Réforme de l’apprentissage : la Région ne désarme pas

Vice-président de Région en charge des lycées et de l’apprentissage, Stéphane Guiguet revient sur le projet de réforme du gouvernement, qui redonne la main sur l’apprentissage aux branches professionnelles. En partie déshabillée de cette compétence historique, la Bourgogne-Franche-Comté veut pourtant rester active dans le domaine de la formation. 

Propos recueillis par Geoffroy Morhain
Pour Dijon-Beaune Mag #69

Comment avez-vous réagi au projet de réforme de l’apprentissage présenté par le gouvernement au début du mois de février dernier ?

Déjà cet été, on avait senti le vent venir. Avec une montée au créneau du Medef et des branches professionnelles pour mettre les entreprises au cœur du système et leur redonner la main sur le « geste professionnel ». Inquiètes quant à leur place dans ce projet, toutes les régions se sont mises autour d’une table pour en discuter et se mettre d’accord sur une position commune, tous partis politiques confondus : si nous sommes d’accord sur la nécessité de valoriser ce mode de formation et de rendre le système plus performant, la proposition du gouvernement ne répond pas aux véritables enjeux du développement de l’apprentissage dans le cadre d’un aménagement du territoire cohérent. Nous avons suffisamment l’habitude d’investir dans des CFA et de suivre individuellement le parcours des apprentis (ndlr : la Région leur verse entre autres des aides pour le transport, la restauration ou l’hébergement) pour savoir de quoi on parle.

Quelles sont vos critiques et vos craintes par rapport aux grandes orientations de cette réforme ?

On nous parle d’un choc de simplification, mais où est la simplification quand on sait que le système sera géré par plus de 700 branches professionnelles différentes ? Autant certaines grosses filières bien organisées, comme l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie), seront capables de le faire, autant les fédérations d’artisans par exemple auront plus de mal à assumer ces nouvelles responsabilités. Sans parler de la méconnaissance du terrain local pour la plupart de ces branches, qui risque d’engendrer des fractures territoriales, au détriment des zones rurales ou des quartiers non prioritaires dans la politique d’une ville par exemple. Cette logique de filière va aussi fragiliser les CFA interprofessionnels et les formations transversales en général. Enfin, les lycées professionnels, étrangement absents du projet de réforme, vont être menacés par leur mise en concurrence avec les CFA.

Du CAP au Bac pro, la cuisine, comme les autres métiers de bouche, fait partie des secteurs professionnels qui font massivement appel à l’apprentissage.

Pour autant, la Région reste active et décisionnaire en matière de formation ?

Oui, nous sommes notamment à l’origine du nouveau Contrat de plan régional de développement de la formation et de l’orientation professionnelles (CPRDFOP) qui vient d’être signé avec l’État, les autorités académiques et les partenaires sociaux pour la période 2017-2022. C’est un document prospectif sur le moyen terme, un contrat stratégique qui indique le cap à suivre et sert de référence pour l’élaboration de la carte de formation. Notre région reste d’ailleurs à la pointe dans ce domaine puisqu’elle expérimente avec le rectorat un système « 2 + 1 ans » dans les lycées professionnels de Bourgogne-Franche-Comté, avec la possibilité pour l’élève d’opter pour la voie scolaire ou l’alternance lors de sa 3e année, en terminale.

Le projet de réforme prévoit un schéma régional avec un « copilotage » de l’apprentissage par les régions et les branches professionnelles. Qu’en pensez-vous ?

Un copilotage, oui, mais avec une vraie gouvernance publique pour contrôler le bateau. Pour l’instant, on reste vigilant, en attendant de voir concrètement quelles seront les modalités de mise en application de la réforme : qui va faire quoi exactement et avec quels moyens ? Au-delà du discours de principe, le projet de réforme entretient un certain flou artistique, mais nous ne perdons pas de vue nos principaux objectifs en matière de formation, d’apprentissage en particulier : relever le défi des transformations économiques, éviter la concurrence entre les différentes voies de formation, proposer une formation tout au long de la vie pour sécuriser les parcours professionnels et garantir une offre territorialement équilibrée.

Tour à commande numérique et autres outils high-tech innovants, l’apprentissage doit aussi relever le défi des transformations technologiques du monde industriel.

 Les chiffres de l’apprentissage en BFC 

• 19 196 apprentis (dont 28,8 % dans l’enseignement supérieur) au 1er janvier 2018, avec un objectif de 20 000 apprentis d’ici 2022
• 1 020 formations proposées (dont 42 nouvelles ouvertes en 2018)
• 17 000 entreprises formatrices
• 52 centres de formation d’apprentis
• 78,7 millions d’euros consacrés à l’apprentissage par la Région
• 287 offres disponibles à ce jour en entreprise


 Les grands axes de la réforme 

Fruit de négociations difficiles entre les partenaires sociaux, l’État et les Régions, le prochain projet de loi sur l’apprentissage promet d’être une « révolution copernicienne » selon les propos de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Il devrait être présenté en Conseil des ministres au printemps avant un vote cet été et une entrée en vigueur en 2019.

Réviser le système de financement 

Une « cotisation alternance » unique collectée auprès des entreprises par les branches professionnelles remplacera l’actuelle taxe d’apprentissage. Les régions, qui géraient 1,6 milliard d’euros à ce titre, ne bénéficieront plus que de 250 millions d’euros, plus une rallonge de 180 millions pour créer de nouveaux CFA (le financement de ces derniers dépendra aussi du nombre de contrats signés).

Simplifier le contrat d’apprentissage 

Outre l’ouverture de l’apprentissage jusqu’à 30 ans au lieu de 26, le projet veut faciliter l’embauche des apprentis tout au long de l’année (hors calendrier scolaire), simplifier la procédure du contrat, assouplir les contraintes liées à la durée de celui-ci et au temps de travail notamment.

Professionnaliser de la formation 

Un système de certification des CFA sera instauré afin de valider la qualité des formations dispensées. Une certification pour les maîtres d’apprentissage deviendra également possible. En lien avec les entreprises, les partenaires sociaux des branches professionnelles seront coauteurs des diplômes professionnels avec l’État.

Offrir de nouvelles opportunités aux apprentis 

Tout apprenti d’au moins 18 ans bénéficiera sans conditions d’une aide de 500 euros pour passer le permis de conduire. La rémunération des apprentis de 16 à 20 ans sera également revalorisée (+ 30 euros nets par mois). Le programme Erasmus de l’apprentissage sera mis en valeur afin de permettre à 15 000 jeunes de suivre une formation dans un autre pays d’Europe pendant 6 mois. 

Donner plus d’information 

Outre la mise en place par les régions de Journées annuelles d’information sur les métiers de cette filière au collège et au lycée, un effort particulier sera fait sur l’information fournie aux jeunes et aux familles. Le taux d’insertion dans l’emploi et les possibilités de poursuivre des études seront rendus accessibles pour plus de transparence.