Parc national: le coup de gueule du journaliste Philippe Bertrand

Il le dit dans une lettre intitulée: « Parc naturel national des forêts de Champagne et de Bourgogne, la peur du ciel qui va tomber sur nos têtes ». Le journaliste et producteur de radio Philippe Bertrand, très attaché à son village d’Aignay-le-Duc (dont il fut l’élu), s’en prend à ceux qui veulent encore résister au projet de Parc national. Un plaidoyer qui fait appel au dialogue et à l’ouverture d’esprit et, du même coup, réveille les conscience autour d’un « vieux » projet décidé sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec le dessein de bousculer les rapports entre la Champagne et la Bourgogne.

Philippe Bertrand sort de ses Carnets de Campagne pour écrire sa lettre ouverte.
Philippe Bertrand sort de ses Carnets de Campagne pour écrire sa lettre ouverte.

Par Philippe Bertrand

« Je vous écris car je m’inquiète d’une situation qui, dans le nord Côte-d’Or, tourne à mon sens au ridicule après une lente période de surplace. Si je vous écris, c’est parce que je n’ai qu’une légitimité de natif de Dijon et de résident une partie de l’année dans le très beau, si c’est vrai, village d’Aignay-le-Duc dans le Châtillonnais.

J’aime mon village comme ce territoire qui a longtemps traîné une jambe de bois économique contrairement au sud du département viticole et prospère.

Une seconde légitimité qui me fait prendre la liberté de vous écrire, est que je produis et présente depuis huit ans sur France Inter une émission que j’ai baptisée Carnets de campagne et dont le fond tient aux innombrables réalisations de développement local assumées par la société civile comme on l’appelle dorénavant.

Elle n’est pas plus de gauche que de droite, elle n’agit pas en réaction à une situation de crise dans laquelle notre pays, comme d’autres en Europe, s’est enlisé depuis six ans, mais elle représente cette frange de population qui ne souhaite pas être laissée pour compte. Elle crée de l’accueil de nouvelles populations, du service à la personne, de l’artisanat en phase avec les besoins locaux, des énergies renouvelables, des circuits courts de production, des réseaux culturels indispensables, des services de santé, d’éducation, de formation et d’insertion, pour citer les principaux axes d’engagement.

L’ensemble entre dans une économie alternative dite sociale et solidaire qui a l’outrecuidance de générer aujourd’hui deux millions et demi d’emplois, soit 10% de l’emploi privé en France, ce qui représente 10% du PIB.

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A l’égard de « mon » Châtillonnais, cette économie-là est presque un modèle à suivre, car tous les exemples le prouvent en France rurale: là où il n’y a plus rien ou quasiment plus rien, tout est à faire, à condition de jouer solidaires. La communauté de communes du nord Côte-d’Or qu’on appelle encore le pays châtillonnais a manqué quelques rendez-vous avec son histoire que certains regrettent à l’image d’une autoroute qui aurait mieux irrigué cette partie rurale du département.

On ne revient jamais en arrière. Depuis quatre ans une nouvelle opportunité s’offre à la population: l’ouverture du 11ème parc naturel national. Un « must », disent les spécialistes. Du trois étoiles pour les guides verts. Un épicentre naturel exceptionnel dans un patrimoine de feuillus bientôt unique en France qui couvre 79000 hectares pour un ensemble, en comprenant la périphérie, de 220 000 hectares. La périphérie, parlons-en. Un éparpillement de petites communes perdues entre champs de céréales et forêts domaniales animé par quelque 22000 habitants. On ne manque pas de place à cet endroit, c’est certain. Ici prime l’agriculture, plutôt intensive selon les prérogatives de la PAC incitant chaque année à produire davantage au détriment d’un travail bien pensé et aux dépens du moral de producteurs laminés par les contraintes. L’élevage a été abandonné au fil des années. A quoi bon faire du lait que l’on produit à perte ? Restent des enclaves d’exploitation du bois et de la pierre. La pierre du Châtillonnais qui orne les façades des grands monuments parisiens et même new-yorkais. Mais « ça, c’était avant » comme s’en amuse la publicité d’un lunettier.

Aujourd’hui le Châtillonnais est retourné à son état fœtal, recroquevillé sur lui-même, mais, je le sens, en attente de nouvelles orientations.

