Précieuses nourrices morvandelles

Au cœur du XIXème siècle, ces femmes ont quitté leur Morvan, leur famille, leurs propres enfants, pour monter à Paris « vendre » leur lait à des fils de familles. Précieuses nourrices morvandelles.

Par Michel Giraud – Illustration : Collection Noëlle Renault

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Les Rothschild ont eu des nourrices morvandelles, notamment une certaine Lazarette Auribault, la famille Saxe-Cobourg Gotha aussi, Napoléon III, les Calmann-Lévy. Comme tant d’autres. « Plusieurs facteurs font que de nombreuses Morvandelles deviendront nourrices. C’était la mode dans les familles aristocrates d’avoir à leur service une nounou du Morvan. La proximité de Paris a joué pour le recrutement et ces femmes étaient réputées pour la qualité de leur lait », précise Noëlle Renault.

C’est à elle que l’on doit cette lettre datée du 28 décembre 1912. Elle est signée par Jean de Suzannet: « Françoise Vieillard était originaire d’Anost en Saône-et-Loire. Elle fut une de ces nourrices morvandelles qui montèrent à Paris. Elle avait notamment nourri Jean de Suzannet. Il faut comprendre que les nourrices gardaient longtemps des relations avec leurs nourrissons. En 1912, Jean est marié. Il écrit à Françoise pour lui demander si elle ne connaît pas une nourrice pour l’enfant que son épouse attend. C’est une belle preuve de confiance. »

C’est d’ailleurs en ces mots que Jean termine sa missive: « Ce que je vous demande là va peut-être vous causer du dérangement, mais j’espère que vous y verrez aussi une preuve de la confiance et de l’affection que je vous garde! » Un peu plus haut, l’hommage est toujours aussi poignant: « Mon père m’a toujours dit, et me répète encore bien souvent que vous étiez la personne dans laquelle il avait une confiance absolue dès mon jeune âge. »

Des histoires, comme celle de Françoise et Jean, il y en a des dizaines, des centaines même. La pratique des nourrices morvandelles cessa tout de suite après la Première Guerre mondiale. Elle donna lieu à des drames familiaux. Elle permit aussi à des Morvandiaux de sortir de la pauvreté.

Mémoire de nourrice

C’est en faisant son arbre généalogique que Noëlle Renault a croisé pour la première fois une nourrice morvandelle: c’était son arrière-arrière-grand-mère! Pour elle, c’est le début d’une passion. Depuis plus de trente-cinq ans, Noëlle Renault parcourt les villages de « son » Morvan, elle, la native de Montsauche. Un travail inlassable de collectage: « Les anecdotes concernant la vie de ces femmes ayant quitté leur Morvan pour nourrir d’autres enfants que les leurs sont inépuisables », disait-elle en préface de l’un de ses ouvrages.

Noëlle a identifié près de 500 nourrices, elle a aussi suivi la trace des enfants qu’elles ont élevés. Travail qu’elle a soigneusement compilé dans de nombreux ouvrages, qu’elle raconte aussi dans des conférences. Un collectage qu’elle poursuit inlassablement.

* Les Nourrices, par Noëlle Renault, paru en 2012, éditions Sutton, 22 euros.

Extrait lettre 1

Extrait de la lettre de Jean de Suzannet datée du 28 décembre 1912, celle d’un nourrisson reconnaissant à sa « nounou » morvandelle: « Ma chère Françoise, Vous vous demanderez quel est celui qui vous écrit cette lettre, et certainement vous ne le reconnaîtriez pas si vous le voyiez à présent. Vous m’avez pourtant beaucoup connu autrefois, quand vous étiez ma nourrice, et si moi-même je ne vous reconnaitrais pas en vous voyant aujourd’hui, je vous garde pourtant un bien fidèle et reconnaissant souvenir, car je vous dois, à vous et à tous vos bons soins, d’être maintenant un homme vigoureux et bien portant… »