L’affaire Saint-Aubin : accident ou crime d’État ?

Ancien avocat et écrivain, Denis Langlois a consacré deux ouvrages à l’énigmatique fait divers ayant causé la mort deux jeunes Dijonnais. Après Le mystère Saint-Aubin en 1993, il vient de publier L’affaire Saint-Aubin aux éditions La Différence, nourri de nouveaux éléments. Entretien.

Par Antoine Gavory / Proscriptum
Photos D.R.

La présence de certains éléments (les déclarations de Jean Méningaud, le versement de dédommagements à la famille…) peuvent mettre en cause l’État français ?
En indemnisant en 1990 la famille Saint-Aubin, l’État a reconnu officiellement le mauvais fonctionnement de la justice. C’est une décision exceptionnelle que l’on étudie dans les facultés de droit. Une façon aussi de saluer le combat particulièrement courageux du couple Saint-Aubin, et plus spécialement de Mme Andrée Saint-Aubin sans qui il n’y aurait sans doute pas eu d’affaire. Auparavant, en 1985, un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires avait reconnu l’intervention d’un camion militaire dans l’accident mortel de Jean-Claude Saint-Aubin et Dominique Kaydasch. C’est là aussi exceptionnel. Mais l’État n’a pas été jusqu’à reconnaître le caractère volontaire de l’intervention du camion militaire, et n’a donc pas conforté l’hypothèse d’un attentat contre Jean Méningaud (le trésorier de l’OAS, qui utilisait une voiture similaire) ou d’autres personnes que les services secrets français auraient pu confondre avec les deux jeunes Dijonnais.

En supposant qu’il s’agit bien d’un assassinat politique, peut-on imaginer qu’un jour l’État puisse reconnaitre ses torts ?
Oui, on peut l’imaginer. Mais en général cette sorte d’affaire demeure secrète. Ce qui est évident, c’est que, dans certaines circonstances, l’assassinat peut être l’un des recours des services secrets pour éliminer un opposant politique. L’affaire Ben Barka en est l’exemple le plus parlant. Mais il ne faut pas compter sur l’État – ou plutôt sur les gouvernants qui se succèdent – pour reconnaître de tels faits. Il y a curieusement, au-delà des clivages politiques, une sorte de solidarité dans la dissimulation. Ce sont les journalistes et les historiens qui se chargent de les révéler.

Enfin, existe-t-il aujourd’hui des recours ou doit-on définitivement considérer que cette affaire ne sera jamais résolue ?
Un nouveau recours judiciaire n’est possible que s’il y a des éléments nouveaux. Rien n’est à exclure dans ce genre d’affaire où les révélations, fausses ou exactes, n’ont pas manqué. En plus de faire le point, j’espère que mon livre suscitera des réactions, que des gens qui savent ce qui s’est passé en 1964 près de Fréjus se manifesteront. On peut imaginer que quelqu’un, au soir de sa vie, veuille soulager sa conscience. Et puis, cette affaire aura 60 ans en 2024, c’est l’âge à partir duquel la loi prévoit qu’une partie des dossiers classés « secret Défense » peuvent être rendus publics. Espérons donc. L’affaire Saint-Aubin n’est certainement pas terminée, d’autant que des descendants de la famille Saint-Aubin envisagent de prendre la relève…


LES FAITS

5 juillet 1964. Il est 7 heures du matin quand dans le virage des Esclapes,
à Puget-sur-Argens, près de Fréjus, Jean-Claude Saint-Aubin, 22 ans, fils
des célèbres bijoutiers de Dijon, et son amie Dominique Kaydash, 18 ans,
quittent la route au volant de la Volvo du jeune homme et s’enroulent
autour d’un arbre. Ce qui aurait pu être un banal accident de la route va
alors devenir la plus longue affaire judiciaire de France…