Période post Covid, limites du tout bio et aléas climatiques : cette trilogie conjoncturelle a bouleversé le monde agricole. Face à la nouvelle donne, Didier Lenoir et Christophe Richardot, respectivement président et directeur général de Dijon Céréales ont semé les graines de ce qu’ils nomment « l’anti-fragilité ». Explications.
Rappel des faits et des chiffres. Dijon Céréales, c’est près de 3 500 adhérents, 500 à 600 millions d’euros de chiffre d’affaires selon les années, une collecte avoisinant les 800 000 tonnes de céréales. Une paille ! Un volume impressionnant que l’on doit aussi mettre en perspective dans le cadre de l’Alliance BFC, que la coopérative forme désormais avec ses jumelles régionales Bourgogne du Sud et Terre Comtoise, et qui mobilise au total 12 000 coopérateurs.
Retour à l’essentiel
Au lendemain des manifestations qui ont braqué les regards sur lui, le monde paysan revoit ses champs d’investigation. Didier Lenoir et Christophe Richardot, respectivement président de Dijon Céréales et directeur général de Dijon Céréales/Alliance BFC, sont aux commandes d’un grand bateau qui surfe sur les vagues provoquées par le déchainement des éléments. « Depuis 2012, nous sommes confrontés à l’accélération des facteurs climatiques négatifs pour la production végétale », rappelle en préambule Christophe Richardot.
L’enjeu est sociétal. Après l’euphorie « bio » déclenchée sous l’ère du Covid, « on a fini par retrouver dans les assiettes du bio hyper cher venant parfois du Chili ». Comme la nature, le vice de la distribution a horreur du vide et favorise les incohérences. Notre système a donc découvert que derrière l’angélisme de l’intégrisme « vert », de nouvelles aberrations se font jour au gré des aspirations du marché. Les tendances se sont depuis inversées. « Une forme de confiance s’est installée au profit du local, le bio étant devenu une option du local ».
Ainsi fut venue l’heure de la re-régionalisation, y compris dans la production des énergies. Le monde coopératif brasse des volumes importants qui permettent d’engager des réformes massives en profondeur, sans que ses adhérents aient à en subir frontalement et directement les secousses. Face aux variations des cours et aux intempéries, il gère, il temporise, il amortit les chocs. « Nous sommes partis de la globalisation pour revenir à des choses essentielles », résume encore le patron opérationnel de l’Alliance BFC, qui se félicite en passant que la moitié des productions BFC sont diffusées en France, le quart étant plus précisément consommé dans notre région. La Bourgogne-Franche-Comté serait donc assez bonne élève en la matière.
Méthanisation à plein gaz
Plus de 700 collaborateurs s’impliquent dans Dijon Céréales. En Côte-d’Or, leur action concerne 70 % des parts du marché. Ces techniciens accompagnent au quotidien les éleveurs et les céréaliers, dont 60 % sont ce qu’on appelle des polyculteurs. Objectif prioritaire : « Ne pas subir les marchés. »
La multiplication des débouchés sur le local est une arme indiquée : « On peut favoriser le travail de nos meuniers, procurer de l’orge à nos malteurs pour des brasseurs locaux de plus en plus nombreux… » Privilégier la proximité et la diversification est une bonne façon d’échapper, dans la mesure du possible, à l’effet boomerang du conflit russo-ukrainien qui pèse outrageusement sur les conditions d’approvisionnements en engrais.
En gestionnaire avisé des fluides financiers, le stratège de la coopération en vient à conclure que, parfois, une « crise de trésorerie n’est pas forcément un mauvais signe pour l’activité ». Dieu que ce monde est complexe !
Par ailleurs, le circuit régional se montre plus simple à maîtriser. On préfère alors s’intéresser de plus près aux enjeux énergétiques et sanitaires. Le pari de la méthanisation fonctionne à plein gaz désormais. Le 7 mai, Dijon Céréales lancera entre Cerilly et Sainte-Colombe-sur-Seine, dans le Châtillonnais, l’un des plus gros méthaniseurs de France. 200 000 tonnes d’intrants végétaux, quasi exclusivement du seigle fourrager cultivé sur 5 000 hectares par 150 coopérateurs volontaires, vont assurer le gros de sa production.
