Yves Jamait, confiné en son jardin : « Un après qui pose énormément de questions »

Roi ou manant, nous sommes tous logés à la même enseigne, confinés pour un certain temps. Du temps pour créer, justement, Yves Jamait en a un peu moins qu’avant, depuis qu’il se retrouve en famille. Interview FaceTime d’un artiste toujours rebelle mais un poil fataliste.

© Clément Bonvalot

Par Dominique Bruillot

« J’ai la chance d’avoir un jardin, j’adore ça. » Ben oui, ne pas oublier qu’avant d’être un homme de la scène, Yves Jamait fut un cuisinier et reste un amoureux des produits de la terre. « Je manque un peu de terreau mais j’ai mon compost et des semis fournis par une association qui œuvre pour le bio ; j’avais gardé des graines de l’année dernière. »

Dans sa maison dijonnaise des années 30, Yves Jamait vit son confinement comme un retour aux valeurs familiales. « Avec ma fille Suzie (5 ans), on vient de construire un abri antiatomique et une niche pour chats… Pas sûr que ça tienne au premier coup de vent », ironise l’artiste. Son Totem, référence à ses deux derniers albums, c’est donc le clan. Son épouse Elisa notamment et son fils Eliot. Elisa qui, en télétravail, gère des dossiers délicats dans son domaine d’expertise, le social. « Je vois bien que c’est chaud, les drames sociaux ont un autre retentissement en ce moment », analyse Jamait, qui se concentre donc sur l’éducation de sa fille.

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« Je ne suis pas Zorro »

Du coup, entre une séance de sport et ses obligations familiales, ce confinement l’éloigne de la création : « Je dois partager avec tout le monde, j’ai moins de temps qu’avant paradoxalement. J’étais en période d’écriture et j’ai même dû arrêter. » Tout juste s’accorde-t-il un petit rendez-vous musical avec ses fans sur Facebook, chaque soir à 20h30.

Le Jamait confiné est un Jamait Totem, comme jamais, replié sur son village. Ce qui ne l’empêche pas d’observer le monde à sa manière : « Je suis de ces gens qui ont un regard sur la société, cette situation ne fait que conforter mon pessimisme. La mondialisation nous met dans le mur. Je pense que ça va aller encore plus mal. De plus en plus de choses se mettent en place pour nous mater. » Aurait-il baissé les bras ? Ne croit-il plus en la résistance des « petits » ? « Oui, il y aura des poussées d’adrénaline, mais elles seront maîtrisées par la force, comme pour les Gilets jaunes », répond l’intéressé, déballant en rafale des « ils » pour désigner un système de «  déresponsibilisation » conçu pour broyer l’individu, et « un après qui pose énormément de questions ».

« Plus tard, il faudra un peu causer de tout ça, quelque chose à l’intérieur de moi me dit que cette mouise, on nous y a mis. »

Fustigeant une « Europe inexistante » dans la débâcle actuelle, il ne veut plus monter au créneau inutilement : « Je ne suis malheureusement pas surpris par ce qui se passe, assez discipliné aussi pour être protecteur des miens. Je ne suis pas Zorro, je m’en suis remis à ceux qui gouvernent, à un moment donné, il faut une ligne. » Avec une nuance de poids cependant : « Plus tard, il faudra un peu causer de tout ça, quelque chose à l’intérieur de moi me dit que cette mouise, on nous y a mis. »

« Un gros étron »

Le Jamait se résigne mais ne se rend pas. Il demeure écœuré par ces « pompiers et ces infirmiers qui se font gazer parce qu’ils revendiquent simplement des choses ». Il est convaincu que tout est sous contrôle, qu’on ne décide plus de rien, que voter ne sert plus à rien, que « Bernard Arnault est l’un des plus gros terroristes » de notre environnement.

Fervent militant des petites entreprises, il ne comprend pas pourquoi la CPME se met en photo avec le Medef : « Ils ne sont pas du même monde, dans la petite entreprise il y a forcément de l’humain, les TPE se trompent de combat ». Jamait s’est épris de Balzac. Il lit entre les lignes de l’auteur de La comédie humaine et des Illusions perdues, la description d’un monde sclérosé par le libéralisme sauvage qui préfigure notre société « coronavirienne ».  « Je ne connais rien en économie, je sais juste qu’on subit », en déduit-il.

II le dit avec lucidité. « Pas une seule goutte l’alcool depuis le 31 décembre, pas une image de BFM non plus, avec 10 minutes de France Info je suis déjà saturé ». Elisa, pour sa part, a fait le choix d’un détachement touchant et nostalgique. Pour elle, la télé de 2020, c’est un billet retour pour La petite maison dans la prairie et Colombo. L’après-confinement va-t-il bouleverser à ce point les choses ? « Je ne pense pas changer fondamentalement à la sortie », prévient l’artiste. Cette situation m’aura permis de vivre pleinement avec les miens, de voir que je ne m’étais pas trompé ; le reste, tout ce grand bazar autour de nous, je me dis que c’est un gros étron, que je ne pourrais rien y faire ».

© Guillaume Liochon

Edouard ou Gérard Philippe ?

Le temps de la peur alors ? « Une peur relative, ça va être à eux, nos enfants, de gérer leur époque. D’ailleurs je les invite à voter, contrairement à ce que je fais… Pour ma part, je fatigue de la longueur, même si je vais encore dans des manifs parce que ça me défoule, car j’ai toujours fait les choses en libertaire. » À une grande distance du pouvoir politique toutefois, car « tous ces gens-là me font ch…, ils nous prennent du temps ». Confiné déconnecté, « con fini pour eux », Jamait ne regrette pas d’avoir milité par le passé. Mais il ne se sent« pas à l’aise avec les gens qui veulent nous représenter : s’ils voulaient vraiment nous servir, ils n’auraient pas dû laisser les hôpitaux s’étrangler comme ça. La France n’est pas une grande entreprise, sinon on la maintient dans un truc comptable et rien d’autre. » Le question politique lui échappe. « Je sais à peine qui se trouve dans le gouvernement, en dehors, peut-être d’Edouard Philippe que j’appelle Gérard Philippe », martèle le taquin.

Yves Jamait n’est donc pas très optimiste, mais il est en forme. Il réfléchit à son prochain album. Une histoire récurrente de « gros qui boufferont les petits et de petits qui se boufferont entre eux ». Elle se poursuivra, comme tout, quand les affaires vont reprendre. Au fait, Yves, le clown qui est juste derrière, en peinture, il est bien de toi ? « Oui, j’en ai fait une série de 6 ou 7 à un moment donné. Il est en pleine torpeur, t’as remarqué ? »  On laissera aux psychologues de comptoir le soin d’en faire une analyse. Surtout, ne change rien, Jamait, on a besoin de repères comme le tien dans ce monde déboussolé.