Gilles Hoang, « l’enfanteur de fauteuils » du Tournugeois, n’est plus

Adopté par le Tournugeois, le plasticien Gilles Hoang nous a quittés la semaine dernière suite à une chute accidentelle à son domicile. Né à Paris en 1958, cet ex-créateur de décors de théâtre avait ouvert à Bourgogne Magazine les portes de son atelier installé dans un ancien tabac-café-épicerie de Gratay (71). C’était en 2001, et les reporters du magazine avaient découvert un artiste à l’imaginaire fertile, et ses fauteuils baroques faits de bric et de broc, typiques de son univers onirique. Un univers qui a continué à le porter après son installation dans une usine désaffectée de Bresse-sur-Grosne en 2009, où il continuait à créer sans relâche, entre mobilier fantasmagorique, sculpture, peinture et dessin. Hommage à un artiste aussi singulier que talentueux.  

Par Xavier Gauthier – Photos : Jean-Luc Petit
Article paru dans Bourgogne Magazine n° 41, novembre 2001   

Photographié en 2001 dans son atelier par Bourgogne Magazine, Gilles Hoang est mort à 64 ans. © Jean-Luc Petit

 Un amas, un fatras de pièces disparates en bois et, tel un jeu de Meccano, Gilles Hoang élabore un siège au style unique, exubérant, comme sorti d’une bande dessinée fantastique. À mi-chemin entre le trône d’empereur mongol et le mobilier du Seigneur des anneaux.

À croire que les forces telluriques traversant la Bourgogne sont propices à ces révélateurs de nos inconscients. Pour Gilles Hoang, la création relèverait plutôt de l’enfance de l’art… Enfance, oui ! C’est le mot idoine pour décrire et décrypter le génie si singulier de ce designer à la créativité débridée. Démiurge des imaginaires, Gilles Hoang, 43 ans, rappelle les héros de notre jeunesse sur qui le temps n’a pas de prise. Incassable. Inclassable. Grand, svelte, le visage et le regard lunaire, cet adulte aux marges de l’enfance ne peut rester en place sans partir en grands gestes désordonnés.

Au loin, c’est une silhouette dégingandée qui accroche le regard. Comme un enfant vierge de toute (mauvaise) influence adulte, il crée et réinvente à chaque nouveau projet son propre monde. Projection de ses fantasmes entre lyrisme onirique et mysticisme.

Chaque siège est une narration de la propre histoire de Gilles Hoang. Il défriche ses propres contrées enfouies sous un imaginaire éthéré : « Dans mon parcours, il y a toujours eu une volonté de ma part de raconter ou transcrire une histoire, une nature de chose, de mythologie, de terrain vague… L’imaginaire est mon fil conducteur. » Peu enclin au travail académique, il a vite quitté les beaux-arts, une fois appris les rudiments de son art.

Gilles Hoang, un style unique

À travers ses expériences successives, Gilles Hoang met en partition son imaginaire : décorateur de théâtre, illustrateur de contes pour enfants, créateur de marionnettes. Peu importe le support, « ce qui compte c’est de pouvoir s’exprimer et, au-delà, raconter des histoires ».

Depuis trois ans dans son atelier de Gratay (commune d’Ozenay, près de Tournus)), un ancien tabac-café-épicerie, il fixe ses explorations dans la conception de mobilier, en l’occurrence sa dernière collection de neuf sièges, Les Imaginaires. Au style impossible à labelliser, à la fois baroque, foisonnant, multiethnique, oscillant entre jeu de construction, rêve inachevé, magnificence des formes et des volumes, pureté des lignes, cet ensemble de pièces en bois rarement ornées de métal compose une symphonie lyrique, puissamment onirique.

Gilles Hoang assemble par petites touches, retranche, rajoute, recycle, restaure jusqu’à parvenir à un équilibre des volumes et à une unicité des formes. Un travail d’alchimiste où l’artiste maîtrise et prend possession de la matière – « comme une bagarre » – pour finalement en extraire un matériau nouveau d’une limpidité déroutante. Plus détourneur que récupérateur, au départ, il chine dans les brocantes pour sélectionner des objets, loin du hasard. « Je les choisis selon leur nature, ce qu’ils m’évoquent. »

Gilles Hoang signait des fauteuils-sculptures typiques de son univers onirique. Ce style inclassable a fait sa renommée dans le paysage régional. © Jean-Luc Petit

Le bal du bois

Toujours en bois : « Ça a une histoire et c’est plus vivant. » Chaque pièce est alors soigneusement rangée et classée par famille sur les longues étagères de son atelier, une ancienne salle de bal.

Puis, après une période d’assimilation, émerge l’idée, le thème narratif. Comme un peintre, il travaille à partir de cette immense palette de bric-à-brac. « C’est un jeu de construction, il n’y a pas de dessin, je dispose les éléments les uns à côté des autres, je vois les volumes, j’enlève d’abord, puis je les remarie. » Le style de chaque pièce est, quant à lui, guidé par l’objet « qui me suggère, selon sa forme, sa nature, sa couleur, des volumes ». Exemple : l’utilisation de pieds de billard à l’envers l’a emmené vers quelque chose d’exotique « comme des chapiteaux, la place Rouge ou la Thaïlande et ses temples bouddhistes ».

De tout ce désordre et de ces dissonances apparentes, il crée des harmonies envoûtantes chargées de symboles. « Mes objets sont une projection de l’homme et de ses fantasmes : ils symbolisent le corps humain avec ses symétries. » Et, plus encore, de poésie : « Tout ce qui raconte l’homme dans son mystère onirique m’intrigue. Mes fauteuils ne sont qu’un support, c’est avant tout la vie. Ils doivent si possible suggérer, provoquer des émotions. » Ces sièges, par leur démesure même, invitent leur utilisateur au rêve, au dérèglement de (tous les) sens. Sièges de délires poétiques, d’ailleurs visités en songes, de voyages intérieurs. Des sièges thérapeutiques pour l’âme, mais aussi pour le corps. Un jour, une femme, après avoir longuement discuté dans l’un de ces fauteuils, s’est sentie relaxée. Le soir, elle consulte son chiropracteur habituel qui lui dit : aujourd’hui, vous n’avez pas besoin de moi.

Pouvoir magique des formes et des volumes, des matériaux possédant leur propre vécu. Puissance ensorcelante des mots. Chaque siège de cette série porte un nom évocateur : le Sourcier, le Devin, le Mage, le Chaman, le Rebouteux, l’Ermite, le Regueniou (le rebouteux, en patois bressan) ou encore la Diseuse de bonne aventure. À chacun de trouver sa vérité et, peut-être, d’y découvrir son bateau ivre.