Frédéric Dumélie, du mythique An-Fer dijonnais au paradis catalan

Les nuits de L’ An-Fer hantent encore la mémoire des Dijonnais et des amateurs de musique électro, dans le monde entier. Près de 15 ans après la fermeture forcée de son mythique établissement, Frédéric Dumélie assure avoir trouvé son paradis en Catalogne. Dijon-Beaune Mag l’a retrouvé en pleine forme.

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Propos recueillis par Thomas Barbier pour Dijon-Beaune Mag
Photo: Emmanuel Ravazi

Nous sommes dans le quartier d’El Born à Barcelone où il réside depuis plus de 10 ans. « C’est sympa de venir me voir. Alors, ça devient quoi Dijon? ». Ceux qui connaissent le « Fred de L’An-Fer » comprendront que la question est un brin ironique. Au cœur des années 90, L’ An-Fer était comme un mythe générationnel de la techno. Pour autant, il ne cachait pas son exaspération de la ville.

« Le maire de l’époque ne nous avait pas beaucoup soutenus… Cela dit, la municipalité suivante non plus! » Frédéric Dumélie fait ici référence à un jour noir pour toute une génération, celui de la fermeture administrative (et définitive) des portes de L’An-Fer. C’était le 13 juillet 2002. « Dans les années 90, un promoteur immobilier bien connu sur la ville avait racheté la totalité de l’immeuble qui abritait notre discothèque, raconte Fred, on a vite compris avec ma mère et mon frère, qu’on chercherait à tout faire, quitte à utiliser des méthodes très limites, pour nous mettre sous pression et nous exproprier. » Classique finalement.

D’autant que l’argument des nuisances sonores allait donner du grain à moudre aux ennemis de L’An-Fer.

Les années electro

Ironie du sort, l’histoire aurait pu s’écrire tout autrement. « Quand on pense que dans le même temps nous avions proposé à ce même promoteur d’acheter le rez-de-chaussée pour y créer un restaurant… », s’étonne encore l’expatrié dijonnais. Pour lui, l’aventure de la nuit avait pourtant commencé comme dans un rêve. Début des années 80, c’est la Brasserie du Nord, l’établissement familial qui lui permet de faire ses premières armes en tant que DJ. À 16 ans à peine, il se retrouve aux platines d’un petit club subtilement créé dans le caveau. Belle adolescence.

Fred se souvient d’une époque où la nuit dijonnaise était « un peu chaude, voire aux frontières de la voyoucratie : il y avait quelques énergumènes qu’il valait mieux savoir gérer, mais mon beau-père avait le mérite de taper avant de négocier. ça calmait tout le monde ». Autres temps, autres mœurs… La famille rachète alors le Moonlight, qui devient le Byblos.

« Une boîte de centre-ville représentative des années 80 mais dans laquelle nous cherchions déjà à imprimer une empreinte musicale empreinte du son New Wave ». Frédéric et son frère Franck, l’éternel compagnon de route, ont donc voulu parfaire leur expérience avant de prendre le risque d’un profond changement. Vite lassés de « la nuit traditionnelle », en 1989, ils décident de boucler leur affaire plusieurs semaines, de tout casser et de repartir d’une feuille blanche…

L’An-Fer est né! Pas encore celui des années de gloire, mais les fondations sont belles et bien là. « On s’est donné le temps decréer une âme pour le lieu et d’être sélectif à l’entrée, non pas du point de vue vestimentaire, mais plutôt de l’état d’esprit. Ça n’a pas forcément plu à certains, mais c’est à ce prix que nous sommes parvenus à créer une solide base de fidèles qui n’étaient plus attirés par les « macumba night »!»

L’An-Fer s’installe, avec une certaine différence sans vraiment se défaire, musicalement, d’un positionnement classique. Jusqu’au choc. Celui que les deux frères Dumélie éprouvent au contact de la techno. « Au festival de Rimini, nous assistons médusés au set d’un jeune gars que je qualifierais de différent. L’organisateur nous apprend alors qu’il est français! » Laurent Garnier fait les belles heures des nuits de Manchester. Il ne s’était pas vraiment préparé à voir les tôliers d’une boîte de province l’inviter en résidence régulière.

