Lucie Pierrat-Pajot et son Paris fantastique à l’Athenaeum de Beaune

Elle sera à l’Athenaeum(*) de Beaune, ce samedi à 17h30 pour une séance de dédicace. Lauréate de la 2ème édition du Concours du premier roman jeunesse organisé par les éditions Gallimard, l’Auxerroise Lucie Pierrat-Pajot écrit actuellement le tome des Mystères de Larispem, une uchronie(1) qui imagine le destin de Paris et de la France si la Commune avait triomphégrâce à lappui des garçons bouchersPiochant autant dans la verve des feuilletons du XIXème siècle (Féval, Sue) que dans le fantastique, son roman se lit dune traite, ainsi que nous le raconte une autre lauréate bourguignonne d’un concours littéraire, Emmanuelle de Jésus.

Parmi plus de 800 manuscrits, c’est celui de l’Auxerroise Lucie Pierrat-Pajot, documentaliste à l’Education nationale, qui a reçu le prix du premier roman jeunesse Gallimard-RTL-Télérama. Publié chez Gallimard Jeunesse, son livre Les Mystères de Larispem invite à un irrésistible voyage dans un Paris du XIXe siècle où la Commune aurait triomphé grâce aux garçons bouchers...
Parmi plus de 800 manuscrits, c’est celui
de l’Auxerroise Lucie Pierrat-Pajot,
documentaliste à l’Education nationale,
qui a reçu le prix du premier roman
jeunesse Gallimard-RTL-Télérama.
Publié chez Gallimard Jeunesse,
son livre Les Mystères de Larispem
invite à un irrésistible voyage dans un Paris
du XIXe siècle où la Commune aurait
triomphé grâce aux garçons bouchers…

Par Emmanuelle Jesus et Antoine Gavory/Proscriptum
Pour Bourgogne Magazine
En partenariat avec l’Athenaeum de Beaune

Photos: Claire Jachymiak

Quand la lauréate d’un concours d’écriture rencontre une autre lauréate d’un concours d’écriture (2) , de quoi parlent-elles? D’un chat roux, de Jules Verne, d’un trio d’élèves bébêtes et acnéiques, d’un cadeau de Noël. Pas n’importe quel cadeau: en décembre dernier, Lucie Pierrat-Pajot a appris que, parmi des centaines d’autres, son manuscrit avait remporté le prix du Concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard, Télérama et RTL. Evidemment, interdiction de jubiler en public jusqu’à la proclamation officielle du nom du vainqueur, et la sortie du livre en librairie début avril.

Quelques mois pour reprendre le manuscrit avec l’éditeur, le peaufiner et corriger, et découvrir la couverture (très réussie!) de l’illustrateur Donatien Mary, qui a en outre agrémenté les têtes de chapitre de dessins illustrant à merveille l’esprit du texte. Quelques semaines après la parution, l’auteure a pris le temps de nous parler de ce roman lauréat dans un joli jardinet auxerrois inondé de soleil ce jour-là, ce dont profite le fameux chat roux. « Un chat, c’est un accessoire obligé pour un écrivain », s’amuse Lucie Pierrat-Pajot, dont l’appartement croule, évidemment, sous les bouquins.

L’argot des bouchers comme muse

En 2013, l’auteure avait déjà participé au concours Gallimard, avec un récit lorgnant sur Le Club des Cinq, non retenu. Mais avec ces Mystères de Larispem, elle a convaincu le jury qui l’a choisie à la quasi-unanimité. L’histoire, il faut dire, fait saliver: Lucie Pierrat-Pajot imagine les tribulations d’un trio d’adolescents évoluant dans un Paris où la Commune a instauré un régime populiste, écarté sommairement la noblesse (c’est un euphémisme), placé l’avenir sous les auspices du progrès scientifique –Jules Verne y est un héros national– et dont le président est… une présidente, héroïne des barricades.

Des machines aident les hommes dans leurs tâches quotidiennes et, s’il n’y a plus de nobles, la société n’en est pas moins divisée en castes au sommet desquelles trônent les bouchers! Alliés de la Commune, ils constituent la corporation reine à Larispem. Après tout, ce sont eux qui ont donné naissance au roman! « L’idée m’est venue quand mon mari, qui est boucher, a évoqué devant moi le louchebem, l’argot de la profession », explique Lucie Pierrat-Pajot. Ce louchebem, dont l’auteure explique en fin de livre le mécanisme lexical (3) , parsème les dialogues des deux héroïnes: la gironde Liberté, génie de la mécanique venue de sa province, et la bouillante Carmine, fille du serviteur noir d’un noble parisien autrefois fier d’exhiber en son salon son trophée humain et qui finira la gorge tranchée par celui-ci.