Quelques exemples économiques le prouvent comme l’entreprise de Robert Benoit à Billy-les-Chanceaux, cherchez bien sur la carte, qui inonde de plus en plus de pays clients de son moteur adaptable à tout type de fauteuils roulants ou encore la fromagerie des Marronniers à Origny-sur-Seine qui fait la une de la presse nationale. Pardon pour les autres que j’oublie, mais ces illustrations sont la preuve que la ruralité n’interdit aucune perspective de développement et d’initiative entrepreneuriale.

Le dernier argument en faveur de ce développement tient au projet de parc naturel national, provisoirement parc des forêts de Champagne et de Bourgogne.

La perspective de label donne le vertige en citant les illustres parcs de la Vanoise, des Ecrins ou du Mercantour. Notre Côte-d’Or du Nord paraît si petite en comparaison, si discrète et pourtant…

Un parc naturel national participe à l’identité culturelle de la Nation au même titre que les grands monuments ou que les plus grands équipements culturels de notre pays. Passons la fierté de se savoir convoqués à ce podium, car c’est la suite qui est la plus importante, à savoir les projets qui peuvent s’établir dans ce périmètre labellisé. Or c’est bien à cet endroit que notre territoire dérape en s’inquiétant d’abord de ce qu’il pourrait perdre et non de ce qu’il a gagné dans ce défi d’avenir très proche.

Les perspectives de développement sont multiples et même si elles touchent à des projections d’avenir, elles paraissent plus sensées et acceptables que les rejets de cette opportunité sur la base de rumeurs et de phobies. Première crainte : un parc naturel, aussi national soit-il, est synonyme de contraintes. Un cadre légal est légitime mais il n’empiète pas sur les acquis.

Un voisin, pardon mais je fais aussi du travail de terrain, prétextait la peur des agriculteurs persuadés d’être contraints de passer d’une production conventionnelle à une production biologique. Dommage que cette perspective paraisse contraignante, sauf qu’elle n’a pas lieu d’être.

Les habitants de Dordogne n’ont pas été contraints de porter des peaux de bêtes depuis la découverte de Lascaux ! Une préservation des prairies et des haies arborées n’a rien d’insupportable puisqu’elles sont garantes de la biodiversité et de la qualité paysagère que les agriculteurs eux-mêmes ont façonnée depuis des siècles. La sylviculture n’a, au même titre, rien à redouter d’une mise en valeur d’un patrimoine arboricole dont elle est la souveraine gestionnaire.

Le bois est redevenu un matériau noble et prisé dont les utilisations dépassent largement, et heureusement, la seule production de palettes. Le bois source d’énergie naturelle, le bois, matériau de construction écologique indispensable, le bois matière d’un artisanat en pleine effervescence.

J’oubliais encore les chasseurs et les habitudes prises de braver les intempéries pour partir à l’affût du chevreuil. Personne n’a remis en cause une activité socialisante, transmise de génération en génération et qui participe à un équilibre cynégétique nécessaire.

Seulement, une peur très enracinée dans les mœurs locales, fait craindre la dépossession des acquis, la perte des habitudes et même une ingérence qui perturberait les savoir-faire, les traditions et l’équilibre social.

Oui, la seule contrainte voulue par une société qui souhaite sortir de l’impasse dans laquelle elle s’est fourvoyée depuis des décennies, est celle du faire ensemble. D’associations en coopératives, de services mutualisés en espace de « coworking », de réseaux d’échanges de savoirs en maisons de santé, d’unions d’acteurs économiques en collectifs de production culturelle, de pôles territoriaux de coopération économique en groupements d’exploitation, le faire ensemble est un gage de réussite que plus personne ne peut balayer d’un revers de main.

De licenciements en liquidations pour des raisons de menaces sur un capital ou de démission d’un fonds de pension étranger, la grande économie bat de l’aile après avoir omis le facteur humain et social de toute entreprise.

Le patrimoine naturel, au contraire, n’est pas délocalisable et ne partira jamais en Chine. Il ne souffre pas de concurrence car son identité est inaliénable et unique. Il fait l’attractivité d’un territoire par la force d’authenticité qu’il incarne, par le message qu’il transmet aux générations futures en tant que partenaire essentiel de la qualité de vie.

Posséder ce patrimoine, je dis « posséder » car il appartient à tous, est mieux qu’une chance, c’est un luxe.

Dire non à ce luxe, refuser sa proposition de partenariat, le laisser en jachère au nom d’une tranquillité ancestrale, est une aberration dont nous nous mordrons les doigts dans très peu de temps, c’est-à-dire dans à peine deux ans, lorsque quelques irréductibles auront définitivement propagé leur certitude d’être mieux entre eux qu’avec les autres. »