Naissance d’un mythe

La suite appartient à la chose publique. Elle reste gravée à jamais dans le marbre de l’histoire de la musique électronique. Tous les plus grand DJ du monde passeront derrière les platines du club dijonnais, jusqu’à faire de la ville bourguignonne une des plus importantes places européennes de la musique électronique.

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Mais L’An-Fer dérange l’ordre provincial établi. Frédéric se souvient d’une anecdote: « Un soir de 95, nous étions pleins et la police débarque. Avec la ferme intention de trouver de la drogue. Ils auront beau fouiller tout le monde, leur butin se limitera à un pauvre gramme de cannabis détenu par un client. Quelle prise! Mais cela leur a suffi pour nous faire fermer trois semaines… » Tout est dit. La forte présence de la communauté homosexuelle a aussi permis de contribuer à changer les mentalités.«  L’homophobie était encore très présente. À Dijon, on en était encore à vouloir “casser du PD” la nuit au lac Kir! C’est une fierté d’avoir pu laisser gays et lesbiennes libres de s’embrasser à L’ An-Fer. Je crois qu’on a contribué à casser certaines barrières car au final dans une même soirée on croisait de tout. Jeunes, vieux, hétéros, homos, riches, pauvres, notables, politiques, étudiants… Tout le monde cohabitait en totale convivialité. » L’An-Fer accède alors au rang de mythe générationnel, auréole qui le poursuivra au-delà même de sa fermeture en 2002.

Fred et Franck n’avaient donc pas pu faire naître un restaurant sous leur club. Ils ouvrent le 55, rue Condorcet. Le premier restaurant lounge de la ville avec un jeune talent prometteur en cuisine. Thomas Collomb sera celui qui, bien des années plus tard conduira à l’étoile son propre établissement, Les Cariatides. Le 55 est prisé du tout Dijon branché. Mais se voit privé par la préfecture, du jour au lendemain, de son autorisation d’ouverture tardive. C’en est trop pour Frédéric: « J’ai dit stop. Je vous la laisse, votre ville, je m’en vais! »

Nouvelle vie

2004. Frédéric et sa compagne Véronique rêvent d’Amérique du Sud. Mais par prudence font une première halte à Barcelone, histoire d’affiner l’apprentissage de la langue espagnole. Ils tombent en amour avec la ville. « Il n’y a pas mieux en Europe, c’est l’antithèse de Dijon. Bien sûr il y a le soleil et la mer mais au-delà de la carte postale, il y a une ouverture d’esprit. On sent que tout est possible ici et ce quel que soit son âge. » Rancœur, quand tu nous tiens…

Frédéric repart de rien, devient presque par hasard sommelier à Semon, un restaurant connu de l’aristocratie barcelonaise. Le Bourguignon impose sa patte et
sa passion du vin. Un autre « héritage de L’An-Fer où nous recevions les plus grands viticulteurs du monde. Je ne peux pas nier non plus que mes racines françaises et bourguignonnes donnent ici de la crédibilité ».

Aujourd’hui, Frédéric Dumélie s’est fait un nom et une réputation dans le monde viticole local. On lui doit de nombreuses cartes des vins de référence dans les bars et restaurants, surtout au cœur des très touristiques quartiers du Gothic et d’El Born. Épanoui dans sa vie espagnole, le jeune quinquagénaire vient de créer sa propre entreprise de distribution avec de solides associés qui possèdent cinq établissements de renom dans la ville. Prochaine étape? « Ouvrir en 2017 un bar à vins avec eux, mais l’idée de retourner un jour dans le milieu de la nuit ne me déplairait pas car la musique me manque. »

On murmure aussi qu’il se lancerait dans la création d’un restaurant avec un de ses amis chef d’entreprise dijonnais. « Vous êtes plutôt bien informés. Nous allons en effet le créer en plein cœur de Barcelone. Tout est calé. Il ne nous reste plus
qu’à trouver le lieu. »

Si pour lui Dijon était L’An-Fer, la Catalogne semble donc bien devenue le paradis de Frédéric Dumélie.