Les 25 et 26 janvier, la 81e Saint-Vincent tournante multipliera par vingt la population de Ladoix-Serrigny, 1 800 habitants. Soudé autour d’une corporation viticole attachante, le village veut marquer le coup et montrer toutes les vertus d’une formidable appellation. Enquête entre les rangs de cette « terre du milieu » à cheval entre Côte de Beaune et Côte de Nuits.

Côté pile, une mer de vignes regarde le sud et inonde les collines disposées en enfilades. Elle est à peine fendue en son centre par une vallée en direction de l’arrière-côte. Magie du Jurassique, des pierres beiges aux reflets violines, dont on fait les plus belles dalles du pays, jaillissent de cette « terre du milieu » entre Côte de Nuits et Côte de Beaune. Coiffée de ses bois encore verts, l’éternelle montagne de Corton domine le paysage sans sévérité et veille sur ses grands crus.
Côté face, au fil d’une plaine qui s’étire jusqu’au Jura, un village et trois hameaux plus ou moins agglomérés (Buisson, Neuvelle et Corcelles), avec une bonne dose de verdure (470 ha de bois !) et la Lauve, née d’une très ancienne source vauclusienne, qui s’écoule dans un murmure. Ladoix-Serrigny, pays d’eau ? Saint Vincent lui-même ne l’avait pas vu venir. C’est pourtant bien de cette « douix » que le village tire son nom, accolé en 1988 au bourg historique de Serrigny, l’un des plus anciens de la Côte.
Ladoix-Serrigny le village-rue
Ladoix-Serrigny ne se laisse pas voir facilement. Depuis la route de Beaune, le village donne il est vrai un aperçu quelconque. « On le traverse généralement sans beaucoup se préoccuper de son admirable position », écrivait déjà l’archéologue Joseph Bard (1850), malgré tout admiratif de ce « Carrare de la Bourgogne ».
« L’antique bourgade naguère groupée près de la source s’est muée peu à peu en un village-rue, le long de la route royale, liant son destin à ce nouvel axe de communication qui a suscité au fil des ans, l’ouverture de carrières, l’installation d’auberges, de commerces, d’activités artisanales, d’entreprises de roulage transportant vins et marbres dans tout le royaume », restitue l’historien local Daniel-Paul Lobreau, auteur d’une présentation du village très vivante et didactique à la marge de la grande fête viticole des 25 et 26 janvier.



Un maire au top
Jérôme Fol connait son village de bas en haut et inversement. Couvreur charpentier toujours en activité, le maire veille sur les 1 800 habitants et les totems de la commune : la chapelle Notre-Dame du Chemin, le château de Serrigny et l’accueillante cour du Clos de Rancy de l’autre côté de la route, la Lauve et ses « spots » où les jeunes barbotaient jadis, le bar à vins, l’hyperactif foyer rural (20 sections, 500 adhérents dont la célèbrissime chorale du Vieux Cep !), les deux écoles, la petite zone artisanale qui accueille notamment trois tonneliers et l’emblématique verrerie Cheveau…
« Je ne veux pas que Ladoix devienne un dortoir près de Beaune. La Saint-Vincent est une occasion en or de faire la promotion du village, de montrer notre sens de l’accueil », milite l’édile, apprécié de ses administrés et en particulier de la communauté vigneronne.
La grande fête bachique a le mérite de réunir des habitants autour d’un projet qui dépasse le simple cadre du vin. « Ces gens qui cherchaient à s’impliquer dans les réunions publiques, tous ces bénévoles au service d’une certaine idée du village, ça m’a rendu super heureux », confirme l’élu, toujours là pour accrocher la belle affiche de l’événement sur le fronton de la mairie ou prêter un manitou.
Jérôme Fol est d’autant plus motivé qu’il ne cache pas sa lassitude du poste, pris un peu en catastrophe en 2020 « pour que la commune ne tombe pas entre les mains du premier venu ». Sa relation avec sa commune d’adoption est d’autant plus forte qu’un incendie a réduit en cendres sa première maison, en janvier 1995, alors qu’il venait de s’engager chez les pompiers, avant d’en devenir chef de centre.
« La rivière passait dans la propriété, moi qui suis pêcheur, j’adorais… J’ai été très touché par la solidarité du village. À l’époque, il n’y avait pas de cagnotte en ligne, ma fille venait de naître, les gens m’ont offert des vêtements, donné des coups de main… Je me suis toujours senti redevable », explique posément celui qui boucle son quatrième mandat municipal, le premier avec l’écharpe.
L’homme n’est « pas un énarque », il veille très concrètement au développement de sa commune avec des problématiques que des jolis villages de la Côte connaissent bien, comme la régulation des hébergements de location, pour continuer d’attirer les jeunes familles et, in fine, protéger les classes de la fermeture. Tout cela avec une garde rapprochée « qui aime Ladoix et tient à son dynamisme », à l’image de l’infatigable Gaston Ravaut, du domaine viticole du même nom.

11 familles vigneronnes
D’ailleurs, les vignerons du cru cohabitent dans un bon esprit. Ladoix-Serrigny peut fièrement revendiquer un modèle de viticulture familiale. On compte ici 11 familles vigneronnes, dont le cep est enraciné sur trois à six générations : les Mallard, Maldant, Jacob, Cornu, Chevalier, Capitain, Cachat, Ravaut, Perrin, Nudant, Maratray. Les connaisseurs ne manqueront pas d’associer ces noms à un flacon de leur souvenir.
Tous veulent faire découvrir le charme de leur appellation, l’esprit jeune et volontiers potache d’un village encore escorté de ses petites légendes. Le caractère fier des « ours » de Buisson répondrait ainsi aux « coucous » de Corcelles qui, parait-il, allaient nicher chez les autres… Mais cela n’est qu’une légende.
La Saint-Vincent tournante 2025 mérite d’autant plus le déplacement que l’appellation en vaut la peine malgré la modeste taille de son vignoble (une centaine d’hectares dont 70 en rouge, la tendance étant au « blanchiment »). Ladoix est un condensé géologique de la Bourgogne côte-d’orienne, avec 11 premiers crus et deux grands crus (Corton et Corton-Charlemagne) sur son territoire communal, ainsi qu’une curiosité, l’excellent Bourgogne « La Chapelle Notre Dame ».
L’ombre de Corton
Dans le paysage, la colline de Corton ressemble à un cadeau tombé du ciel, parfois un peu lourd à porter. Chacun le vit ici comme une sorte de « je t’aime moi non plus » : CORTON, ces six lettres affichées dans les vignes façon Hollywood font autant de bien à la réputation qu’elles masquent l’excellence d’un ladoix village bien fait, dont les professionnels du vin raffolent par ailleurs.
Qu’importe, les vignerons d’ici sont restés à prendre soin de leurs rangs et de leurs meurgers. Personne n’a cédé aux sirènes des prix délirants que l’on pratique tout près. Les nouvelles générations, souvent des femmes d’ailleurs, savent à quel point les anciens ont œuvré pour s’émanciper de Beaune et gagner la reconnaissance de l’AOC en 1937.
« Grâce à notre Balade gourmande, qui a lieu chaque été depuis 1996, nous avons déjà un joli vivier de 200 bénévoles. Cela a permis de mélanger les générations. On se connait tous et on sait vivre ! », résume Vincent Ravaut, le coprésident de l’événement (lire pages suivantes). Voilà un bel hymne à Ladoix. L’autre arrivera en janvier. Pourvu que ça dure !