Nuits-Saint-Georges, le pays du vin roi

Si Beaune revendique avec constance le titre de capitale de la Bourgogne viticole, Nuits-Saint-Georges ne manque pas d’atouts pour lui contester ce titre honorifique. Mondialement renommée, la petite ville abrite le cœur battant d’une viticulture typiquement bourguignonne, fière de ses traditions et ouverte sur l’international. Une vocation qui s’exprime pleinement lors de ce grand week-end festif de la Vente des vins des Hospices de Nuits.

Par Arnaud Morel pour Dijon-Beaune Mag

Avec 45 vignerons récoltants, et une dizaine de négociants, Nuits-Saint-Georges ne fait pas mystère de sa vocation viticole ; la vallée du Meuzin, qui incise la Côte en profondeur, constitue même le pivot de la fameuse Côte de Nuits. À partir de ce point nodal, les climats nuitons se structurent : finesse côté nord, puissance côté sud.

Deux tiers de l’emploi salarié

« Le vin est omniprésent, dans les têtes, dans les caves et dans les boutiques, confirme le maire, Alain Cartron. Mais nous abritons aussi deux liquoristes d’importance (ndlr, Vedrenne et Joseph Cartron). Notre terre est propice aux raisins et aux fruits rouges, et les deux secteurs se sont historiquement développés de concert. »
C’est peu dire que la filière viti-vinicole, entendue au sens large, domine l’économie locale. Lors d’une récente étude exhaustive, la Chambre de commerce et d’industrie de Côte-d’Or estime qu’elle regroupe deux tiers de l’emploi salarié de la ville. Qui dit mieux ? Longtemps, la main d’œuvre nuitonne a constitué l’intégralité des effectifs, mais désormais Nuits recrute ses salariés bien au-delà du bassin. « Il y a trente ans, nous n’employions que des habitants de Nuits, ce qui impliquait quelques particularités amusantes. Nos employés prenaient deux heures de pause à midi, pour avoir le temps de rentrer manger chez eux. C’est moins vrai aujourd’hui, nos salariés venant également, et presque à parité, de Dijon et de Beaune », analyse Nathalie Boisset, qui gère avec son frère Jean-Charles, l’une des plus importantes maisons de négoce de Bourgogne. La « famille des grands vins Boisset » emploie ici 270 personnes, sur un effectif mondial de 1 050 salariés en 2019. Pour soutenir son fort développement, l’entreprise doit chercher des profils que Nuits ne lui offre pas toujours. « Malgré la dynamique économique de notre bassin, nous rencontrons des difficultés à recruter des caristes, des cavistes et des informaticiens », poursuit la dirigeante.

La toute nouvelle cuverie des Ursulines de la maison Boisset à Nuits-Saint-Georges. Son architecte a déployé des trésors d’inventivité pour favoriser la « dynamique » de l’endroit. La salle principale, éclairée par un vitrail en forme de feuille de vigne, se passe par exemple de poteau de soutien pour libérer les énergies.

© Michel joly

Du vin mais pas que

Nuits, pourtant, ne se limite pas aux vins. Dans sa zone d’activité économique, située entre le cœur de ville et l’autoroute A31, s’alignent de nombreuses entreprises sans lien immédiat avec le divin breuvage. Constellium, spécialiste des profilés aluminium, par exemple, emploie 222 personnes sur son site nuiton. La ville s’appuie également sur un pôle d’imprimeurs constitué de quatre grandes entreprises, dont L. Filiber ou l’Imprimerie Georges Paris. Ceux-ci travaillent beaucoup pour la viticulture, IGP étant par exemple spécialisés ;dans les étiquettes de vins. Il en va de même pour les logisticiens comme Régis Martelet ou UPS, dont une part significative de l’activité tient à l’expédition de bouteilles. Pour compléter le tableau, Smurfit Kappa fournit ici tous les cartons nécessaires au voyage qu’entreprennent nombre de crus nuitons. Nuits, comme Beaune, constitue un centre névralgique d’importance pour la logistique de la filière viticole.
Avec plus de 6 000 habitants, l’unité urbaine de Nuits-Saint-Georges constitue, avec Beaune, et, dans une moindre mesure Gevrey-Chambertin, l’un des pôles d’attraction touristique de la Côte. La ville a attiré plus de 10000 visiteurs en 2018, dont 39% de touristes étrangers, principalement belges, allemands, anglais et américains. Ceux-ci trouvent dans les sept hôtels de la ville, les multiples restaurants, le musée, l’Imaginarium ou le Cassisium, de quoi assurer un séjour mémorable en Bourgogne, à la découverte de traditions viticoles encore très vivaces.

Les superbes caves voûtées du domaine Faiveley, « à Nuits-Saint-Georges depuis 1825 » comme la grande maison nuitonne l’indique dans sa signature.

