Crémant de Bourgogne et de lieu : Louis Bouillot prend les devants

Enfin décomplexée, l’AOC Crémant de Bourgogne monte au créneau pour pouvoir revendiquer un millésime et un nom de climat sur son étiquette. En attendant que l’Inao plie, la maison Louis Bouillot s’appuie sur la grande histoire de la bulle bourguignonne pour lancer 3 cuvées d’exception qui cochent les cases de ce que pourraient être les futurs crémants de lieu. Ambitions pleins gaz, avec le champagne en ligne de mire.

En Bollery, l’un de trois climats de la gamme Grands Terroirs revendiqués par la maison Louis Bouillot ©BrandOn

Il fut un temps que les moins de 100 ans n’ont pas connu, où la Bourgogne transformait ses terroirs d’exception en effervescents. Les mousseux avaient alors pour nom Romanée ou Chambertin. Les archives des grandes maisons de vins rappellent que ces bulles n’étaient pas vides. Un Clos de Vougeot mousseux, chez Bouchard Aîné & Fils, se vend 4,75 francs. Plus cher qu’un vin tranquille. En 1923, un grand banquet à Beaune fait mention d’un Montrachet mousseux.

L’Upecb (Union des Producteurs et Élaborateurs de Crémants de Bourgogne) est l’organisme qui promeut la filière. Depuis 1976 et la naissance de l’appellation, négociée dans une volonté d’apaisement avec les voisins d’en haut lesquels ne voulaient plus de la mention « méthode champenoise » sur les étiquettes des mousseux , l’effervescence bourguignonne ne cesse de progresser. Aujourd’hui, on ne fait pas un crémant de Bourgogne par défaut, comme cela fut le cas avant, pour écouler les excédents de récolte. Les terroirs sont dédiés à la cause. Ils répondent à un cahier des charges précis, surtout du point de vue cultural.

Champagne vraiment plus chic ?

Il n’empêche. Les a priori ont la vie dure. Alors que tout devrait sourire à leur notoriété (sols, culture, production, cépages), pourtant positionnés en tête de file de leurs pairs (Loire, Alsace, Jura et consorts), les crémants de Bourgogne sont à la traîne du roi champenois. Sur le marché, ils sont vendus en moyenne entre 8 et 9 euros dans les réseaux grand public, une douzaine d’euros chez les cavistes. C’est bien, mais encore assez loin de leur prestigieux voisins portés, il est vrai, par un historique sens du marketing. Chez nous, à Dijon par exemple, quand on veut célébrer quelque chose d’important, on préfère encore sabrer le champagne parce que c’est plus chic. No comment.

Mais les temps changent. Le crémant de Bourgogne a passé la barre des 20 millions de cols, soit 10% de la production régionale en volume. Il s’est nettement amélioré et se retrouve confronté aux limites de son potentiel de production. Dans le même temps, les vins tranquilles bourguignons explosent les compteurs de la surenchère. Il manquait donc une petite chose à nos pétillants breuvages : pouvoir jouer dans la cour de l’excellence, en affichant un pedigree complet comprenant le millésime et l’origine du terroir.

Pour amorcer cette révolution en marche, l’Upecb a fait appel à deux historiens, Thomas Labbé et Guillaume Grillon, qui ont exhumé les preuves que la bulle bourguignonne avait autrefois atteint le sommet de sa catégorie. Les Bourguignons n’hésitaient pas alors à qualifier de « macédoine » la méthode d’assemblage pratiquée par les Champenois. Un siècle plus tard, ces derniers en pincent eux-mêmes de plus en plus pour les « champagnes de lieux ». Le terroir reprend la main, de part et d’autre.

La parcelle enfin sacralisée

La Bourgogne attend désormais de l’Inao qu’elle lui permette d’afficher les climats sur les étiquettes de ses crémants. La procédure est à la fois administrative et diplomatique. Elle prend du temps, comme toujours, car elle projette le marché des effervescents, déjà perturbé par l’explosion du prosecco, vers des rapports plus directement concurrentiels entre la Bourgogne et la Champagne.

