Vivons heureux en attendant la mort (merci Desproges !)

© fotolia/bernanamoglu
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Puisque la faucheuse finira pas gagner, autant la narguer en profitant jusqu’au bout des plaisirs de l’existence. L’association Vin & société qui fédère 500 000 acteurs de la vigne et du vin en France et les Hospices de Beaune en sont si persuadés qu’ils ont invité une chercheuse pour en parler : la fin de vie, on n’a pas le choix. Mais avec du bon dans l’assiette et le verre…

Jeanne Calment, vous vous souvenez ? La doyenne de l’humanité, morte à 122 ans, avait à ses dires un secret de longévité : une cigarette par jour et un verre de porto après le repas ! Des conseils sanitaires qui feraient hurler dans n’importe quel service de gérontologie. Et pourtant… Au lieu d’ajouter la censure et la morale à l’implacable vieillissement, pourquoi ne pas repenser la fin de vie et y insuffler une dose de petits bonheurs simples comme des douceurs ou un bon vin ? L’association vin & société, qui fédère 500 000 acteurs de la vigne et du vin (dont le BIVB pour la région Bourgogne) et les Hospices de Beaune sont farouchement pour et ont donc invité le 7 décembre une chercheuse atypique pour en parler.

Catherine Le Grand-Sébille est socio-anthropologue, enseignante et chercheuse à la faculté de Médecine H.Warembourg, Lille 2. Depuis une vingtaine d’années, elle mène des études sur la fin de vie et sa conclusion est sans appel : en contradiction avec la médicalisation qui accompagne généralement cette période (notamment en institution), permettre aux proches d’amener des nourritures appréciées de la personne en fin de vie, ou un vin qu’elle aime, fera beaucoup pour le respect et la dignité sans coûter beaucoup plus cher…

Cela fait plus de vingt ans que la chercheuse travaille sur la maladie grave et la mort. Une première étude auprès de jeunes majeurs atteints de cancers, regrettant la perte de leurs facultés gustatives et pressés de retrouver les plats de la table familiale, la persuade de l’importance de cette question. Elle se tourne alors vers les personnes en fin de vie et dans 12 régions françaises dont la Bourgogne, observe comment le personnel encadrant gère la nourriture et l’accès aux vins et aux douceurs. « Et là, j’ai découvert des fonctionnements différents, complètement opposés : des excès de surveillance et de censure dans certains endroits, à l’inverse d’autres équipes qui sont extrêmement attentives aux saveurs et qui défendent ces petits bonheurs de la nourriture et du vin. Car même en maison de retraite, pourtant considérées comme des lieux de vie, la consommation de vin n’est pas toujours autorisée à tous les résidents, ou uniquement une fois par semaine. »

Et encore… Quand il est autorisé, le vin doit avoir fait l’objet d’une véritable prescription au nom barbare : décision thérapeutique ! « Autrement dit, s’insurge Catherine Le Grand-Sébille, ce sont les médecins qui signent l’ordonnance d’un verre de vin ou de champagne. Et ces dernières années, les contraintes d’hygiène sont devenues tellement draconiennes qu’on s’est beaucoup éloigné de la notion de faire plaisir. L’étude établit qu’on assiste actuellement à une instrumentalisation de la notion de plaisir par les recommandations moralisatrices et normalisatrices du personnel médical. »

Dieu merci, ce n’est pas partout pareil. En fait, mieux vaut décider de vieillir en Champagne ou en Bourgogne, où le vin fait partie du patrimoine : « Dans ces régions, le vin est dans les conversations entre le personnel médical et les patients. À l’inverse de certains endroits, où il est impensable de parler du vin ou du plaisir qu’une bouteille peut donner. » Il y a aussi ces médecins, plus sensibles que d’autres, qui n’hésitent pas à détourner la règle et font ainsi bien plus : « Autoriser le vin, c’est respecter le patient, ça n’est pas favoriser l’alcoolisme assène la sociologue. Aujourd’hui, selon les chiffres, il y a 40% de dénutrition à l’hôpital. Permettre aux parents, aux proches d’apporter une douceur, de satisfaire un petit plaisir, c’est permettre de lutter contre cela. »

Pour en savoir plus. Samedi 7 décembre, de 9 h 30 et 17 h 30 au Palais des Congrès de Beaune, à l’initiative notamment de Vin et Société et des Hospices de Beaune. Accès gratuit à la conférence, c’est ouvert au public, mais il faut s’inscrire sur [email protected]
Dans la continuité de l’enquête, un film sera prochainement présenté aux chaînes de télévision, réalisé par Christophe Tonin.