François Rebsamen à livre ouvert et en toutes confidences

En toutes confidences est en librairie depuis ce mardi. Au-delà du caractère politique de l’ouvrage, François Rebsamen revient à livre ouvert sur son attachement viscéral à Dijon et le rôle de maire qu’il compare à celui d’un Premier ministre de son territoire. Avec une pensée pour Alain Millot dont le destin a en quelque sorte été lié au sien. Interview spontanée…

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Propos recueillis par Dominique Bruillot et Alexis Cappellaro
Photo : Jean-Luc Petit

En toutes confidences est sorti mardi 8 novembre. Est-ce vital pour un homme politique d’écrire un livre? 

Non, mais cela correspond à un moment où, tirant leçon de mes expériences diverses en tant qu’élu, j’avais envie de faire partager mes analyses. Et surtout de faire connaitre mes propositions pour répondre aux soucis d’une société qui est aujourd’hui dans un état dépressif.

On parle là de dépression économique, ou purement morale ?

C’est la société française qui est dans cet état. D’ailleurs, les chiffres sortis ce matin (ndlr, entretien réalisé jeudi 10 novembre) montrent qu’on n’a jamais créé autant d’emplois depuis 2008. Si vous demandez comment vont les Français individuellement, une majorité dira que tout va bien. En revanche, vous leur posez la même question concernant le pays, ils vous disent qu’il va mal.

Avec le recul, que retenez-vous de votre passage au ministère du travail? 

Que dans un ministère, aussi important soit-il, on reste malgré tout cantonné à ce périmètre ministeriel. On vous le dit en arrivant: vous n’avez pas à vous exprimer sur les sujets des autres ministres. La voilà, la limite de l’action ministérielle. C’est quelque chose de très différent de la vie d’un maire. J’en ai tiré une leçon.

« J’aime la formule de Jean-Pierre Chevènement: quand on est ministre, soit on ferme sa gueule, soit on démissionne. »

On manque donc de liberté quand on est dans un gouvernement?

Oui. J’aime la formule de Jean-Pierre Chevènement: quand on est ministre, soit on ferme sa gueule, soit on démissionne. Je le dis dans mon livre, je n’aurais par exemple jamais porté la loi travail. Peut-être qu’elle n’aurait pas été présentée de cette manière si j’étais resté.

Un président de la République est donc un patron, au sens littéral du terme pour un ministre ?

Oui… j’allais dire des fois un peu malheureusement (sourires). Tous les ministres ont dû se dire cela à un moment de leur carrière.

François Hollande a-t-il été un bon patron ? 

Pour moi, un excellent patron. On aurait bien sûr pu encore faire mieux mais le contexte est peu évident. Certains maux rongent notre société, à commencer par ce déclinisme, cette volonté de noircir le tableau qui fait dire à certains, avec une forme de jouissance, qu’il y a 6 millions de chômeurs en France. Cela m’a amené à faire des propositions car notre pays est confronté à une violence politique -pas encore égale à celles des États-Unis- liée au mode de scrutin. Dans une démocratie, il n’est pas normal qu’à 50,5% on a tout, et à 49,5% on n’a rien. Je propose un scrutin proportionnel pour l’élection des députés, qui s’apparente à un compromis. Je veux ouvrir la possibilité d’une majorité d’idées, pour débloquer et redonner de l’espoir à cette société. Parce que les majorités absolues se succèdent et l’état dépressif demeure. Il y a donc bien un problème de fond. Il empêche les compromis. Je prends souvent l’exemple de l’Allemagne qui, dans un gouvernement de coalition, a instauré le salaire minimum grâce aux socialistes. Et personne ne reviendra dessus.

« S’il n’y avait pas eu le décès d’Alain, je n’aurais pas fait ce livre. Parce que je serais resté au ministère du travail et je ne me serais jamais retrouvé dans cette situation de réflexion sur ma vie politique. »

Vous parlez du fond, mais n’y a-t-il pas aussi un problème de communication?

La communication est extrêmement complexe. Surtout quand on n’a pas la bonne analyse. Les institutions sont aujourd’hui usées jusqu’à la corde. On le voit en ce moment, notre pays se coupe politiquement en trois…

Revenons à nos moutons dijonnais. Quand vous parliez du ministère avec Alain Millot, quelle était la nature de vos échanges ? 

