Florent Colombo, entre le poireau et le fromage

Récemment élevé au rang de chevalier de l’ordre du Mérite agricole, le cuisinier d’Ahuy est récompensé pour ses bons et loyaux services dans l’assiette. Il nous dit pourquoi et comment il croit encore aux vertus « terroiristes » de son métier. Interview entre le « poireau » et le fromage.

Le restaurateur et traiteur Florent Colombo, entre le poireau et le fromage © Jonas Jacquel

Par Dominique Bruillot

Le poireau, tout comme l’oignon ou l’ail, c’est bon pour les os et les artères. Ça peut même freiner les tentations vénéneuses du crabe paraît-il. Le poireau est aussi le surnom malicieusement donné à la médaille de l’ordre du Mérite agricole par des journalistes taquins qui, à une certaine époque, ont voulu stigmatiser « l’étoile médaillée de blanc appendue à un ruban vert » qui symbolise cette Légion d’honneur du labeur et du labour.

Le terroir en circuit court

Louis Pasteur et Jean Rochefort en sont titulaires. Plus récemment, notre marieuse en chef des champs, Karine Le Marchand, les a rejoints. Quoi de plus naturel, la France agricole lui doit tellement au nom du repeuplement de nos campagnes. Appartenir à cette grande famille n’est donc pas une mince fierté pour l’un des plus médiatiques cuisiniers de la place dijonnaise, Florent Colombo, qui a été officiellement distingué en janvier dernier.
Dijon-Beaune Mag s’est donc rendu à Ahuy, sans trop forcer sur la carcasse – le restaurant Colombo est à un rang d’asperges de la rédaction –, pour interroger l’heureux récipiendaire sur le sens qu’il donne à ces honneurs. Soit une interview entre la poire et le fromage, pour ne pas dire entre le poireau et le fromage, à en faire frémir les papilles les plus insensibles.
« D’abord on ne réclame pas ce titre, on le reçoit ! » Oh là, doucement chevalier Florent, c’est quoi au juste ton rapport au terroir ? « Les cuisiniers sont des commerçants qui dépendent de la chambre des métiers tout en étant totalement liés à l’agriculture, rappelle justement l’intéressé. Je ne travaille qu’avec des produits de terroir, en circuit court, d’ailleurs, en ce moment, je ne fais pas de soupe de fruits hors saison, je propose des poires ! »
Caressant affectueusement sa médaille, il se met à penser aux œufs du Gaec du Pontot (Gevrey) qu’il casse volontiers pour la cause de l’esprit meurette, à ces cochons de chez Denis Charles (Thoires, dans le Châtillonnais) qui garnissent ses assiettes, à la douceur du miel du Bourbonnais signé Bordat, aux pommes de terre directement livrées depuis Losne par celui qu’il surnomme « Monsieur Patate ». Au pays du poireau honorifique, la vie se trace dans le sillon de relations sincères, nouées au fil du temps et au rythme des saisons. En témoigne, le jour de notre entretien, la beauté et la vivacité des légumes qui garnissent en bonne disposition une tête de veau aussi ravigotante que la sauce qui l’accompagne.

Non à la 5e gamme

À cette recette de la traçabilité et de la proximité, on ajoute une pincée de signe extérieur d’honnêteté. Comme « faire entrer les gens dans la cuisine si tel est leur désir, car nous ne sommes pas nombreux à le proposer ». Florent Colombo se place en opposition à la pathologie du précuit et du préfabriqué, cette « 5e gamme » qui envahit Dijon et tant d’autres villes.
« Alors que la crise nous ramène à des valeurs essentielles et nous invite à cultiver la fierté de notre métier, d’autres ne se gênent pas pour vendre n’importe quoi à n’importe quel moment, sans jamais rien faire par eux-mêmes », regrette l’artisan. Combien sont-ils au juste à ne pas céder à ce genre de facilité ? 50 % ? 40 % ? 30 % ? Mieux vaut peut-être ne pas trop creuser le sujet, la réponse risquerait de nous indisposer.
Le jardin d’Eden de Florent (merci les madeleines de Proust !), c’est encore le jardin de sa maman. L’ancienne restauratrice de la mythique table dijonnaise que fut L’Étoile, avenue Garibaldi, le fournit en fines herbes et en tomates quand c’est le moment. Telle est la vraie vie d’un cuisinier qui, après avoir traversé des moments plus ou moins difficiles, s’est réconcilié avec les fondamentaux de son métier : le partage et le don de soi.
Signe de la mutation assumée, il n’a pas n’hésité, au passage, à virer de sa façade sa plaque de « Maître restaurateur », la jugeant « galvaudée aujourd’hui ». Ça aussi c’est dit, entre le poireau et le fromage.