Louis Bouillot n’a pas attendu ce virage pour expérimenter et valoriser les notions de lieu et de millésime. Il y a une dizaine d’années, la maison nuitonne lançait déjà sa collection Grands Terroirs, avec plusieurs cuvées d’exception comme, pour ne citer que celle-là, un Dessus les Vermots 2012 issu d’une parcelle de Savigny-lès-Beaune, 100% pinot noir, avec 20% d’élevage en fûts. Exit la mention de crémant de Bourgogne. Place à la sacralisation d’une parcelle devenue marque.

Le défi est audacieux. Louis Bouillot a un siècle et demi d’effervescence. Après un sommeil d’une vingtaine d’années, la maison nuitonne est réveillée en 1998 par le groupe Boisset, aujourd’hui dirigé mais cela n’est qu’une coïncidence ! par le petit-fils de Louis Bouillot, Jean-François Curie, qui n’est autre que le nouveau grand maître de la confrérie des Chevaliers du Tastevin. En un quart de siècle, sa production est passée de 150 000 bouteilles à vingt fois plus. Son vignoble, progressivement constitué, couvre 170 hectares. Ses crémants, très travaillés sur l’équilibre et la fraicheur, font autorité.

En Bollery, Chenôvre et Les Lavots : trois terroirs spécifiquement dédiés à l’élaboration du crémant de Bourgogne chez Louis Bouillot. ©BrandOn

Séduire le Bourguignon

Marcel Combes a longtemps dirigé l’activité des vins effervescents chez Louis Bouillot. « Nous payons les vignerons, en retour nous sommes exigeants avec eux », plaide-t-il au moment de présenter au sein de La Verrière les trois cuvées d’exception qui, dès aujourd’hui, anticipent l’avènement des crémants de lieu. Pour le pinot noir, En Bollery, une parcelle avec vue sur le Clos de Vougeot. Pour le chardonnay, Chenôvre, un climat perché sur les hauteurs de Savigny-lès-Beaune. Pour la notion d’assemblage (60% pinot noir, 40% chardonnay), Les Lavots, un terroir issu de la mythique région de Molesme, aux frontières de la Bourgogne et de la Champagne, du Châtillonnais et des Riceys.

Florale et ample en qui concerne la première, fruitée et délicate pour la seconde, puissante et ronde pour la troisième… ces trois cuvées d’exception répondent à un cahier de charges inédit : un tiers de la cuvée vinifié en fûts, élevage sur lattes de 40 à 52 mois, production confidentielle de 3000 à 6000 bouteilles. Pour un prix public allant de 19,50 euros (Chenôvre et Les Lavots millésimes 2017) à 23,50 euros (En Bollery millésime 2018), ce qui n’a finalement rien de prohibitif. D’autant que les rondeurs antiques de la bouteille qui leur sert d’écrin, affichent une élégance que les plus grands pétillants du monde pourraient presque jalouser.

L’image de sérieux de Louis Bouillot repose sur l’engagement et la fidélisation d’une centaine de fournisseurs de raisins, de Chablis au Mâconnais. L’expression ultime de ces Grands Terroirs est le résultat de sept années de recherche. Ce positionnement fait le pari de l’excellence en se passant (provisoirement ?) de l’appellation Crémant de Bourgogne. La filiale effervescente du groupe Boisset démontre en tout cas que le climat a bien sa place sur une étiquette. Elle révèle une stratégie de vigneron-propriétaire. Louis Bouillot projette en effet ses futurs Grands Terroirs uniquement sur ses propres parcelles.

Nous aurons prochainement l’occasion d’évoquer les valeurs gustatives de ces trois cuvées d’exception, dans le contexte d’un grand dîner. Au-delà des indéniables qualités organoleptiques qu’elles démontrent, leur pouvoir de séduction dépend en effet de la mise en scène. Le Bourguignon, pas toujours tendre avec son crémant, sera le premier à conquérir. Après tout, n’est-ce pas lui qui en sera ensuite le meilleur des prescripteurs ?

Un grand crémant de Bourgogne naît sur En Bollery, climat regardant fièrement le château du Clos Vougeot, de l’autre côté de la Nationale. © Bénédicte Manière