D’abord, je dédie ce livre à Alain. Pour le dire simplement, s’il n’y avait pas eu le décès d’Alain, je n’aurais pas fait ce livre. Parce que je serais resté au ministère du travail et je ne me serais jamais retrouvé dans cette situation de réflexion sur ma vie politique. J’ai convié plusieurs fois Alain au ministère, nos échanges portaient notamment sur l’aspect parfois réducteur du poste de ministre. Quand vous êtes ministre, vous êtes physiquement au ministère. Même si vous voulez être proches des gens, c’est impossible d’être à leur contact directement : vous passez votre journée dans votre bureau à remplir des dossiers, à faire des interventions…

« Aujourd’hui, seuls les maires sont encore appréciés de la population parmi les politiques. Parce qu’ils sont en première ligne, à se faire engueuler… Cette proximité me manquait. »

En fait, on a le sentiment que vous prenez beaucoup plus de plaisir à être maire de Dijon que d’avoir un portefeuille ministériel. C’est pourtant à l’opposé de tout homme politique qui se respecte…

Parce que beaucoup n’ont pas eu la chance comme moi d’être maire d’une grande et belle ville. J’ai eu la confiance des Dijonnais renouvelée deux fois, et largement. J’ai la satisfaction du travail accompli. Je pense que la seule équivalence, c’est d’être Premier ministre. Je ne veux surtout pas dire que j’étais frustré mais, à choisir,  j’aurais préféré être Premier ministre, si vous voulez tout savoir (sourires). J’aime à dire que lorsqu’on est maire, on est premier ministre de sa ville. On aborde tous les sujets: la sécurité, le logement, l’emploi, les entreprises, les transports… Je disais souvent à Alain « profites-en » car on peut couvrir réellement la vie des gens. D’ailleurs, aujourd’hui, seuls les maires sont encore appréciés de la population parmi les politiques. Parce qu’ils sont en première ligne, à se faire engueuler… Cette proximité me manquait.

Diriez-vous que votre expérience au ministère a changé votre regard sur la gestion d’une agglomération comme DIjon? 

Oui. Mes collaborateurs dijonnais m’ont dit que j’allais beaucoup plus vite dans le processus de décision. Cela m’a surpris, mais après réflexion c’était assez juste. Je ne sais pas si c’était bien ou mal, mais je prenais les décisions beaucoup plus rapidement. Etait-ce hâtivement? Je m’interroge, en disant cela. Reste que je ne voulais pas perdre de temps et je sentais que je savais mieux distinguer l’importance de l’essentiel. Cela m’a marqué. Pour le reste, vous êtes vite ramené à la réalité locale. Puis, je n’ai pas pris la grosse tête. J’étais très tranquille. J’aime les gens, j’aime encore prendre ma voiture, aller faire quelques courses, entendre ce qui se dit et, s’il le faut, me faire complimenter ou engueuler. Tout ça manque énormément à un ministre.

Êtes-vous définitivement «accro» à Dijon, ou en avez-vous «gardé sous la pédale» concernant la politique nationale?

J’en ai encore sous la pédale (sourires). Mais sûrement plus pour être ministre. J’ai de grands projets pour Dijon. Par exemple, accroitre énormément l’attractivité et le rayonnement de cette ville à l’international avec la Cité internationale de la gastronomie et des vins.

« Concernant la Cité de la gastronomie et des vins, une présentation des acteurs du cahier des charges sera faite par Eiffage au plus tard dans les trois mois à venir. »

Quand allez-vous dévoiler le contenu culturel de cette Cité? Tout le monde est impatient…

Je les comprends, et je fais des réunions préparatoires pour tout cela. Mais il faut d’abord «purger» les recours de monsieur Bichot (ndlr, Emmanuel Bichot, conseiller municipal de l’opposition) qui nous retardent malheureusement. Cela nous empêche pour l’instant de travailler sur le fond, car chaque acteur du projet veut que ses engagements soient liés à un calendrier. Les gens ne veulent pas investir si tout n’est pas clarifié. Cela dit, une présentation des acteurs du cahier des charges sera faite par Eiffage au plus tard dans les trois mois à venir. Il sera question des engagements pris, et des partenaires prêts à s’investir dans ce grand projet.

Et le statut de métropole… Où en est-on ? 

C’est simple: le Sénat n’en veut pas car il ne reconnait pas le fait urbain. Il ne me surprend pas. Avec des collègues, nous sommes allés les convaincre. Mais même les élus de droite ne sont pas arrivés à convaincre leur collègues du même bord politique siégeant au Sénat. De mon côté, j’ai au moins convaincu les socialistes de voter en faveur du projet, y compris pour des villes de droite.

Vous pensez que c’est une affaire qui va se régler rapidement ?

Oui. Je laisse dire «encore une défaite pour Rebsamen, gnagnagna (sic)». J’ai pris l’habitude d’entendre ça. Mais j’avance sans état d’âme. Il faut que Dijon soit une métropole. Si on n’y arrivait pas, ce serait effectivement un échec. Mais pour l’instant il n’y a pas d’échec, puisque le projet est en cours.

Pour finir, sur votre livre, quels arguments pouvez-vous donner aux Dijonnais à lire En toutes confidences? En dehors du fait qu’il soit signé par le maire de Dijon…

Parce qu’ils ont forcément envie de connaître plus en profondeur ma vision pour notre pays. Même s’ils la connaissent un peu, car je ne manque pas de le rappeler à chaque réunion. Je dirais aussi que c’est un livre agréable à lire. Il est truffé d’anecdotes, il décrit ma vérité et surtout il dit mon amour pour la ville.

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En toutes confidences, Stock. 192p, 18 euros.