Le 13 mai 1945, Félix Kir était élu maire de Dijon. 80 ans plus tard, voici dix choses à savoir sur ce personnage hors du commun.

Résistant de la première heure
Prêtre catholique, Félix Kir entre très tôt dans la Résistance pendant l’Occupation allemande. C’est en 1940 que le chanoine commence à bâtir sa légende : alors que le maire de Dijon Robert Jardillier a quitté la ville, Kir est nommé membre de la délégation municipale de Dijon. Il permet l’évasion de milliers de prisonniers de guerre français du camp de Longvic. Cela lui vaut d’être arrêté et déchu de ses fonctions politiques, ce qui ne l’empêchera pas de faire montre de son patriotisme. Il sera d’ailleurs à nouveau arrêté en 1943. Le 26 janvier 1944, il est même victime d’un attentat perpétré par des Français à la solde de l’occupant. Blessé, Kir échappe à la Gestapo en quittant Dijon qu’il retrouve le 11 septembre 1944, jour de sa Libération où il entre en triomphateur juché sur un char ! Deux ans plus tard, Kir est nommé chevalier de la Légion d’Honneur, et cité à l’ordre de l’armée.
Élu triomphalement en 1945
Il y a 80 ans jour pour jour, le 13 mai 1945, Félix Kir est élu maire de Dijon avec près de 80% des voix. Au-delà des clivages partisans, le chanoine et son âme de patriote-résistant font l’unanimité dans la cité des ducs. Un scrutin historique, d’autant plus que c’est le premier à inclure le vote des femmes en France.
22 ans à la tête de la ville
Du 13 mai 1945 à sa mort (le 25 avril 1968), Félix Kir dirige Dijon sans discontinuer. Il sera réélu en 1947, 1953, 1959 et 1965, ce qui doit laisser rêveur bien des candidats. Il modernise la ville, soutient la reconstruction et lance des projets majeurs en matières de logements, d’équipements publics et d’embellissement du centre-ville.

Député infatigable
De 1945 à 1967, Félix Kir siège à l’Assemblée nationale comme député de la Côte-d’Or. Le cumul des mandats ne date donc pas d’aujourd’hui. Doyen de l’Assemblée, Kir présidera à ce titre la première séance de la toute jeune Ve République de 1958. Durant plus de vingt ans, Félix Kir siège comme député de la Côte-d’Or. Membre du MRP puis apparenté à la droite modérée, il défend avec acharnement le monde rural, la Bourgogne viticole et les petites communes. Il est aussi très actif sur les questions d’éducation.
Un homme de foi
Ordonné prêtre en 1901, il occupe les fonctions de vicaire à Auxonne, curé à Drée, vicaire à Notre-Dame de Dijon de 1904 à 1910, curé de Bèze de 1910 à 1924. Pendant la Première Guerre Mondiale, il sera mobilisé à Châtillon-sur-Seine parmi le personnel hospitalier. De 1924 à 1928, on le retrouve curé à Nolay puis il est nommé chanoine honoraire en 1931. L’abbé Kir reste fidèle à sa soutane toute sa vie, jusque dans l’arène politique. Tout au long de sa vie, il a cumulé les fonctions de député, maire et conseiller général sans jamais renier sa foi ni son franc-parler.

Un homme de foie
Outre le lac artificiel créé à sa demande pour réguler les crues de l’Ouche et agrémenter Dijon, et l’essor des quartiers de la Fontaine-d’Ouche, Kir a donc laissé son nom au cocktail servi aux banquets de sa mairie, fait de crème de cassis de Dijon et d’aligoté. La recette originale n’a pas changé mais les proportions si, l’aligoté d’aujourd’hui ne faisant pas friser les dents comme autrefois. C’est pourtant à un autre maire de Dijon, Henri Barabant (élu de 1904 à 1908) que l’on doit probablement l’invention du cocktail, déjà servi dans les salons municipaux. Kir en restera l’ambassadeur universel puisqu’on raconte qu’il ne partait jamais à Paris sans son cabas contenant les ingrédients nécessaires à la fabrication du mélange, dont il faisait profiter l’entourage…
Double K
Et puisqu’on parle de mélange, cet homme marqué à droite, mais ouvert au dialogue, fut aussi celui qui rencontra Nikita Khrouchtchev, lors d’une visite en France de ce dernier, puis au Kremlin à Moscou. Une première rencontre aurait dû avoir lieu à Dijon mais n’a pu se produire mais peu importe. En l’honneur du Premier secrétaire du parti communiste de l’URSS, fut créé dans les cafés de Dijon le Double K : un Kir classique auquel est additionné de la vodka.
« Et mon cul, tu l’as pas vu ? »
Félix Kir était célèbre pour ses discours colorés, souvent en patois bourguignon. Son humour, son accent et ses formules savoureuses faisaient mouche. La soutane, qu’il portait sur les bancs de l’Assemblée n’est pas le seul coup d’éclat du truculent chanoine. On raconte qu’il prit un jour le képi pour régler la circulation à Dijon, et répondit à un élu communiste l’accusant de croire en un Dieu qu’il n’avait jamais vu: “Et mon cul, tu l’as pas vu et pourtant il existe !” Pas forcément très élégant, mais efficace.

Le lac Kir, le projet d’une vie
« C’est mon rêve depuis 1891 ! »Après avoir voulu « nourrir, vêtir et loger les Dijonnais », comme l’annonçait sa profession de foi électorale de 1945, le chanoine Kir élu maire de Dijon relança son « vieux rêve » d’un lac où ses administrés pourraient aussi se divertir. Pugnace, l’édile mena l’affaire à flot, inaugurant de son vivant le lac qui porte encore son nom et fêtait l’an passé ses 60 berges.
La DS du chanoine dans le lac !
En octobre 1965, par des journées diluviennes, le député-maire de Dijon, Félix Kir, faillit se noyer dans son lac tout juste inauguré un an plus tôt. Ni conte, ni affabulation de tabloïd, c’est le journal Le Bien Public qui en fait ses chaudes larmes. Le chanoine sera finalement sauvé in extremis par deux pompiers dans sa DS officielle qui avait terminé sa course contre le barrage de protection du lac en crue. Les faits relatés par le quotidien sont on ne peut plus clairs : engagé imprudemment sur un sentier inondé, le chauffeur fit demi-tour, mais la DS glissa, aspirée par la crue boueuse. Pourtant expert patenté en tout ce qui pouvait s’expertiser, le chanoine a sous-estimé la violente montée des eaux. Selon le phénomène de la bassine qui déborde, le second barrage qu’il a voulu en amont semble même avoir amplifié la crue au lieu de la contenir. De cette mésaventure, le magazine Times fait alors ses choux gras, rapportant la manière dont le maire regagna Dijon… par le train. Avec en prime, une incongrue publicité internationale sur le lac et sur son personnage à godillots, fervent animateur des fêtes patronales et autres jumelages européens.