Margeon, sommelier du monde

GMargeon_002 © CB

Par Dominique Bruillot

Ce Beaunois d’origine dirige la partie vins de la galaxie Ducasse. 28 établissements répartis dans le monde. Fait rassurant, les deux tiers des vins rouges consommés dans ce marché à la fois intime et planétaire, sont des bourgognes rouges. C’est moins vrai côté blancs. Gérard Margeon nous éclaire un peu sur ce point.

Il est, tout comme l’auteur de ces lignes, d’un millésime exceptionnel : 1961. Avec l’avantage d’être né directement aux Hospices de Beaune. Issu d’une famille agricole, pas viticole donc, Gérard Margeon a emprunté le chemin plus large de l’hôtellerie, en passant par l’école hôtelière de Semur-en-Auxois. Au milieu des années 75, on travaillait à l’ancienne. La sommellerie ne faisait pas l’objet d’un enseignement particulier. C’est pourtant lui, Gérard Margeon, qui dirige aujourd’hui la politique des vins de la galaxie Ducasse, avec 28 établissements dans son rayon d’action et près d’une centaine de sommeliers de par le monde. Président de la séance d’automne du Tastevinage, en septembre dernier, il nous a confié sa vision de la Bourgogne. Avec une mention bien pour les rouges.

Comment ressentez-vous l’évolution de la profession de sommelier actuellement ?

Elle a traversé beaucoup d’étapes. Mais l’ultra médiatisation peut avoir des effets pervers sur le long terme, au risque d’aller vers le superficiel. Le message négatif est parfois de dire aux auditeurs: « restez dans votre camp, nous détenons le savoir. » Mon cursus est radicalement différent. Je passe par la porte de derrière. Bourguignon d’éducation bordelaise, j’ai démarré dans les années 80. Un grand monsieur du vin m’a dit alors: « Petit, attends 15 ans avant d’en parler, 30 ans avant d’écrire. 

Il y a une méthode pour cela ?

Oui, être curieux et volontaire, et en forme physique. Passer sereinement de la production nationale à la production européenne puis mondiale. Un sommelier responsable ne doit pas parler trop vite.

Cela dit, la planète c’est votre terrain de jeu désormais, non ?

Je suis dans la galaxie Ducasse depuis 20 ans. Avec une équipe réduite au niveau de l’encadrement, je m’occupe des 28 maisons : gestion des cartes, politique des prix et des achats, « sourcing » de produits dans des pays pas faciles comme Las Vegas ou la Russie, l’Argentine bientôt. Il y a mon fil rouge qui correspond aux besoins de la cuisine d’Alain Ducasse, dans les bistrots comme dans un 3 étoiles. Le chef et moi on n’a pas besoin d’en parler plus que cela, on se connaît maintenant.

Il attend quoi au juste Alain Ducasse ?

Quand j’arrive à Monaco, en 93, j’ai 20 ans de métier derrière moi dans l’Hexagone. Sauf que je ne connais rien à la Méditerranée. Du jour au lendemain, je découvre un univers végétal, où l’extrême iodé domine. Ce sont mes premiers rapports avec l’huile d’olive. Me voyant totalement désemparé, il me donne deux jours. Je revois mes classiques. Je me suis souvenu de ce que mon mentor m’avait appris. Il me parlait d’architecture. Quand tu as une belle maison, demande-toi si la charpente est solide. Le reste est passager. J’ai trouvé les clés.

En dehors de la galaxie, vous abordez comment le vin sur le terrain ?

Je fais du vin en vallée du Rhône, des assemblages pour certaines maisons à titre intellectuel. Mais aussi en Grèce, dans un endroit incroyable. On a planté de la vigne sur l’ile de Tinos, classée à l’Unesco, qui n’a pas vu de vigne depuis la Grèce antique. Les cépages autochtones s’expriment dans un terroir qui est sans doute le plus noble de la planète puisque nous parlons de marbre. J’ai voulu aller voir plus loin. Les sols, la partie culturale, c’est un travail, un labeur. Puis il y a cette espèce de bouton rouge sur lequel il faut appuyer le moment venu.

Tout cela rejoint la mythologie…

Tinos veut dire fils d’Eole. Le vent use, effrite en permanence. On n’a pas le droit de demander quoi que ce soit à l’écosystème, mais je pense qu’on a planté la vigne au bon endroit. Ce qui est la définition même d’un bon vin. Le cépage est un vecteur de communication entre le sol et la bouteille, notamment pour les blancs, je ne veux pas qu’il prenne trop de place. Le reste est accessoire et éphémère. Un grand vin doit reposer sur son équilibre, son architecture. Avec le message de ce qui se passe en dessous, dans le sol.

Quel regard portez-vous sur la Bourgogne ? Tient-elle bien son rang ?

Elle tient sa place pour toujours. Bousculée quelque fois au niveau de ses blancs, jamais au niveau de ses rouges. Le pinot noir est une prise de risque permanente. Je suis un peu moins euphorique avec le chardonnay. Il est galvaudé dans le monde entier. Et la maltraitance du chardonnay peut entrainer une perte d’influence des bourgognes blancs dans le monde.

Cela se traduit comment sur vos cartes ?

Sur 7 000 références, 60 à 65 % des vins rouges vendus dans nos maisons sont des bourgognes. Suivis par la vallée du Rhône. Cela se fait naturellement. J’ai la plus grande brigade de sommeliers pour un groupe privé, 90 personnes dans le monde. Mon travail est de tracer les grandes lignes. Le sommelier de terrain filtre ensuite. J’ai donc intérêt à être convaincant.