Entretien avec Jean-François Curie, Grand Maître des Chevaliers du Tastevin

Il se définit lui-même comme acteur d’un « renouveau dans la continuité ». Reprenant le cep de Vincent Barbier, 25 années au service de la plus célèbre association bourguignonne, le nouveau Grand Maître de la confrérie des Chevaliers du Tastevin aborde sa mission avec le sens des traditions et un certain esprit d’ouverture. Interview.

Le contexte international est déstabilisant. La confrérie des Chevaliers du Tastevin a toujours su mettre à profit son aura pour faire de la « diplomatie festive ». Quel message le Grand Maître peut-il faire passer pour 2023 ?

Les chapitres, mais aussi des rencontres parfois informelles entre nos membres, sont en effet des espaces où la convivialité rend la diplomatie plus sincère, plus amicale. Le diner offert au château du Clos de Vougeot par le président Macron à l’occasion de la retraite politique de la chancelière Angela Merkel en reste un merveilleux exemple. Comme le rappelait souvent notre regretté Grand Maître, le sénateur Bernard Barbier, c’est grâce aux vins de Bourgogne dégustés dans notre cellier que le monde entier trinque à la santé de la France ! Ainsi, pourquoi ne pas rêver de pouvoir enfin réunir à nouveau nos amis et confrères russes et ukrainiens à une grande « tablée de la paix » au château ?

L’Asie semble être un nouveau terrain de jeu pour nos preux chevaliers. Cela reflète-t-il une mutation des attentes, pour ne pas dire du marché ?

Si la consommation des vins de Bourgogne croît partout dans le monde, il est vrai que cette croissance est particulièrement forte en Asie. De nouveaux – et souvent jeunes – amateurs de vins se passionnent pour les crus de notre région. Ils découvrent en fait que le style des bourgognes correspond à leurs attentes d’authenticité, se marient parfaitement avec leurs mets, et notre histoire, les climats, notre culture en fait, les fascinent ! En accompagnant, voire en anticipant ces tendances, notre confrérie s’étend de plus en plus dans cette région du monde. Des sous-commanderies en Corée, en Inde et ailleurs en Asie verront peut-être le jour en 2023.

La bonne tenue des vendanges pèse lourd sur le cours des vins de Bourgogne. Que faut-il souhaiter pour ce nouveau millésime ?

L’attirance grandissante pour les vins de Bourgogne au cours de ces dernières décennies s’est faite alors que nous subissions des petites récoltes à cause des événements climatiques, le gel de 2021 ayant été le plus dramatique. Heureusement, nous pouvons espérer que le millésime 2022, généreux et d’une qualité exceptionnelle, aidera à un rééquilibre nécessaire entre offre et demande. Mais cette demande restera forte et une récolte 2023 d’un même calibre est plus que souhaitée ! 

Le Tastevin, bientôt 90 ans
Depuis 1934 et sa naissance dans une cave nuitonne grâce au génie de Georges Faiveley et Camille Rodier, la confrérie des Chevaliers du Tastevin a fait le serment de promouvoir les vins de Bourgogne et plus largement son art de vivre. Elle a stabilisé ses effectifs à 12 000 chevaliers actifs dans le monde, où existent 75 sous-commanderies mais un seul navire amiral : le château du Clos de Vougeot. Dans ce bijou cistercien se tiennent chaque année au moins 16 chapitres de la confrérie, ces grands banquets thématiques, mais aussi le Tastevinage®, où sont dégustés et sélectionnés à l’aveugle les bourgognes fidèles à leur lieu de naissance et dignes d’être servis à une table amie.

12 000 membres dans le monde, 12 000 fidèles chevaliers… bravo ! Mais combien sont-ils pour servir et réjouir ces ambassadeurs ? Qui sont vos proches de l’ombre ?

Fidèle à l’esprit de nos fondateurs, la confrérie est avant tout une association de passionnés bénévoles et altruistes, qui donnent de leur temps sans compter pour la cause bourguignonne avec grande fierté. Mais, bien sûr, pour faire fonctionner au quotidien cette belle organisation, nous pouvons compter sur une équipe d’excellents professionnels qui œuvrent tant à la chancellerie (à Nuits-Saint-Georges) qu’au château du Clos de Vougeot sous la baguette de notre intendant général, Arnaud Orsel. Près d’une centaine de personnes s’activent ainsi, dans la lumière ou plus discrètement. À cette époque de vœux, j’aimerais leur souhaiter une belle et bonne année 2023, avec une pensée particulière à notre maitre d’hôtel Thierry actuellement souffrant et que nous espérons revoir très vite au château !

Lorraine Senard est la première femme au sein du Grand Conseil.
Vous incarnez vous-même un renouvellement. Comment se gère
cette ouverture ?

Plus qu’une ouverture, il s’agit d’un renouveau dans la continuité ! Notre association participe de l’évolution naturelle de la société civile. Il apparait bien normal que des femmes nous rejoignent de façon plus formelle ; Lorraine Senard en étant un merveilleux symbole tant sa famille a contribué à la vie du Tastevin. Ce renouvellement de générations fait partie de notre histoire, mais nous avons aussi la chance d’accueillir en notre sein de nouveaux talents sans attaches familiales avec notre confrérie, qui vont continuer à en écrire les chapitres !

Grands Maîtres et petites traditions
Le Grand Maître, est-il besoin d’en rajouter, est la figure centrale de la confrérie des Chevaliers du Tastevin. À la tête du Grand Conseil, il est celui qui prononce la phrase rituelle, cep à la main, pour sacrer les impétrants du monde entier : « Par Noé père de la vigne, par Bacchus dieu du vin, par Saint Vincent patron des vignerons, nous vous armons Chevalier du Tastevin. » Seulement cinq hommes ont occupé cette fonction depuis la création de la confrérie : Georges Faiveley (1934), Guy Faiveley (1968), Daniel Senard (1985), Bernard Barbier (1994) et Vincent Barbier (1998). En vingt-cinq ans de « grande maîtrise », ce dernier aura animé 367 chapitres et intronisé plus de 20 000 chevaliers ! Installé le 2 avril 2022, son successeur Jean-François Curie s’inscrit dans cette grande tradition. Cet homme du vin (il dirige la maison Boisset à Nuits-Saint-Georges) est toujours demeuré particulièrement actif dans la vie de la confrérie depuis son intronisation le 16 mai 1987. Jean-François Curie avait rapidement intégré le Grand Conseil, sur les traces du paternel Gérard Curie, une autre figure historique.