Nuits-Saint-Georges, objectif Terre-Lune

De l’astronome Félix Tisserand (1845-1896) à la mission Apollo 15 en passant par l’œuvre de Jules Verne, l’histoire d’amour entre Nuits et la Lune ne date pas d’hier. La cité vigneronne espère bien la prolonger avec une nouvelle cuvée Terre-Lune en quête d’espace.

Le beffroi de Nuits-Saint-Georges © Jean-Baptiste Feldmann

Par Geoffroy Morhain
Pour DBM80

Sur la place du Cratère-Saint-Georges, une pyramide quadrangulaire surmontée d’une sphère céleste porte sur sa face principale le buste de Félix Tisserand, un illustre Nuiton que peu de gens reconnaissent pourtant. 
Né à Nuits-Saint-Georges en 1845, Félix Tisserand est un fils de tonnelier passionné de mathématiques et de géométrie. Ses parents travaillent dur pour lui permettre de faire l’École normale à Paris, où il se découvre une vocation pour l’astronomie. Surnommé « le tonnelier aux étoiles », il travaille à l’observatoire de Toulouse, puis à celui de Paris dont il deviendra directeur en 1892. L’astronome travaille sur l’univers, la théorie des mouvements de la Lune (il publie Les tables de la Lune), l’invariabilité des grands axes des orbites des planètes… Son Traité de mécanique céleste (1889-1896), toujours d’actualité, a été à la base de la conquête spatiale moderne. Dès 1935, le monde de l’astromomie reconnaissant donnera d’ailleurs son nom à un cratère lunaire de 34 km de diamètre et de 2 800 m de profondeur. On peut ainsi dire que c’est en partie grâce aux travaux de Félix Tisserand que les Américains pourront, bien plus tard, marcher sur
la Lune.

La cuvée Terre-Lune dans l’espace

La place du Cratère-Saint-Georges, où trône le monument Tisserand, nous ramène d’ailleurs en ligne directe à la mission Apollo 15. À son bord, le commandant David R. Scott avait été intronisé dans la confrérie des Chevaliers du Tastevin en 1967, puis était revenu au château du Clos de Vougeot en 1969 où les plans de table avaient été particulièrement bien étudiés. L’astronaute américain s’y était retrouvé attablé entre Bernard Barbier, le sénateur-maire de Nuits, et Jean-Jules Verne, arrière-petit-fils de l’auteur de De la Terre à la Lune. Discutant de la fine bouteille de Nuits que Jules Verne avait fait partager à ses voyageurs de l’espace (lire encadré plus bas), les convives imaginent comment ils pourraient passer de la fiction à la réalité. Pas question d’emporter une bouteille, trop lourde et trop fragile, sur la Lune. L’idée d’une étiquette est alors émise. Ni une ni deux, la Ville et le syndicat viticole de Nuits créent avec le millésime 1959 une cuvée Terre-Lune appelée à voyager, dont une étiquette partira dans la poche de l’astronaute David R. Scott.

Au bord du cratère Saint-Georges 

Ainsi, le 31 juillet 1971, Apollo 15 se pose sur la Lune. Les deux pilotes descendent de leur LEM (module lunaire) et montent à bord de leur modulo-jeep rendue célèbre par les télévisions du monde entier. Après avoir parcouru quelques kilomètres, ils s’arrêtent au bord d’un cratère de 2 km de diamètre qu’ils baptiseront Saint-Georges : James Irwin y dépose une page de la Bible, et David Scott une étiquette de la fameuse cuvée Terre-Lune de Nuits-Saint-Georges. Un an plus tard, le commandant Scott sera de retour à Nuits pour inaugurer en grande pompe, en compagnie de l’ambassadeur des États-Unis en France, la place du Cratère-Saint-Georges, non sans une pensée émue pour Félix Tisserand, sans lequel cette belle histoire n’aurait certainement pas vu le jour. 

50 ans plus tard, la cité nuitonne lève à nouveau la tête vers les étoiles et rêve de reconduire une action du même genre. Et espère refaire une nouvelle cuvée Terre-Lune avec un prochain millésime, en espérant que son étiquette pourra à nouveau faire un voyage de haut vol. Pourquoi pas lors de la prochaine mission de Thomas Pesquet, intronisé chevalier du Tastevin en juin 2018 lors d’un mémorable chapitre de l’Espace, d’ici un ou deux ans ? Affaire à suivre…   


Quand Jules Verne trinque au nuits

Dans son roman Autour de la Lune (1869), suite de De la Terre à la Lune (1865), Jules Verne donne un joli rôle au vin de Nuits-Saint-Georges, avec lequel les trois protagonistes embarqués dans leur « projectile » trinquent à « l’union de la Terre et de son satellite » (chapitre III, Où l’on s’installe) :
« Michel Ardan, en sa qualité de Français, se déclara cuisinier en chef, importante fonction qui ne lui suscita pas de concurrents. Le gaz donna les quelques degrés de chaleur suffisants pour les apprêts culinaires, et le coffre aux provisions fournit les éléments de ce premier festin.
Le déjeuner débuta par trois tasses d’un bouillon excellent, dû à la liquéfaction dans l’eau chaude de ces précieuses tablettes Liebig, préparées avec les meilleurs morceaux des ruminants des Pampas. Au bouillon de bœuf succédèrent quelques tranches de beefsteak comprimés à la presse hydraulique, aussi tendres, aussi succulents que s’ils fussent sortis des cuisines du café Anglais. […]
Enfin, pour couronner ce repas, Ardan dénicha une fine bouteille de Nuits, qui se trouvait “par hasard” dans le compartiment des provisions. Les trois amis la burent à l’union de la Terre et de son satellite. Et comme si ce n’était pas assez de ce vin généreux qu’il avait distillé sur les coteaux de Bourgogne, le Soleil voulut se mettre de la partie. Le projectile sortait en ce moment du cône d’ombre projeté par le globe terrestre, et les rayons de l’astre radieux frappèrent directement le disque inférieur du boulet, en raison de l’angle que fait l’orbite de la Lune avec celle de la Terre. »


Cet article provient du n°80 de DBM spécial Nuits (mars-avril)