© Michel joly

Par Bacchus et saint Vincent

La célèbre confrérie des Chevaliers du Tastevin, créée en 1934 dans un caveau nuiton, joue à plein son rôle de moteur de notoriété, avec quelque 12 000 membres cotisants, dont la moitié hors de France. À deux pas de Nuits-Saint-Georges, le château du Clos de Vougeot, qui abrite les célèbres chapitres de la confrérie, confère une assise historique à une création somme toute récente. « Nous cherchons à promouvoir la Bourgogne et ses vins, à travers des dîners gastronomiques, arrosés de vins de Bourgogne, et riches en propos aussi humoristiques que profonds, résume Arnaud Orsel, le secrétaire général de la confrérie bachique. L’idée géniale des fondateurs aura été d’inventer de toutes pièces un folklore, avec tout un apparat qui singularise la confrérie. »

Constitué de quatre entreprises, le pôle d’imprimeurs nuitons travaille essentiellement pour la filière viticole, grande consommatrice d’étiquettes. De même, cartonniers et transporteurs dépendent beaucoup du vin.


À Nuits cependant, la tradition ne se résume pas à ces dîners d’apparat qui attirent les célébrités et les notables du monde entier. Outre la fort réputée Vente des vins des Hospices de Nuits, qui marque l’entrée dans le printemps, les vignerons nuitons conservent jalousement des usages très anciens, qui cimentent leurs relations, et favorisent un relatif entre-soi. Ces traditions-là ne se donnent pas aisément, et restent hors de vue des visiteurs de passage. La société de Saint-Vincent de Nuits-Saint-Georges a, ainsi, été fondée à la fin du XIXe siècle pour favoriser l’entraide entre vignerons. Ses membres se portent assistance, en cas de maladie notamment. « Aujourd’hui, ces actes d’assistance, que nous appelons des corvées sont devenus très rares, le dernier remonte à quatre ans ; les exploitations ont heureusement évolué, et comptent souvent des salariés, ce qui rend l’aide réciproque moins nécessaire », témoigne Anne Jaffelin, présidente de l’association qui regroupe 40 membres. Celle-ci se recentre sur des usages anciens, comme la fête de la Saint-Vincent, qui se tient tous les 22 janvier. À la différence de la célèbre Saint-Vincent tournante, elle n’est pas ouverte au public et demeure une fête « interne ». « Nous organisons une petite procession derrière la statue du saint, suivie d’une messe et d’un repas. Quinze jours plus tard, nous organisons notre “repas de cochon” qui est également un temps fort de la vie de la société », décrit la présidente.
Modestie et discrétion demeurent ici des qualités que l’on chérit, expression de l’esprit terrien et finalement paysan des vignerons nuitons. En rien elles ne nuisent à l’ouverture vers l’international, et constituent au contraire une expression des particularismes locaux. Ceux-là mêmes que viennent chercher les touristes et les amateurs de vins en Bourgogne.

Cuveries d’exception

© Michel joly


L’année 2018 marquera les esprits nuitons : outre un millésime qui s’annonce à bien des égards remarquable, elle a vu naître ou renaître deux cuveries d’exception, chez Boisset et Faiveley. De lourds investissements que la légendaire discrétion vigneronne empêchent de caractériser avec précision, mais qui se chiffrent en millions, voire en dizaine de millions d’euros. Toutes deux situées au sud-ouest de la vill e, en bas de coteau, elles témoignent de la puissance de ces grandes maisons. La cuverie des Ursulines de la maison Jean-Claude Boisset a été imaginée par Frédéric Didier, architecte du Patrimoine et des Monuments historiques, qui a déployé des trésors d’inventivité pour favoriser la « dynamique » de l’endroit. Sa salle principale, entièrement éclairée par un immense vitrail en forme de cep de vigne, se passe par exemple de poteau de soutien, pour libérer les énergies. « Nous avons dû relever un vrai défi pour parvenir à ce résultat, qui a nécessité plus de quatre ans de travaux », explique Nathalie Boisset. Un peu plus au sud, la cuverie des Grands Crus du domaine Faiveley (photo ci-dessous), en a exigé trois. « Elle s’ouvre sur les vignes, pour offrir une vision sur la côte à nos clients », décrit Ève Faiveley. À la différence de celle des Ursulines, que l’on peut visiter (le matin, sur rendez-vous), cette dernière ne reçoit pas le public. « L’œnotourisme est un autre métier », considère-t-on chez Faiveley.

Le retour au pays de Laurent Delaunay

© Patrick Sordoillet

La success story de Badet-Clément, maison de négoce spécialisée dans les vins du Sud fondée par Laurent Delaunay, rebondit à l’Étang-Vergy. Représentant de la 5e génération d’une famille de négociants bourguignons, et œnologue de métier comme son épouse Catherine, Laurent a racheté à Boisset en novembre 2017 la marque familiale « Édouard Delaunay » vendue en 1993. L’entrepreneur, qui a fait fortune avec des vins fins calibrés pour l’export, reprend alors un négoce de bourgognes. Après 9 mois de rénovation et 1,5 million d’euros d’investissement, il fait revivre la cuverie familiale de l’Étang-Vergy. « Notre objectif est de faire renaître une maison haut de gamme, sans objectif de volumes mais avec des flacons d’exception », décrit le quinquagénaire qui confesse « vivre un vrai rêve » avec ce retour au pays.