Selon Les Échos, l’exploitant du site, le Danois Nature Energy (groupe Shell)« annonce une production de 2 400m³/heure de biométhane injecté dans le réseau GRDF, soit la consommation annuelle en gaz pour le chauffage de 18 000 foyers ». Le méthaniseur procurera aussi du fertilisant aux agriculteurs « au lieu des engrais de synthèse ».
Bon sens, don du ciel
Un sacré défi. « Nous investissons déjà 100 millions d’euros dans ce développement qui alimentera directement 15 % des besoins de la Côte-d’Or. Nous visons, à terme, l’équivalent de 35 % des besoins du département », annonce Christophe Richardot. Tout ça grâce à des récoltes intermédiaires, historiquement infructueuses, qu’on utilise désormais à bon escient. Dans son nouveau costume de productrice d’énergie, la coopérative s’intéresse aussi à l’agrophotovoltaïque. « Notre investissement dans l’agroénergie sert à sécuriser nos agriculteurs », affirme Dijon Céréales, en bonne entente avec « la Région qui aide à la conversion ». Cette quête de souveraineté est élargie à la chaîne alimentaire. « Nous donnons un maximum de sens à nos métiers dans un écosystème bienveillant ».
« Nous Autrement » est d’ailleurs la marque et démarche assumée sous cette double dénomination. Premiers consommateurs de leurs propres productions, les coopérateurs revendiquent une rémunération au juste prix, une consommation raisonnable et équitable tout en aspirant à un autre regard sur les filières de la région. 3 000 produits et un projet d’alimentation en blé de 500 boulangeries de la région sont déjà dans les tuyaux.
L’eau, plus que jamais, est aussi un sujet brûlant. Elle fait l’objet de « la mise en place de réserves à la faveur d’une production circulaire ». À Auxonne, deux ilots d’une vingtaine d’hectares sont prêts à accueillir la bagatelle de 50 000 arbres fruitiers. 50 % d’entre eux répondront aux besoins des industriels du jus de fruit… dont le fournisseur d’une chaîne de fast-food jaune et rouge.
Oncle Ronald deviendrait ainsi l’ami du local… À croire que rien ne sert de schématiser lorsque l’on parle de la chaine alimentaire. Comme pour la météo, le bon sens est ici un don du ciel.
Un championnat du monde de vélo… pour agriculteurs
WACC ou World Agricultural Cycling Competition. Tout est parti d’une virée sur le mont Ventoux, dans le cadre du championnat du monde de vélo des énergies renouvelables, début juin. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les agriculteurs ? Après tout, Bernard Hinault n’était-il pas un homme de la terre avant de devenir le plus grand de nos champions ?
Jamais à court d’énergie, adepte lui aussi de la petite Reine, Christophe Richardot s’est emparé du dossier. Et a créé, avec l’Alliance BFC, la première édition du Championnat du monde de vélo pour agriculteurs. Cela se passera du 7 au 9 juin, au départ de Gilly-lès-Cîteaux, sur le parking de… la fromagerie Delin. La boucle est donc bouclée.
« Notre organisation s’est inspirée du semi-marathon des coopératives. Le succès est déjà au rendez-vous, avec pas moins de 45 équipes inscrites, de 8 à 12 personnes chacune dont au moins une femme » se félicite l’organisateur. Découverte, féminine, Premium, Elite : ces 5 catégories rassembleront 500 coureurs environ, d’une dizaine de nationalités différentes, sur un parcours préparé avec le soutien technique de l’incontournable club local, le SCO Dijon. Mais l’objet premier de l’événement demeure l’échange, la convivialité, et le rapprochement entre sport et entreprises, dans un univers qui pratique habituellement la vie en solitaire.