Marc Désarménien (Fallot) : « Je défends ma région avant tout ! »

Le nom de la moutarde de Dijon a franchi les frontières sans parfois en revenir. Dans le dédale des fabricants en tout genre, s’il en est un qui a le droit de revendiquer l’authenticité, c’est bien Fallot. Piqué à vif, le moutardier Marc Désarménien remet la graine sous la meule.

Propos recueillis par Dominique Bruillot
Pour Dijon Capitale 3

Basée à Beaune avec son espace muséographique, présente à Dijon face à la chouette avec sa boutique-atelier, la maison Fallot incarne la moutarde par excellence. Son patron et actionnaire, Marc Démarménien, parcourt le monde pour enseigner ce qu’est la moutarde de qualité : celle qui n’est pas « bodybuildée » par des artifices, celle qui se livre en toute transparence au consommateur. Remettons la graine à sa place, sous la meule.

Peut-on dire que Fallot, avant d’être une fabrique, est une « maison » ?

Oui, à la manière des belles maisons de vin. Nos produits sont de grande tradition, avec des matières premières globalement bourguignonnes et une clientèle internationale, car nous n’avons pas uniquement vocation à faire du locavore.

Beaune, Dijon, moutarde de Dijon, moutarde de Bourgogne… Fallot jongle ? 

Il n’y a pas à jongler ! Je défends ma région avant tout quand je suis ici, mon pays quand je suis à l’étranger, le problème ne se pose pas comme ça.

Comment alors ?

Il faut être humble. Plus on se déplace, plus on se rend compte que notre région est à peine connue dans le monde. Par exemple, un Japonais du quartier des affaires à Tokyo sait rarement situer la Bourgogne. C’est peut-être moins vrai pour Dijon.

La moutarde serait plus forte que le vin en notoriété ?

Le mot « Dijon » est en effet plus connu que « Bourgogne », il a une notoriété spontanée plus forte, grâce à la moutarde de Dijon, un produit répandu dans de nombreux pays.

La « Classic Dijon » a remporté la médaille d’or au World-Wide Mustard Competition, prestigieux concours américain évaluant la qualité des moutardes de Dijon du monde entier.

La moutarde pèse peu dans un budget familial. C’est quoi, la « Romanée-Conti » de la moutarde ?

Sur le marché, notre prix moyen est de 3 euros par bocal pour les variétés les plus consommées. La moutarde à la truffe de Bourgogne et la moutarde au chablis sont nos pépites. Mais on peut aussi se faire plaisir avec la qualité de l’emballage. Un pot en grès ou en faïence, c’est beau mais plus cher !

Dans ce monde qui use et abuse du nom, Fallot peut demeurer une entreprise artisanale ?

Oui et indépendante, avec 100 % de capitaux familiaux. Ce qui nous permet d’avoir les coudées franches sur nos stratégies commerciales, c’est la liberté. En France, le marché de la moutarde est représenté par quatre fabricants, nous et trois groupes. Il fournit 90 % de la production française. La marque « client », c’est près d’un quart du marché, le reste sont des marques producteurs. Nous avons donc une place à prendre.

C’est quoi un producteur ?

Cela va du tout petit artisan qui relance une production locale au groupe appartenant à une multinationale. Mais plus on retiendra les notions de terroir, de circuit court, mieux ce sera.

Et là-dedans, quelle est la place des Américains ?

Les premiers producteurs au monde. Il n’y a pas de chiffres officiels, mais ils fabriquent plusieurs fois ce que produit le marché français (ndlr : lequel représente environ 90 000 tonnes). La moutarde douce est propice au fast food, elle se produit donc en grosses quantités.

Comme Grey Poupon, qui porte le nom d’un Dijonnais ?

Grey Poupon appartient au géant Kraft Heinz. On s’est fait piller nos noms et nos appellations parce que le « made in France » a la cote. Mais une moutarde de Dijon faite aux États-Unis et une moutarde de Dijon produite par Fallot n’ont rien en commun. Il faut prendre en compte les aspects goût et coût de revient. D’ailleurs, il y’a moins de barrières et de normes dans les pays anglo-saxons. Alors qu’un décret encadre la fabrication française et qu’un code de bonne pratique le fait au niveau européen. L’épaississant est interdit ici, contrairement aux States. Ce qui nous permet de percer à l’étranger, c’est la qualité intrinsèque de notre produit, sa saveur, son équilibre et son goût.

Du coup, la Bourgogne reprend de la graine !

Entre 15 et 20 % des besoins de graines sont couverts par la Bourgogne, 80 % par le Canada… Ce qui m’importe le plus, je l’ai déjà dit, c’est de défendre ma région. Aux États-Unis le pourcentage de graine est souvent moins important, c’est un produit de « mass market ». Chez Fallot, dans deux ans, on utilisera la graine de Bourgogne à presque 100 %. La graine du Canada fait au moins 7 000 km pour venir en Bourgogne !

L’image de la moutarde de Bourgogne pourrait-elle un jour supplanter celle de la moutarde de Dijon ?

Je l’espère. Mais dans cette relance de la culture, on mise avant tout sur un approvisionnement local de graines. Si nous sommes axés sur ce produit de terroir, ce n’est pas pour un phénomène de mode, c’est ancré dans l’histoire de notre entreprise. Nous sommes le plus gros vendeur de moutarde de Bourgogne en France, dans le monde et dans l’univers ! (rires)

Et le tourisme dans tout cela ?

On approche les 40 000 visiteurs par an sur notre site muséographique de Beaune, un projet propre à Fallot, monté sans aide. Le consommateur aime savoir ce qu’il consomme. C’est pourquoi Fallot a décidé d’ouvrir ses portes au public. À Dijon, nous rencontrons un grand succès. C’est plus qu’un commerce, une boutique-atelier où l’on produit sur place de la moutarde. Nous sommes des producteurs, des artisans, qui emploient une trentaine de personnes.

Fallot a une belle progression. Où va l’entreprise ?

Je n’ai pas envie que Fallot devienne une marque nationale. Si le consommateur suit, tant mieux, mais on ne bougera pas d’un iota notre façon de produire. Et nous continuerons à incorporer généreusement les meilleurs ingrédients dans nos recettes. C’est comme en gastronomie, il faut être généreux !