Les candidats amateurs ont participé avec beaucoup d’amour au championnat du monde des œufs en meurette, dimanche 13 octobre 2024, au château du Clos de Vougeot. Un constat demeure pourtant après dégustation : nous devons sauver le soldat « croûton aillé » ! Plaidoyer pour le retour en grâce de cet élément fondateur de la réussite d’un plat essentiel.
Par Dominique Bruillot
Vieux croûton du jury amateur du championnat du monde des œufs en meurette
Personne au monde ne sait faire du salmis de pintade comme ma bonne mère. En Bresse, la volaille, il est vrai, est un objet de culte. Livrée dans son intégrité, cou et abats compris, la pintade (pas ma mère, s’il vous plait !) nage de bonheur dans une sauce soigneusement liée, réalisée avec un vin rouge corsé et un doigt d’alcool, le cognac étant le bienvenu.
Mais ce qui sublime notre Madeleine de Proust, en la circonstance, est planté à la verticale, sur les bords du plat. Des croûtons aillés, longs et croustillants se positionnent dans un rôle intermédiaire entre la joyeuse fête des ingrédients et l’invitation à croquer dans ce pain fier comme Artaban, pour se mettre de l’ail dans le palais. La réussite du plat tient à cet équilibre. Ainsi soit-il.
Une passion aussi parfaite que l’œuf…
Pour les œufs en meurette, c’est un peu pareil. Un savant mélange réunit œufs pochés, lardons, échalotes, oignons grelots, champignons de Paris, le tout sur fond de pinot noir. Il relève d’un art ancestral, oral le plus souvent, celui de la transmission et des traditions. Cela, tout le monde le perçoit bien. Chacun à sa façon en a une interprétation. Cet héritage du goût et de la manière de faire est une base. Mais il a besoin d’un petit truc en plus.
Dimanche dernier, les membres privilégiés du jury présidé par Fabien Pairon, le champion du monde en titre, ont vu bien des façons de traiter nos œufs. De sucreuse, la sauce est passée à vinaigrée, fade, grossière, hyper liquide mais aussi, fort heureusement, équilibrée au gré des candidats. La garniture, parmi les neuf propositions soumises aux jurys, a voyagé de la discrétion la plus frustrante à la présence d’oignons grelots trop gros pour être honnêtes, proposant au milieu de tout cela, une juste composition. Quant à l’œuf, chez les amateurs, nous l’avons trouvé parfait parfois. Donc rien à redire, la passion est intacte.
…mais un croûton oublié
Une constante marque cependant la dégustation. Cette constante semble avoir pris racine dans les habitudes d’une époque aseptisée, qui n’a pas le goût du défi : on craint de mettre de l’ail dans le croûton, on craint de le préparer suffisamment pour ce moment de fête.
Un croûton aillé, dans toute sa splendeur, c’est craquant, bruni, et aillé. Il est celui qui va réveiller votre palais face aux douceurs d’un œuf baignant inconscient dans sa sauce, si bien considérée par ailleurs. Ne serait-il donc qu’un accessoire, une garniture futile ? Que nenni, le croûton aillé est un faire-valoir du reste du plat. Sans lui, l’œuf en meurette perd de sa complexité. Sans lui, c’est l’ennui garanti !
Au pays des œufs en meurettes, l’œuf et le vin jouent les premiers rôles. Le croûton aillé, quant à lui, débarque en guest-star pour donner à l’assiette la petite touche de nervosité qui met les sens en éveil. Le croûton aillé, ignoré désormais, voire déconsidéré, mérite votre soutien, amis gastronomes. Ensemble, sauvons le croûton aillé !
Faisons en sorte que ce grand oublié de nos pourtant si généreux cuisiniers amateurs puisse regagner sa place au Panthéon de la cuisine classique. Battons-nous jusqu’au dernier souffle pour que nos œufs en meurette, qui ont belle allure la plupart du temps, retrouvent aussi une fière « aillure » (néologisme de bon aloi). Au nom de la poule qui fait l’œuf et de l’œuf qui fait la poule, cette question est primordiale ! Que la basse-cour des rois du piano nous entende !