beaucoup à y gagner en termes de santé, de sécurité, de productivité… mais il faudra garder la maîtrise de ces technologies et veiller à préserver nos relations sociales. Par ailleurs, pour que le numérique fasse progresser le développement et la gestion de nos entreprises, il faudra que les futurs dirigeants le maîtrisent : il faut d’ici là commencer par former les enseignants et les jeunes à cette révolution numérique et à ses impacts.

Sommes-nous les victimes désignées de la surinformation ?
On ne peut pas se plaindre d’avoir accès à l’information. L’enjeu dans les années futures est la fiabilité de cette masse d’information et notre capacité à la traiter, notamment par les algorithmes, et à l’interpréter. Car dans l’entreprise, avoir la bonne information au bon moment permettra toujours de prendre la bonne décision. Ce qui est à craindre, c’est un phénomène de rétrécissement des sources d’information, voire leur manipulation pure et simple. Certaines personnes ne s’informent déjà plus aujourd’hui qu’à travers les réseaux sociaux, qui regroupent le pire et le meilleur, sans plus d’appétence pour les articles de fond, les points de vue contradictoires et les critiques constructives. Sans parler de la course au scoop ou à l’audimat, dont on pourrait débattre aussi…

La conscience environnementale sera-t-elle si importante qu’elle prétend le devenir ?
Avons-nous le choix ? Tous les indicateurs sont au rouge, les ressources naturelles s’épuisent, les abeilles, les oiseaux et les vers de terre disparaissent, la pollution de l’air est partout, un vortex de plastique grand comme la France empoisonne la flore marine de l’océan atlantique et la fonte de la banquise entrainera une accélération du dérèglement climatique. Imaginons 2040 à ce rythme ! On parle là de survie pour les générations à venir. Bien sûr, le monde a besoin de l’économie, de la production, de la distribution et de la consommation, mais cela doit se faire dans le respect de notre environnement. C’est déjà une grande préoccupation de notre CCI et nous menons de nombreuses actions pour faire rimer développement économique et préservation du capital nature.

 SÉVERINE DELIDAIS 

Auto-entrepreneur, temps partagé, TPE, réformes fiscales et sociales : est-ce la fin du salariat ?
Pas la fin du salariat, mais les tendances statistiques montrent qu’il y aura plus de personnes indépendantes que de salariés dans les métiers de services. En fait, plusieurs options s’offriront à celui qui travaillera. Il n’y aura pas de schéma unique, mais une adaptation selon la souplesse nécessaire à l’activité et à l’expertise attendue. Il faut que le Droit du travail le permette aussi, et s’adapte. Cette tendance va de pair avec le développement du nomadisme qui permettra aussi à ces « freelanceurs » d’évoluer dans un environnement de travail dématérialisé, hors les murs, grâce au télétravail ou au coworking, aux outils de la mobilité, au cloud, aux objets connectés… et de valoriser ainsi au mieux leurs compétences.

À l’exemple de l’École supérieure de commerce devenue BSB, sommes-nous en présence d’une privatisation programmée de l’enseignement supérieur ?
Cette privatisation, avec le contrôle de l’État, est une perspective. Pour notre part, nous devons travailler pour qu’en 2040 le monde de l’Éducation et celui de l’Entreprise soient totalement associés dans leurs objectifs et dans leurs pratiques. C’est déjà ce qu’offre la formation en alternance, qui permet de préparer un métier et un diplôme, jusqu’à Bac+5. Cette relation entre l’école et l’entreprise sera encore plus forte en 2040. Les entreprises seront les acteurs actifs de la formation des jeunes, pour resserrer le lien entre la culture de l’entreprise, ses besoins et la compétence des jeunes.

Dans ce monde de dématérialisation, où en sera l’humain ?
La vie passe par l’humain, mais on peut se poser la question de sa place en 2040. Il y a le phénomène de l’Intelligence Artificielle, qui va entrainer des progrès insoupçonnés et remplacer non seulement des tâches physiques, mais aussi intellectuelles. On parle aussi de « statut juridique » des robots, qui grâce aux algorithmes et au big data, seront dotés d’une forme d’intelligence et pourront prendre des décisions sans instructions préalables. Tout cela pose question, bien sûr. En 2040, l’humain pourra se concentrer sur l’imagination, les inventions, la créativité, l’innovation, à partir de ce qu’il aura récupéré comme informations, mais aussi grâce à son expérience et à sa conscience. Sans oublier ses valeurs morales et éthiques.

