Saint-Vincent tournante : Puligny-Montrachet à village découvert

La Saint-Vincent sera, pour Puligny-Montrachet, une belle opportunité de faire découvrir sa vraie nature. Deux vignerons témoins de premier plan en disent un peu plus sur ce qui rend leur village si attachant : Mme le maire Alexandra Pascal et, bien évidemment, le président de la Saint-Vincent Jean-Michel Chartron.

Une Saint-Vincent, ça arrive une fois tous les 30 ans. En embarquant à leurs côtés Corpeau et le hameau de Blagny (lui-même débordant sur Meursault), les Pulignieusiens et les Pulignieusiennes démontrent que leur village est accessible. Les grands crus, d’ailleurs, sont restés dans les caves. Ils appartiennent à un autre monde, spéculatif et peuplé d’amateurs fortunés. Enfin, pas tout à fait, puisqu’une tombola exceptionnelle propose quand même, à la marge de la Saint-Vincent, 100 000 tickets à 2 euros pour tenter de gagner une des 100 bouteilles du prestigieux nectar offertes par les domaines locaux, au profit d’œuvres caritatives.

Parmi les 400 âmes recensées sur la commune, toutes ne sont pas vigneronnes, loin de là. « Il y en a 170 (ndlr, soit plus de 40 % !) qui ont plus de 70 ans » constate Alexandra Pascal, vigneronne et maire du village. Originaire d’un milieu viticole du côté de Merceuil, l’élue a débarqué dans les vignes locales en 2000. La jeune stagiaire ne tarda pas à épouser le pays et le vigneron de ce pays en même temps. Impliquée dans la vie locale, après avoir effectué deux mandats dont un en tant que première adjointe, la mairie lui tendra les bras. En plein Covid-19. Test positif.

D’eau et de vin

Cet esprit de partage l’obsède : « La seule chose que j’ai trouvé à faire, c’est de confier 1 hectare de puligny village à quatre vignerons, non renouvelable sur 5 ans, sans tacite reconduction. » Le procédé est malin. On pourrait même l’appeler « la parcelle tournante ». Il permettra à de nombreux pulignieusiens non exploitants, d’avoir un temps, rien que pour eux, 5 ouvrées à des conditions choyées : outre l’achat de la récolte, une dotation de 48 bouteilles qui permettront d’égayer les pots organisés par la commune.

Cela ne fait donc aucun doute, « Puligny est un village simple où il fait bon vivre, avec de beaux établissements autour de la place centrale, et une communauté harmonieuse qui sait se réunir en cas de coup dur. » Tout a été mis en œuvre pour que ce joyau du triangle d’or de la Côte de Beaune (avec Meursault et Chassagne-Montrachet), se montre accueillant comme jamais : changement de signalétique, grand nettoyage et tutti quanti. Il ne reste plus, maintenant, qu’à redonner un coup de vie à la place du Monument. Le projet est dans les cartons municipaux.

Jean-Michel Chartron, vigneron de la cinquième génération, a quant à lui vécu sa première enfance sur les terres de Sarre, en Allemagne, avant de revenir ici, avec ses parents, appelés à reprendre l’exploitation familiale. À peu de choses près, « Jean-Mi » se considère avec humour et bienveillance comme un migrant heureux : « À l’origine, les Chartron sont des huguenots bougnats, les Dupard (ndlr, fondateurs du domaine Jean Chartron actuel) venaient de la Côte chalonnaise. » Il avait naturellement les qualités requises pour prendre les rênes de cette Saint-Vincent confrontée à l’épreuve d’une crise sanitaire.

Étonnant village quand même que Puligny-Montrachet. Il produit du vin, de très grands vins, les meilleurs blancs du monde, mais l’eau l’empêche d’avoir des caves. La raison ? Une nappe phréatique proche de la surface. Alexandra Pascal n’y voit pas que des inconvénients : « Certes, on doit climatiser nos bâtiments, mais on a tous la chance d’avoir des puits. Et puis l’eau est à fleur de sol, donc nos vignes souffrent moins que leurs voisines. » La vigneronne est d’autant mieux placée pour en parler qu’elle produit aussi du meursault.

Aux limites du calendrier

Puligny attire les étrangers. Belges, Australiens et Russes impactent le prix de l’immobilier mais se montrent très soigneux avec leur pierre de villégiature. Les chambres d’hôtes sont pléthoriques. Une hôtellerie de qualité a émergé, elle est l’œuvre de l’incontournable Olivier Leflaive. Relayé aujourd’hui par sa fille, artiste dans l’âme tout comme lui, le papa fondateur de l’œnotourisme, enfant prodige de Puligny, a construit un petit empire de bistronomie, gastronomie et dégustation unique dans la Côte des blancs. Sur place, on trouve aussi d’autres endroits de beau standing, comme l’hôtel-restaurant Le Montrachet.

Les 19 et 20 mars 2022, des milliers de badauds défileront dans les rues. Enfin, on y croit cette fois-ci. Les températures devraient être plus clémentes pour la dégustation que lors d’une Saint-Vincent habituelle. « Du point de vue de la viticulture, on ne pouvait pas aller plus loin dans le calendrier », souligne toutefois Jean-Michel Chartron. Le grand public ne voit pas forcément tout cela, il vient pour se détendre et profiter des cuvées proposées par la Saint-Vincent. Considérant parfois les vignerons bourguignons comme les enfants gâtés du terroir. Pourtant, ces taiseux s’inquiètent en silence. La dérive du foncier ne favorise pas leur attachement à la transmission familiale, bien au contraire. Et après un millésime 2021 catastrophique, surtout pour les blancs, « 2022 se montre déjà comme l’année de tous les dangers », rappelle le président de la Saint-Vincent. Mais ne pensons pas à tout cela pour l’instant. Vincent veille au grain (de raisin). Tout le monde aura à cœur de profiter de sa célébration printanière, fut-elle décalée de 5 saisons.