Livres: sélection bourguignonne d’un printemps classé XX

Tout doux! Certes, les beaux jours reviennent (enfin, c’est ce que l’on aurait aimé croire ce week-end) et la sève monte dans les forêts de feuillus, mais si notre sélection printanière de livres porte ce titre troublant, c’est tout bonnement, voire scientifiquement, parce que les femmes en sont les incontestables figures de proue.

Par Emmanuelle de Jesus et Antoine Gavory, Proscriptum
Pour Bourgogne Magazine

Pardon, Clara
Didier Cornaille

Pardon-ClaraÇa commence comme souvent chez Didier Cornaille: Antoine, Parisien bobo et tendre, découvre les charmes du Morvan en rendant visite pour la première fois à ses beaux-parents. Lors d’une de ses balades d’ornitho­logue amateur, il est profondément choqué en découvrant une coquette fermette dont le portail a été tagué d’une gigantesque étoile de David. Bientôt, Antoine fait la connaissance de la propriétaire des lieux: Clara, institutrice à la retraite, a fait toute sa carrière dans ce village morvandiau. Mais Clara est une étrangère, recueillie toute jeunette par des Justes, des paysans qui ont sauvé cette petite Juive dont les parents sont morts en déportation. En grandissant, Clara a peu à peu compris que, malgré les années, elle resterait « la Juive ». Elle a aussi pris conscience que si ses parents ont été cueillis à la descente du car qui les emmenait vers la mort, c’est parce que quelqu’un au village les a dénoncés. Quelqu’un auprès de qui elle a grandi… Cette histoire tragique, Antoine l’apprend au fil de discussions avec Clara ; conversations passionnées qui rapidement dépassent le drame intime pour prendre des accents universels. L’altérité, la méfiance, le goût ou le dégoût de « l’autre » (le frère adoptif de Clara, misanthrope et raciste, est un poème!), le pardon aussi, sont abordés sans prêchi-prêcha, tant la vitalité de Clara, sa joie, malgré tout, sa mélan­colie gaie et son érudition donnent le sourire. Presses de la Cité, 19 euros.

L’Ivre Cœur
Anne Brobbel Dorsman 
l-ivre-coeur-1Un premier roman coup de poing porté avec enthousiasme par les éditions de l’Armançon, qui peuvent être fières
d’avoir déniché cette pépite. L’histoire débute lorsque Louise, enceinte et escortée par sa fille Emma, revient chez son père, veuf, qui des années plus tôt l’a chassée de la maison familiale. Sur ce drame, cette incom­préhension, le père et la fille n’ont jamais pu mettre de mots. Mais Emma n’aime pas le silence et par ses rires, sa franchise innocente, elle brise rapidement les défenses de son grand-père bougon, son « papi Albert ». C’est elle, ce torrent de vie, qui enchante les derniers jours du vieil homme et lui permet de faire ce dernier cadeau à Louise: deux cahiers et une lettre pour lui dire enfin son amour. Débuté comme une série de saynètes à l’écriture volontairement hésitante, hachée, mimant les retrouvailles de Louise et de son père, le roman bascule lorsque, en même temps que l’héroïne, nous découvrons les cahiers. Un cahier de guerre où Albert, prisonnier dans une ferme en Allemagne, écrit et dessine Marie, son épouse laissée en France, et leur petite Louise. Un cahier dans lequel il consigne aussi sa répulsion, son dégoût, et bientôt un désir trouble, puis irrésistible, pour « Elle », la jeune fille de la maison. Les confidences de plus en plus hallucinées d’Albert sont rythmées par le deuxième cahier, écrit par la jeune fille allemande, dont la haine pour celui qu’elle appelle le « métèque » et la brutalité cachent mal des désirs naissants, une sexualité rageuse et, finalement, l’amour qu’elle éprouve pour Albert. L’histoire finit très mal, on s’en doute, autant en Allemagne qu’en France… C’est dans ces pages de guerre qu’Anne Brobbel Dorsman révèle son incroyable talent pour décrire les relations complexes unissant Albert et « Elle », l’ascension de leurs désirs, leur honte. Ces pages troublantes sont d’une maturité et d’une virtuosité d’écriture telles qu’on en regrette presque la pirouette temporelle des dernières pages. En tout cas, un auteur est né!
L’Armançon, 18,50 euros

Les collines de Jorance
Hugues Douriaux
Les-collines-de-JoranceVous rêvez d’un pavé à lire le week-end sous le soleil d’avril, d’un roman historique avec de gros morceaux d’amour dedans? Ce livre est fait pour vous! Suivez l’impétueuse Maud, qui fait penser aussi bien à Angélique (marquise des Anges)  pour le côté sentimentalo-historique – l’histoire se passe sous le règne de Napoléon III, dans la Bourgogne autunoise des hobereaux et des métayers –, qu’à Léa, l’héroïne de La Bicyclette bleue de Régine Deforges, car la jeune fille, certes marquise, n’a point la langue dans sa poche lorsqu’il s’agit d’exprimer ses désirs. Amoureuse folle de son cousin Armand de Jorance, elle est enceinte de lui lorsqu’il est contraint de partir en mission au Gabon, en tant que médecin militaire. Elle souhaiterait le rejoindre, mais la ruine de ses parents l’oblige bientôt à en épouser un (riche) autre. À ces rebondissements sentimentaux se mêle l’histoire de Rachel, la servante de Maud, et de son mari Mathieu, contaminé par les idées socialistes. Tout cela fait de ce roman touffu un livre addictif, on l’avoue… et la fin ouverte laissant présager une suite, on se délecte d’avance!
De Borée, 21,90 euros

Jeux mortels en hiver
Alfred Lenglet
Jeux-mortels-en-hiverCommissaire divisionnaire à la ville (à Lyon), Alfred Lenglet est par ailleurs passionné d’écriture. Avec ce deuxième opus, qui laisse présager une série à venir, il poursuit les aventures de son héroïne, le lieu­tenant Léa Ribaucourt. Cette fois-ci, la jeune femme est confrontée au cadavre d’un homme retrouvé dans les environs de Mâcon, tué d’une décharge de fusil de chasse. Il a seu­le­­ment pu tracer un mystérieux 4 sur le sol avant de sombrer dans le coma, puis de mourir. Léa enquête, se trompe, s’acharne, et fait finalement triompher la vérité alors que sa vie privée (on l’avait laissée dans les bras d’un juge d’instruction dijonnais) subit quelques revers. Une histoire actuelle, efficace, dont le charme tient autant à l’absence voulue de détails sanglants, voire gore (dont abusent les auteurs actuels avec délectation), qu’aux plongées délicates dans la psyché de l’héroïne.
Calmann-Lévy, 19 euros

Rouge Campagne
Loïc Le Goff
rouge-campagneVenu chercher le repos dans sa maison de famille à Saint-Loup-le-Vieux, Hervé Malgorn ne s’attendait pas à retrouver le village de son enfance sens dessus dessous suite à la mort violente de plu­sieurs de ses habitants. Ces meurtres sont-ils liés? S’agit-il d’un tueur en série ? Pourquoi Raymond, le vieil ami d’Hervé, souhaite-t-il lui parler ? Tandis que la police piétine, les journa­listes env­a­hissent Saint-Loup, semant le trouble chez les villageois. Dans la chaleur étouffante de l’été, l’atmosphère devient de plus en plus pesante… Dans ce premier roman de Loïc Le Goff, l’évocation sensible du bas Morvan nivernais plonge le lecteur dans une campagne brûlante, où hommes et terre ont une histoire commune.
L’Armançon, 18 euros