Héros ordinaires #1 – Dr Carole Descharmes : « J’ai eu peur pour la première fois de ma vie de médecin »

Ils sont les petites pierres apportées à l’édifice de notre rémission. Portraits de ces travailleurs ordinaires, des gens simples et essentiels, sous l’œil du photographe Jean-Luc Petit. Épisode 1 : Carole Descharmes, médecin généraliste à Gergy (Saône-et-Loire).

Texte : Arnaud Morel
Photos : Jean-Luc Petit

Les services hospitaliers demeurent débordés par l’épidémie de Covid-19, mais on extrapolerait à tort qu’il en va de même pour les médecins généralistes. Certains d’entre eux, au contraire, connaissent depuis deux à trois semaines une vraie baisse d’activité que Carole Descharmes, médecin généraliste à Gergy, à 14 km de Chalon-sur-Saône, explique très simplement. « Les malades habituels ont déserté nos cabinets médicaux, par crainte de la contamination. Pendant les premiers jours du confinement, l’augmentation des cas probables de Covid-19 a masqué cet état de fait, qui est évident depuis près de 20 jours. Des patients non Covid sont venus me voir alors qu’ils reportaient leur consultation depuis des semaines. J’ai peur qu’après l’épidémie, on découvre des choses vraiment très embêtantes sur l’état de santé de nos malades ordinaires », analyse cette Dijonnaise d’origine, installée en Saône-et-Loire depuis maintenant 18 ans. Une peur qui s’ajoute à une autre, elle aussi inédite. « J’ai eu peur pour la première fois de ma vie de médecin, affirme la jeune femme, peur de rapporter la maladie chez moi, de contaminer mes trois enfants, de me contaminer… »

Si le Covid-19 effraie la généraliste, c’est autant du fait de sa nature hautement contagieuse que de la diversité des symptômes qu’il suscite. « Je n’ai jamais observé de pathologie qui se manifeste de manière aussi diverse. Au début de la crise, on ne parlait que des problèmes respiratoires, du mal de tête et de la perte de l’olfaction. Mais aujourd’hui, nous avons observé de nombreux cas de problèmes digestifs, notamment de diarrhées, ou dermatologiques. J’ai eu plusieurs patients présentant, comme seul symptôme, des engelures aux orteils », décrit-elle. Aujourd’hui, il faut aussi compter avec les effets délétères du confinement, et du stress lié à l’épidémie. Le docteur Descharmes observe de nombreux « syndromes anxieux » chez ses patients, des troubles du sommeil, l’impression de mal respirer…

« Aujourd’hui, nous manquons encore de blouses ; nous utilisons des combinaisons de peintre en bâtiment que nous ont donné certains patients. »

Il y a matière à enseignement, et à louanges, dans l’impeccable organisation qu’ont pu mettre en place les professionnels de santé de ce petit coin de Saône-et-Loire, entre ville et campagne. Très tôt, l’équipe de trois généralistes dont fait partie Carole Descharmes, au sein de la maison médicale de Gergy, a mis en place des consultations séparées, à la fois physiquement et au niveau des horaires, pour les patients potentiellement Covid et les autres. Les premiers consultaient à la maison de santé pluridisciplinaire, les seconds à la maison médicale. « Nous avons la chance d’avoir un pôle médical moderne, mais également une maison de santé pluridisciplinaire où officient un orthophoniste, ainsi que des infirmières, qui nous a servi à recevoir les malades du Covid », explique Carole. Pour le matériel de protection, il a fallu avoir recours, comme partout en France, à la débrouille : puiser dans les maigres stocks de masques que le cabinet gardait de la période H1N1, sonner aux portes de tous les fournisseurs et faire confiance à la grande solidarité des habitants. « Aujourd’hui, nous manquons encore de blouses ; nous utilisons des combinaisons de peintre en bâtiment que nous ont donné certains patients », déplore-t-elle.

Cette crise a aussi fait émerger la consultation à distance – la téléconsultation – comme une modalité pratique de l’exercice médical. « Il faut particulièrement surveiller l’évolution de la maladie autour du 7e jour, et nous avons systématiquement contacté nos malades dans cette période, en téléconsultation, pour les orienter éventuellement vers les services hospitaliers en cas d’aggravation », commente la généraliste. Résultat de cette bonne prise en charge, malgré quelques cas graves chez des patients fragiles, Carole n’a pour le moment déploré aucun décès dans sa patientèle.