Entre résignation et espoir, la Vapeur au temps du Covid

La période est à mourir de chagrin mais il en faudra plus pour renverser la Vapeur : ingénieuse, la salle de concerts dijonnaise vient de lancer ses « Live Sessions », une série de captations vidéo soigneusement réalisées et offertes aux groupes locaux. Belle occasion de constater la variété de la scène locale et de prendre le pouls du lieu. Le point avec son directeur Yann Rivoal.

Yann Rivoal, directeur de la salle de concerts dijonnaise La Vapeur depuis 2011. ©Jean-Luc Petit

La Vapeur dévoile ses « Live Sessions », 9 clips vidéo d’artistes de Dijon et alentours, enregistrés dans la salle par des réalisateurs eux aussi locaux. D’où vient ce projet ?

C’est une idée lancée en septembre dernier, après que nous avons pu organiser quelques concerts en mode assis, mais aussi constaté que nous ne pourrions pas continuer cette activité du fait des restrictions sanitaires. L’idée a été de proposer une forme de captation qui puisse être utile, comme une carte de visite, pour les groupes locaux qui avaient une actualité et travaillaient sur un morceau. Des groupes qui, en temps normal, auraient été en train de chercher des dates de concert. Nous en avons repéré une dizaine et leur avons fait rencontrer autant de réalisateurs. Les tournages, sur une journée, se sont déroulés à la Vapeur en novembre et décembre. Un photographe, Vincent Arbelet, a également été associé au projet. Il a photographié les tournages et les artistes, en leur livrant des photos libres de droits pour les utiliser à des fins de promotion.

Qu’en ressort-il ?

D’abord, que ça a fait du bien à tout le monde, aux artistes, à l’équipe de la Vapeur, de se donner des objectifs de travail. Nous avons pu organiser une restitution, le 4 mars dernier, ouverte seulement aux professionnels. Mais nous avons retrouvé le plaisir d’accueillir du monde. Ces « Live Sessions » ont aussi été l’occasion de belles rencontres, y compris des artistes entre eux. Tout le monde ne se connaît pas à Dijon, même si la métropole reste une petite métropole. Ces rencontres ouvrent, sans doute, la porte à des collaborations ultérieures. Enfin, nous avons montré, je pense, la diversité de la scène musicale de Côte-d’Or, en jouant à fond la carte de l’éclectisme. Electro, pop, rock, rap, le vivier est riche !

Via son projet Pilote, la Dijonnaise electro-pop Christelle Armenio fait partie des artistes des « Live Sessions » de la Vapeur.

Comment traversez-vous cette période qui meurtrit les milieux artistiques et culturels ?

C’est une période difficile pour tout le monde et particulièrement pour les milieux culturels. On ne compte plus les concerts programmés dans la perspective d’un allégement des restrictions, puis annulés du fait du maintien ou du renforcement de celles-ci. C’est évidemment compliqué à vivre et à gérer. Mais nous avons mobilisé nos énergies pour mettre à profit cette période pour améliorer l’outil la Vapeur. En septembre, un séminaire a permis de déterminer comment renforcer le rôle et le fonctionnement de cet équipement de grande qualité. Nous avons ainsi créé un studio de MAO (ndlr, musique assistée par ordinateur) destiné aux artistes électro que nous touchions peu. Ce sont souvent des gens qui travaillent seuls. Ce studio ouvre la porte à des collaborations plus larges.

En dehors de quelques concerts assis, avez-vous pu organiser d’autres manifestations publiques ?

Nous ne pouvons plus recevoir de public, ça rend les choses forcément compliquées. Mais nous avons essayé de trouver des interstices, pour poursuivre notre mission de médiation. Nous nous sommes rapprochés de structures dans l’insertion sociale ou en milieu scolaire, pour organiser, au premier semestre 2021, non pas des concerts, mais des ateliers thématiques. Rencontres avec des musiciens, découvertes d’instruments… Ce genre de choses. Avec, évidemment, un protocole sanitaire très strict, distanciation sociale et masques. Il y a une vraie urgence, de nombreuses structures menant des activités pédagogiques sont à l’arrêt. Le manque est grand.

Que retenez-vous de la manière dont est traitée la culture pendant cette crise sanitaire ?

Des moyens ont été débloqués, qui font que personne n’a disparu à ce stade chez les acteurs culturels. Mais la posture vis-à-vis de la culture, totalement oubliée des priorités sociétales, est très révélatrice et très attristante. C’est difficile de constater que les pouvoirs publics ne voient aucun rôle à la culture. Celle-ci est réduite à un ingrédient dans une liste à cocher. Mais qui peut en être surpris ? Il est quand même difficile de ne pas être en colère, mais il faut essayer de se raisonner. Nous subissons et mettons notre énergie dans des projets concrets, qui permettent de maintenir les liens. Notre objectif est de redevenir aussi vite que possible un espace de libertés, de vie collective et de fête. Cette fête qui a été chassée de nos vies et qui porte pourtant un côté initiatique. Nous savons bien que nous ne sommes pas sortis du gué, qu’il y aura encore une période de transition, avec un maintien de grosses limitations. Mais pour combien de temps, nous l’ignorons complètement.

Que pensez-vous du mouvement des intermittents et des occupations de lieux culturels, comme le grand théâtre à Dijon ?

Tout d’abord, nous nous associons complètement aux revendications des intermittents qui, sans même parler des difficultés spécifiques liées à la pandémie, restent des travailleurs précaires. Leur statut est un statut important, essentiel pour la culture. La France est un des rares pays à le proposer. Il est vraiment au cœur de la création. La crise sanitaire aggrave les difficultés et renforce la précarité. Nombreuses sont les personnes à avoir connu des grosses baisses de revenus malgré les dispositifs d’aide. Et les intermittents restent dans le flou quant à leur avenir. En août s’achèvera l’année blanche dont ils ont bénéficié, ils n’ont aucune visibilité sur le futur. La difficulté reste de faire comprendre ces revendications à un public large. J’espère qu’ils seront compris et entendus.