Bâtiment en Côte-d’Or : patron, espèce en voie d’extinction ?

D’après la Fédération française du Bâtiment, 10 000 chefs d’entreprise du secteur vont bientôt partir à la retraite. Cela pose beaucoup de questions tant au niveau de la formation que de la transmission. Et implique une action généralisée, comme l’explique Florence Marceau, déléguée du groupe Femmes à la FFB Côte-d’Or.

Propos recueillis par Alexis Cappellaro
Pour Dijon-Beaune Mag n°72

Florence Marceau et Stéphane Clerc ont créé Élite Constructions en 2006. Cette entreprise dijonnaise de maçonnerie gros-œuvre emploie sept autres personnes : un chef de chantier, quatre maçons et deux apprentis (un deuxième année CAP maçon et un première année Bac pro maçon). ses domaines d’intervention sont variés : bâtiments industriels, bureaux, petits immeubles collectifs, pavillons, extensions, réhabilitations, accessibilité handicap ou rénovations. Passé par l’ESJDB (École supérieure des jeunes dirigeants du Bâtiment) – à Dijon en 2003-2004 pour Stéphane, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse en 2009-2010 pour Florence –, le duo sait à quel point la formation, y compris pour adultes, est la clé du renouvellement.

Ces futurs départs, c’est la fin d’un âge d’or ?
Oui et non. Ce qui est sûr, c’est qu’ils représentent un potentiel manque de connaissances et de compétences dans le Bâtiment. D’où l’importance de continuer à former les jeunes à nos métiers, en acceptant que la nouvelle génération ait une vision différente. Aujourd’hui, gérer une entreprise se fait aussi sur la base de nouvelles techniques, d’une conservation des savoir-faire, de stratégies de communication… L’équilibre est difficile.

L’ESJDB aide à ce remplacement. Quelle est sa valeur ajoutée ?
La formation était longue : une semaine par mois, sur une période de 16 mois, cela peut en effrayer plus d’un ! À mon sens, elle est essentielle pour comprendre la gestion d’une entreprise, sur les plans comptable, social, juridique. J’ai vite appréhendé la nature des négociations avec les acteurs que je pouvais rencontrer. J’ai gagné trois années de gestion d’entreprise : je savais lire et comprendre un bilan, j’avais une autre assurance face à un banquier ou un assureur… C’est une valeur ajoutée autant pour le patron que les employés qui l’épaulent : leur destin est directement relié aux compétences, ou incompétences, de celui ou celle qui les dirige.

Ces cursus sont-ils adaptés à la réalité d’une PME, qui a bien souvent besoin d’un « mouton à cinq pattes » pour la diriger ?
Ils sont animés par des professionnels qui sont ou ont été dirigeants d’entreprise, qui connaissent donc bien le terrain au quotidien. Quand un exemple est donné, je peux vous dire qu’il est basé sur des faits réels ! À chaque retour de semaine de formation, on peut déjà ajuster ses méthodes, voire pourquoi pas faire des choix décisifs.

Par exemple ?
Dans le cas d’Élite Constructions, nous n’étions pas au point en ce qui concerne la relance des devis effectués. Soit. À mon retour de formation, nous avons adopté un mode de relance par rapport à un calendrier entre la date du devis et le temps de relance. Chaque année, on affine ce mode de fonctionnement.

Tout cela rompt avec le fantasme des self-made-men (ou women) et des reprises familiales naturelles…
Lors de la formation ESJDB, j’avais des collègues enfants de dirigeants d’entreprise. Il existe sans doute une fibre naturelle, un effet miroir, mais cela ne faisait pas d’eux des self-made-men ou  women ! Cela s’apprend et se travaille au quotidien, peu importe l’âge. On ne doit baisser ni les bras ni la garde ! Être dirigeant, c’est écouter, déléguer, motiver. Nous devons être la locomotive et non le wagon.

La jeune génération qui arrive est-elle aussi décomplexée qu’on le dit ?
Sans doute ! Elle a le mérite d’apporter de la nouveauté dans nos métiers du Bâtiment. Un exemple : avec Stéphane, nous avons choisi le violet dans notre identité graphique. On nous a dit « personne ne vous prendra au sérieux » ! C’est tout le contraire qui s’est produit, nos clients ont apprécié le fait de sentir de la nouveauté, une patte, un caractère. La morale, c’est que l’on doit faire ce qui nous paraît juste.

