La CCI Côte-d’Or veut éviter la déprime des patrons

Trésorerie exsangue, marché en berne, faillite annoncée : le monde économique a ses urgences à traiter. Parmi elles, la fragilité psychologique des patrons, qui voient parfois l’œuvre de leur vie prendre l’eau. La CCI Côte-d’Or Dijon Métropole et son président Xavier Mirepoix sont sur le front.

Xavier Mirepoix, président de la CCI Côte-d’Or depuis 2013, s’apprête à passer la main. Mais il ne veut pas d’une succession dans n’importe quelles conditions. © Jean-Luc Petit

Par Dominique Bruillot

Quand nous l’avions vu la dernière fois, il était encore en « zone libre ». C’était un fameux vendredi 13 du mois de mars. De bonne grâce, après s’être lavé les mains avec du gel hydroalcoolique à l’accueil, il se rendait à l’extérieur pour faire une séance de prise de vue sur un banc du « tram », devant le fier bâtiment consulaire dont nous pensions faire un sujet. Mais l’atmosphère ne se prêtait pas à des approches aussi légères. Une atmosphère bizarre, comme c’est bizarre, qui sentait mauvais le confinement…

Premier de cordée, premier malmené

« Tout s’est emballé très vite depuis, raconte Xavier Mirepoix, mais heureusement, la santé va bien pour moi et nous travaillons de concert avec les autres chambres. Ce n’est pas la peine de réinventer l’eau chaude : des solutions, nous en trouvons tous. Malgré quelques couacs de communication bien compréhensibles dans cette situation d’urgence, notamment au niveau des secteurs du CHR et du tourisme, les accords donnés par les banquiers suivent en général. Il nous faut cependant étudier tous les dossiers au coup par coup et ne rien laisser au hasard. »

« Ensemble, on évite la casse, on épluche toutes les hypothèses pour ne pas encombrer le Tribunal de commerce. »

L’équipe d’accueil de la chambre de commerce et d’industrie est mobilisée, tout comme une cinquantaine de collaborateurs, majoritairement en télétravail. « Le chômage technique n’existe pas chez nous », rappelle le président Mirepoix. En une vingtaine de jours, 400 cas d’entreprise ont été traités. Medef, CPME, Shop in Dijon : chaque organisme est à l’écoute de ses adhérents en difficulté, pour ne pas dire en déroute. « Ensemble, on évite la casse, on épluche toutes les hypothèses pour ne pas encombrer le Tribunal de commerce, y compris le plan de sauvegarde, qui préserve l’activité sans la « publicité » d’un redressement. »

Une analyse interne montre que 47,3% des entreprises qui ont contacté la CCI ont un besoin vital de trésorerie, 28,2% font appel au chômage partiel et 29,5% aux fonds de solidarité. Ce public à la dérive est partagé entre le commerce (31%), l’hôtellerie et la restauration (32%) et le service à la personne (14,1%). Bref, tout le monde en prend plus ou moins pour son grade. Surtout le patron ou la patronne, premier de cordée, donc premier malmené.

Depuis 2007, la CCI Côte-d’Or (CCI de Dijon jusqu’en 2011) est installée juste à côté de l’Auditorium, au cœur du quartier Clemenceau. ©D.R.

Patron dans la détresse

L’origine du mal est culturelle. « On a l’habitude de réglementer au profit de la santé des salariés, ce qui est bien, mais celle du chef d’entreprise, ça fait longtemps qu’on l’a oubliée ! » On ne saurait dire moins. La France est un beau pays, bourré d’initiatives, où l’argent est tabou et qui ne sait pas prendre soin de ses entrepreneurs. Une grande partie de ces derniers ont aujourd’hui le moral dans les chaussettes. Certains sont à deux doigts de la rupture.

Soudain, on se rend compte que ces marathoniens de la TPE et de la PME sont seuls, le nez au vent, face aux vagues les plus fortes de la contradiction et de l’administration. Solitaires de l’économie, ils attisent plus les reproches que la compassion. Après tout, c’est leur choix, se dit-on. Sauf que là, il va bien falloir s’en occuper un peu mieux, surtout si l’on veut remettre les choses en ordre de marche.

« Un dirigeant (…) a besoin d’aide comme les autres, peut-être encore plus que les autres, car c’est toute une vie de travail qui se défile devant lui. »

Sous une marque bannière « Ça va patron ? », un service d’écoute/appui à distance, de professionnels à professionnels, a été élaboré à cet effet, en partenariat avec la Chambre professionnelle du Conseil de Bourgogne (CPCB). Ce service sera mis en place dans les prochains jours. « Tout sujet concernant une problématique économique, administrative, juridique, financière, RH…, continuera bien sûr d’être traité par les conseillers de la CCI Côte-d’Or Dijon Métropole, mais ils seront aussi formés pour détecter les difficultés davantage personnelles du dirigeant. Le but est ensuite de l’orienter vers le CPCB et qu’il bénéficie d’une écoute attentive et du soutien d’un professionnel de l’accompagnement de dirigeant, gratuit et confidentiel. »

Pour aller plus loin, le président de la CCI de Côte-d’Or a même une arme secrète, son ami Olivier Torrès, spécialiste de « l’épuisement professionnel » qui défend avec talent « la santé du dirigeant comme celle d’un sportif de haut niveau ». Il aura un rôle à jouer, lui aussi, quand la compétition économique reprendra ses droits. La CCI s’est associée avec le chercheur pour relayer une grande enquête sur l’état moral et la vigilance entrepreneuriale des chefs d’entreprise.

Paris n’est pas la Bourgogne

Dans la débâcle générale, les CCI ont une opportunité à saisir : la reconquête de leur territoire avec, cela s’impose enfin, la bénédiction de l’État. « J’ai toujours parlé de la décentralisation », soutient Xavier Mirepoix. Tout comme le médecin ou l’infirmière, le routier ou la caissière, le petit patron pourrait redevenir « bankable ». Le monde consulaire devrait l’y aider.

« Je vais laisser la place à quelqu’un d’autre, mais comment motiver un successeur s’il se sent aux ordres du national ? »

Bientôt, il faudra panser les plaies d’une économie dévastée tout en vivant les frontières fermées. L’hôtellerie, la restauration, l’événementiel et le tourisme ne sont donc pas sortis de l’auberge. « Les Asiatiques ne viendront pas, les Américains non plus, il va falloir redécouvrir nous-mêmes la France, redécouvrir notre région », plaide-t-on encore à la chambre de commerce. La prestigieuse Burgundy School of Business, dont la CCI Côte-d’Or est actionnaire majoritaire, donnera l’exemple. Très ancrée sur son territoire, tout en ouvrant ses marchés à l’international, elle devra renforcer son positionnement national.

La crise actuelle a révélé la nécessité d’une action de proximité. La CCI Côte-d’Or Dijon Métropole a été, dès le début de la crise, à la manœuvre pour accompagner les entreprises. « C’est en cela qu’un mandat d’élu de CCI est passionnant ! Si, en tant que chef d’entreprise moi aussi, j’ai pu faire quelque chose, avec les autres élus de la CCI et les collaborateurs, c’est déjà très utile. » Et de conclure que bientôt, les chambres de la Côte-d’Or et de la Saône-et-Loire fusionneront. « Je vais laisser la place à quelqu’un d’autre, annonce le président. Mais comment motiver un successeur s’il se sent aux ordres du national ? L’Homme ne peut se réaliser que parce qu’il est libre ; dans un carcan, il ne se réalise pas. » Paris n’est pas la France et encore moins la Bourgogne, nous voilà prévenus désormais.


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