Festival du film policier de Beaune : Chabrol, le prix d’un anticonformiste

L’homme aux 58 films en 50 ans a transmis son nom et sa singularité
au prix Claude Chabrol, remis lors du Festival international du film policier de Beaune. C’est Jusqu’à la garde, le film quatre fois césarisé de Xavier Legrand, qui le reçoit cette année : un drame familial dans une filiation toute chabrolienne.

Vahina Giocante et Claude Chabrol en 2009, lors de la première édition du Festival du film policier de Beaune. © D.R.

Par Eric Perruchot
Pour DijonBeaune Mag 74

Le Prix Claude Chabrol, qui « récompense chaque année un film français sorti dans l’année écoulée dont les qualités cinématographiques font honneur au genre policier » a été attribué pour la première fois à Beaune, en 2012, lors du Festival international du film policier. Présumé coupable de Vincent Garenq a en été le premier lauréat avec un Philippe Torreton en innocent piégé dans l’affaire d’Outreau. Sages villes de province, rumeurs scabreuses, touffeurs familiales, manipulations, personnages au bord de l’implosion… rien n’est épargné de ces peintures chabroliennes des travers de la société. « J’aime le polar, c’est comme une bouée de sauvetage pour explorer l’humain. On peut y présenter les pièges de l’existence, une énigme, qui est totalement ou partiellement résolue à la fin du film », publie-t-il dans le recueil de ses Pensées, répliques et anecdotes (Éditions Le Cherche-Midi).

Tirs railleurs

De Stéphane Audran dans Le Boucher (avec Jean Yanne) tourné en Périgord noir à la nivernaise Violette Nozière (Isabelle Huppert en empoisonneuse parricide), les personnages sont sous-tension, confinés dans une doucereuse bourgeoisie provinciale. Tout comme dans Le Beau Serge, son premier film policier, où la brutalité de Gérard Blain éclate à Sardent, le village des Chabrol dans la Creuse. Cette veine couve sous les neuf films déjà primés depuis la création du prix (lire encadré). Juste un an après que la bouille ronde de Chabrol nous quitte, à 80 ans, un dimanche, en province précisément. « La création du prix revient à la société de production Public Système qui a voulu rendre hommage à Claude. Il était “président à vie” du Festival du film policier de Cognac – ça l’amusait beaucoup – et le premier président du jury longs métrages quand le festival est venu à Beaune », explique Cécile Maistre-Chabrol, la belle-fille de Claude Chabrol et sa première assistante, auteure du documentaire Chabrol, l’anticonformiste, coproduit par Arte.

D’un bon œil

Rien à voir avec La Cérémonie, un autre de ses chefs-d’œuvre qui porte à son comble la folie meurtrière. « Ça va… On a bien fait ! », lâche Jeanne la postière (Isabelle Huppert) à Sophie la bonne (Sandrine Bonnaire), sur un air du Don Giovanni de Mozart qui couvre le carnage au fusil des Lelièvre. « Une intrusion de la tragédie grecque dans le film policier », aurait pu dire André Malraux. Moraliste capable de transmuer un fait divers en histoire féroce, Chabrol devant ses pairs reste malicieux. « On a vu comment il était imperméable à tout signe de reconnaissance, les récompenses… Tout ça avait peu d’importance à ses yeux », expose l’égérie Isabelle Huppert dans le même documentaire. Dans l’emblématique émission Des chiffres et des lettres, Chabrol pousse la parodie jusqu’à enfiler une récompense inventée – le prix Emmanuel Boulier « à porter lors des réceptions à l’Élysée » (où il n’allait pas), – sous la forme d’un collier de boules bleu, blanc, rouge, vert, jaune… « Pas fan des hommages ni des prix, il a décoché de belles flèches contre certaines compétitions cinématographiques, mais il adorait les petits festivals, comme celui de Beaune. Là, il n’y a pas de course au trophée et il ne voyait pas d’un mauvais œil qu’un prix porte son nom », soutient Cécile Maistre-Chabrol.

Terre de famille

Sous les spots du festival beaunois, Cécile Maistre-Chabrol se fait chaque année « fidèle à l’esprit de Claude » par un discours plein de tendresse et d’humour (ici, en 2018, lors de la remise du prix Chabrol au film Petit Paysan d’Hubert Charuel).

Pour sa 11e édition, le festival déroule le tapis rouge à Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, en grande partie tourné en Bourgogne (lire par ailleurs) et quatre fois primé aux Césars le 22 février dernier. Le jury du prix Claude Chabrol a délibéré bien avant ces consécrations. Encore une manière chabrolienne de se démarquer. Lors de cet événement beaunois, Cécile Maistre-Chabrol se fend d’un discours attendu chaque fois comme un événement. « C’est mon boulot  ! J’essaie d’amuser le public, d’être fidèle à l’esprit de Claude. Sur scène, comme on ne voit rien à cause des spots trop forts, on entend une masse noire qui rit. C’est très plaisant d’entendre une salle rigoler », dit-elle avec la jovialité de son beau-père.
Celle qui se dit « un peu bourguignonne », n’a-t-elle pas de qui tenir ? À Demigny, son propre père, le comédien François Maistre, y est né. Et son grand-père, Aman, fut neveu par alliance de Jacques Copeau et membre de la troupe des Copiaus. C’est dire !

Les 8 prix Claude Chabrol (2012-2019)

Présumé coupable de Vincent Garenq
38 Témoins de Lucas Belvaux et Mains armées de Pierre Jolivet (ex-aequo)
Foxfire – Confessions d’un gang de filles de Laurent Cantet
La Chambre bleue de Mathieu Amalric
Coup de chaud de Raphaël Jacoulot
Diamant noir d’Arthur Harari
Petit Paysan d’Hubert Charuel
Jusqu’à la garde de Xavier Legrand