Bon sang ne saurait mentir, Carmine appartient à la caste enviable des bouchers, tout comme son frère Cinabre (les lecteurs du Larousse apprécieront ces noms propres évoquant la couleur rouge). Le troisième larron s’appelle Nathanaël, orphelin à l’ascendance mystérieuse, qui permet à Lucie de faire émerger dans son roman la « veine fantastique », l’expression étant tout sauf anodine. « L’orphelin est un cliché du feuilleton comme du roman jeunesse, et il est bien pratique!  rappelle-t-elle. Le tout est de savoir en faire un vrai ressort du roman. »

Entre feuilleton à la mode du XIXe siècle et roman fantastique, Lucie Pierrat-Pajot a su créer un monde rétrofuturiste captivant au fil des ruelles de Paris. Une ambiance parfaitement rendue par Donatien Mary, qui signe les dessins d’ouverture de chapitre dans le goût steampunk (ci-dessous), ainsi que la couverture, dont l’esthétique rappelle celle des anciennes éditions de Jules Verne
Entre feuilleton à la mode du XIXe siècle et roman fantastique, Lucie Pierrat-Pajot a su créer un monde rétrofuturiste captivant au fil des ruelles de Paris. Une ambiance parfaitement rendue par Donatien Mary, qui signe les dessins d’ouverture de chapitre dans le goût steampunk (ci-dessus), ainsi que la couverture, dont
l’esthétique rappelle celle des anciennes éditions de Jules Verne.

Comme Game of Thrones

On peut s’étonner qu’une jeune romancière lorgne ainsi du côté des auteurs de feuilletons du XIXème siècle: Jules Verne, bien entendu, mais aussi Paul Féval et son Bossu, Eugène Sue et ses Mystères de Paris qui, outre une héroïne courageuse dans la pire adversité, offraient une plongée naturaliste dans le quotidien des ravageurs, débardeurs et autres déchireurs, prolétaires farouches travaillant en bord de Seine ou sur des bateaux en fin de vie.

La réponse à ce choix surprenant se trouve peut-être dans son enfance neversoise, quand elle dévorait la bibliothèque de sa grandmère, suivie par une carrière dans les livres (Lucie Pierrat-Pajot travaille au CDI d’un collège) et une fascination pérenne pour ces auteurs « dont les lecteurs attendaient les nouveaux chapitres comme nous, aujourd’hui, la saison 6 de Game of Thrones! » Le fait est que cette plongée dans le Paris (pardon, le Larispem) de 1889, avec ses machines, sa foi dans le progrès, ses utopies collectives dont la tentation totalitaire n’est pas exclue, propose une lecture paradoxalement rafraîchissante dans une offre de littérature jeunesse gavée jusqu’à l’écoeurement de dystopies postapocalyptiques ou de romances, mièvres ou fiévreuses.

Les adolescents trouveront plaisir à découvrir les aventures des jeunes héros du roman, et les plus âgés apprécieront l’arrière-plan politique, la description hautement visuelle d’un Paris chimérique où l’humain vit dans un monde froid dominé par la mécanique, ainsi que les travers adolescents malicieusement cernés par une auteure qui les côtoie au jour le jour. L’effrayant tyran de l’orphelinat, surnommé Gueule de passoire, et ses deux acolytes tout en muscles auraient ainsi été inspirés par les élèves d’un collège où a travaillé Lucie Pierrat-Pajot! Moralité: ne traînez pas dans l’entourage d’un écrivain ou vous pourriez bien finir épinglé dans un de ses livres… Quoique suivre Liberté, Carmine et Nathanaël dans ou hors les murs de Larispem, alors qu’une conspiration fomentée par la noblesse s’annonce, doit être tout bonnement palpitant. Il faudra cependant pour cela patienter jusqu’à la parution du deuxième tome. Les Mystères de Larispem ne se dévoilent pas si facilement!

(1) Néologisme du XIXe siècle formé avec le mot grec « chronos » (temps) précédé d’un « u » négatif, le terme « uchronie » désigne un genre de fiction qui réécrit l’histoire en modifiant un événement du passé.
(2) L’auteure de ces lignes a remporté en 2013 le concours du premier roman organisé par Hachette avec Salmacis (deux tomes, éditions Hachette, collection Black Moon).
(3) Le principe du louchebem: pour faire simple, ôter la première lettre d’un mot, la remplacer par un L et la déplacer à la fin, puis faire suivre du suffixe -em, -uche ou autre -doc (Paris devient ainsi « Larispem »).

(*)Lucie Pierrat-Pajot sera à l’étage jeunesse de l’Athenaeum à Beaune (face aux Hospices) le samedi 25 juin de 15h30 à 17h30. Pour l’occasion elle se fera libraire d’un jour et pourra vous présenter ses romans coup de cœur, ses sources d’inspiration. Bref les livres qui l’ont inspirée dans l’écriture.

Les-Mysteres-de-Larispem

Les Mystères de Larispem, tome 1: Le sang jamais n’oublie. Larispem, 1889. Dans cette cité-État indépendante où les bouchers constituent la caste forte d’un régime populiste, trois destins se croisent, ceux de Liberté, la mécanicienne hors pair, Carmine, l’apprentie louchebem, et Nathanaël, l’orphelin au passé mystérieux.Tandis que de grandes festivités se préparent pour célébrer le nouveau siècle, l’ombre d’une société secrète vient planer sur la ville. Et si les Frères de Sang revenaient pour mettre leur terrible vengeance à exécution?
272 pages, 16 euros, Gallimard Jeunesse