Quand l’obstination du chanoine Kir croise les intérêts de la France, le projet un peu fou d’un lac dijonnais prend vie dans les années 1960. Et s’adosse, presque à contre-courant, à une imposante campagne d’urbanisation de la ville. Ou comment la Semaad partage le début de son histoire avec le lac Kir et ses quartiers annexes (Fontaine-d’Ouche, Belvédère de Talant).
Article publié dans Société Est Métropoles : aménager et construire l’avenir, réalisé par Studio.Mag
Cela fait déjà quelques années que le chanoine Kir évoque son projet de créer un lac artificiel aux portes de Dijon. Connaissant sa ténacité légendaire, on se doute bien que les critiques et autres moqueries qui fusent autour de lui ne l’atteignent pas vraiment. Avec l’avènement de la Ve République, le général De Gaulle fait le pari d’une grande campagne de promotion en faveur de l’aménagement du pays. La France est encore trop rurale, et souffre selon lui d’un important retard d’urbanisation par rapport à ses voisins allemands, anglais et même nordiques. Le président, qui veut susciter de grands projets dans les villes de l’Hexagone, confie à Pierre Sudreau, le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, la rédaction d’une lettre adressée à tous les maires de France.
« Nous sommes en 1959, rapporte l’urbaniste Michel Visteaux, fondateur à Dijon de l’Icovil (Institut pour une meilleure connaissance de l’histoire urbaine et des villes). Vous vous doutez bien que lorsque Kir reçoit le courrier, il comprend très vite son intérêt et il répond au ministre, en défendant avec force son projet de lac. » Les choses ne trainent pas. Le 23 août 1960, Sudreau débarque à Dijon. Le ministre survole la ville aux commandes de son avion et approuve le projet d’un « bois de Boulogne dijonnais ». Le conseil municipal suit et vote la création du plan d’eau, le 19 septembre 1960, acte officiel de naissance du lac après quinze ans de petits pas, d’effets d’annonces et de coups de bluff d’un chanoine obstiné.
Un lac artificiel et 11 500 logements
Si l’État valide la construction du lac, il exige que ce dernier soit assorti d’une zone résidentielle et de loisirs. « Ce qui est étonnant aujourd’hui, c’est d’analyser ce qu’il s’est réellement passé dans la tête de ces deux hommes d’État. Le chanoine Kir, qui est député, a déjà ses entrées à Paris. Il veut son lac à tout prix. Sudreau, lui, voit là l’occasion de répondre aux objectifs qui lui ont été fixés. Et, avec un brin d’inconscience, avouons-le, ils signent alors le coup d’envoi d’un projet colossal, la plus grosse opération d’urbanisme jamais envisagée dans l’agglomération dijonnaise. Le pari est fou. Jamais personne n’avait imaginé aménager cette partie ouest de la ville, située à l’opposé des pôles d’emploi. Le lieu est dépourvu de voies de communication, son relief est tourmenté, encombré par la voie de chemin de fer, le canal, l’Ouche, et est de plus une zone inondable ! » Pourtant, c’est bien ici que le projet va prendre forme sur 550 hectares, donnant non seulement naissance à un lac artificiel, mais aussi à un ensemble de 11 500 logements : « Une partie sur Dijon, une autre sur la commune de Talant et une dernière sur celle de Plombières », précise Michel Visteaux.
Rapidement, Plombières-lès-Dijon sort du jeu, préférant ouvertement conserver son visage rural. Et les premiers écueils ne tardent pas à se dresser. « Jusqu’à présent, les opérations d’urbanisme, notamment aux Grésilles, avaient été menées par la Ville de Dijon. Là, face à l’ampleur de la chose, les services municipaux ne se sentent pas de taille. Le ministre conseille alors à la Ville de s’associer à un partenaire. La Secor (Société d’équipement du département de la Côte-d’Or), la structure affiliée à la Caisse des dépôts et des consignations, qui a jusqu’ici mené le projet d’urbanisation de Chenôve, n’est pas dans les petits papiers du chanoine. Il s’adosse alors au réseau de la Banque de Paris et des Pays-Bas (ndlr, « Je suis un ami de la reine Juliana », aurait déclaré notre inénarrable chanoine à un cadre de cette banque qu’il recevait) pour créer sa propre société d’économie mixte : la Semaad voit alors le jour le 30 mai 1961. »
Ainsi portée sur les fonts baptismaux, la Société d’économie mixte d’aménagement de l’agglomération dijonnaise devient concessionnaire de l’opération. C’est elle qui va mener les grandes études. Sacré baptême du feu !
Première résidence livrée en 1966
Petit à petit, alors qu’un impressionnant chantier se met en branle, Talant commence à montrer quelques réticences quant à sa place dans le projet. Les études s’enchaînent, les plans se multiplient. Le projet final annonce la création de 4 500 logements à la Fontaine-d’Ouche. C’est décidé, ce sera le premier ensemble à voir le jour ! Au gré des pérégrinations, le projet de Talant Belvédère sera quant à lui ramené à 3 000 logements contre 4 500 au départ, et celui de la Cras, à qui l’on créditait 3 000 logements, sera carrément abandonné (au profit des vignes qui recouvrent désormais ce plateau). « Le projet annonçait la création d’un millier de logements par an. C’est un rythme très soutenu, mais il fait comprendre qu’à l’époque les besoins d’habitat sont colossaux, et que la France traverse alors une vraie crise en la matière. Les promoteurs décident que la moitié des logements sera destinée à la location, l’autre moitié étant proposée à l’acquisition pour assurer un équilibre au programme. »
En 1966, la résidence des Champs-Perdrix est la première à être livrée, alors que le lac a déjà vu le jour depuis le 20 juin 1964. Arrivée au pouvoir en 1971, la municipalité de Robert Poujade assumera l’héritage, et continuera de donner corps à ce qui deviendra rapidement le quartier le mieux doté en équipements collectifs de toute l’agglomération dijonnaise.