Tout cela pose la question de la transmission. Comment la FFB21 appréhende cela ?
C’est un sujet sensible. Nombre d’entrepreneurs ont du mal à se détacher de leur entreprise, pour laquelle ils ont donné leur vie. Certains ne souhaitent même pas aborder le sujet. La FFB tente de faire des campagnes d’information auprès de ses adhérents et accompagne au cas par cas les opérations de transmission. On a déjà entendu : « Si j’avais su, je serais venu plus tôt, mais j’avais trop de fierté pour demander de l’aide. » Au bout du compte, c’est souvent un grand soulagement de savoir que son entreprise va continuer de vivre.

L’ESJDB propose aussi un cursus pour conjoints et collaborateurs du chef d’entreprise. La notion d’entourage était-elle aussi forte il y a 10 ou 20 ans ?
Le cursus était certainement beaucoup plus confidentiel. Par égo ou par manque de temps, les dirigeants ne comprenaient pas l’importance de faire cette formation longue durée, qui passe en fait très vite. Il faut dire qu’à l’époque, le statut de conjoint n’était pas reconnu de la même manière. Stéphane a eu la chance d’avoir, il y a quinze ans, un patron visionnaire qui lui a donné la chance d’effectuer cette formation : son conducteur de travaux devait pouvoir reprendre l’entreprise le moment venu. Un patron seul, dans sa tour d’ivoire, c’est un patron qui ne dure pas une éternité.

Vous êtes déléguée du groupe Femmes au conseil d’administration de la FFB21. Qu’est-ce que cela implique ?
J’anime un groupe de travail sur des thématiques qui nous concernent toutes. Nous avons les mêmes problèmes. Cela fait du bien d’en parler, de ne pas se sentir seule dans un monde parfois impitoyable. La FFB 21 m’aide pour organiser des réunions sur les sujets d’actualités, l’évolution des réglementations, les problématiques rencontrées avec les organismes que nous côtoyons au quotidien. Je me rends aussi chaque année à la FFB nationale pour un séminaire du groupe Femmes, très enrichissant. Les réunions sont très denses. Cette année, l’armée est intervenue pour nous montrer l’importance de l’esprit de corps. Une collègue en est repartie avec une énergie débordante. Quelques jours après notre retour, j’ai croisé son mari qui m’a dit : « Je ne sais pas ou tu l’as emmenée, mais elle est en pleine forme et booste l’entreprise ! »

Les femmes sont elles définitivement sur le chemin de l’émancipation ?
Dans le Bâtiment, j’ai le sentiment que nous sommes sur le bon chemin. Je le sens au quotidien : les réactions ne sont plus les mêmes qu’il y a quelques années quand une femme est présente sur un chantier ou en réunion. Bien sûr, à la marge, il y aura toujours des réfractaires. Ce n’est pas ce qui compte le plus.

L’apprentissage ou les opérations comme « Les Coulisses du Bâtiment » sont-ils les fondations de demain ?
L’apprentissage est essentiel : c’est au contact du terrain que l’on apprend le mieux ! Le bémol, c’est que nous manquons cruellement d’accompagnement de l’État. Les obligations (horaires, travail en hauteur, usage du matériel électrique) sont compliquées à mettre en place : comment peut-on apprendre son métier sans rien toucher ni monter sur un échafaudage avant un certain âge ? Concernant Les Coulisses du Bâtiment (ndlr, lire encadré), le but est simple : le Bâtiment ne doit plus être une issue de secours pour les jeunes en difficulté, mais seulement une voie choisie dans laquelle on veut s’épanouir.


Le Bâtiment côté coulisses
La FFB Côte-d’Or organise la 16e édition des Coulisses du Bâtiment, vendredi 12 octobre 2018 de 9 h à 17 h sur le site du chantier « Le Jardin secret » (rue Jean-Baptiste-Baudin, derrière le boulevard Voltaire à Dijon). En 2017, c’est le chantier du musée des Beaux-Arts de Dijon qui avait été retenu pour cette opération, permettant à 1 195 personnes de découvrir les métiers du Bâtiment. Les adhérents de la FFB et les entreprises intervenantes présenteront chacune leurs savoir-faire au jeune public (collège, lycées, stagiaires de formation professionnelle) à travers un espace d’exposition.