 GILLES DURAND 

Réseaux de proximité et mondialisation : une cohabitation pour l’avenir, une opposition ou une complémentarité ?
Cela doit rester une complémentarité, dans une logique d’enrichissement réciproque. On ne peut pas vivre que d’une économie locale, et l’économie mondialisée a ses limites. Plus on élargit le champ du possible professionnellement, plus il faut conserver de la proximité et des points de repère forts. La CCI doit accompagner pour sa part les entreprises dans la proximité (circuits courts, consommation locale, économie collaborative, économie circulaire et de proximité…), mais aussi dans les défis de la mondialisation (exportation, innovation…).

Villes vs. campagnes, la hache de guerre sera-t-elle définitivement enterrée ?
Ce serait souhaitable, la vie est faite de la complémentarité de ces modes. Le phénomène de métropolisation qu’on constate en France actuellement semble signifier toujours plus de de grandes villes et toujours moins de campagne. S’il faut certes éviter l’éparpillement urbain, il ne faut pas non plus faire de nos campagnes de simples lieux de villégiature pour citadins fatigués. Notre pays est constitué d’une mosaïque de paysages et d’un équilibre entre le monde rural et le monde urbain, et cela devrait perdurer. Surtout si le milieu rural bénéfice des infrastructures (haut débit, voies de communication, fablab, co-working) qui permettent à l’économie et à ses habitants de s’y épanouir.

Saurons-nous tout faire de nos petits ordinateurs, serons-nous les producteurs de nos propres ressources ?
On peut imaginer les choses les plus insensées. Grâce aux progrès de l’impression 3D, grâce à la fabrication additive, il est sûrement envisageable qu’en 2040 chaque foyer, ou chaque quartier, soit un petit centre de production pour des produits sur mesure, à l’unité ou en petite série. On sait déjà aujourd’hui imprimer une maison en 3D, ou un bijou en or ! Imaginez dans 20 ans… L’usine du futur évoluera autour de la fabrication additive, ce qui permettra paradoxalement de relocaliser une partie de la production dans nos pays occidentaux.

 CHRISTELLE DUPONT 

Le futur chef d’entreprise sera-t-il encore plus isolé qu’aujourd’hui ?
Rompre l’isolement du chef d’entreprise est déjà une préoccupation quasi quotidienne dans notre action. Il faut surtout qu’il puisse consacrer plus de temps à la réflexion, et non pas rester « la tête dans le guidon », comme ils le disent tous. Il faut donc qu’il s’entoure de conseils avant d’engager son entreprise, qu’il teste en interne ou en externe son idée (évolution produit, évolution client, évolution process, services supports…). Ensuite, il restera toujours celui qui, seul, aura pris la décision. La numérisation de tout un pan de l’économie devrait impliquer aussi plus de temps consacré au conseil et au soutien des chefs d’entreprise. Cela restera notre valeur ajoutée.

Un monde d’hologrammes qui favoriserait les réunions virtuelles serait-il idéal ?
Le travail doit permettre de conserver des relations entre les personnes. Il ne s’agit pas de diffuser un même discours, pour des publics identiques partout en même temps. La richesse des réunions, des ateliers ou des conférences que nous organisons ou auxquelles nous participons tient dans la qualité des échanges, des avis, des interventions de chacun. Par contre, les technologies numériques du type hologramme permettront de multiplier les interventions, de toucher un public plus isolé et plus large, de limiter les déplacements. Pour tout cela, c’est une perspective intéressante.

À quoi servira le service public dans 20 ans ?
À défendre les citoyens et à optimiser la performance et le fonctionnement des entreprises. Mais aussi à réguler les excès entre privatisation totale des services et intervention unique de l’État.  Les missions de services publics aux entreprises devront toujours faciliter l’entreprenariat, soutenir la motivation et l’initiative individuelle qui créent de la richesse, mettre à disposition des équipements ou des services qui n’ont pas forcément vocation à être rentables, tout en maintenant un cap qui vise l’intérêt général.