Entretien avec Patrick Jacquier : « Je fais confiance à mes successeurs »

Président depuis quinze ans, il boucle son dernier mandat à l’Umih Côte-d’Or, le syndicat de l’hôtellerie-restauration. Dans la même logique, Patrick Jacquier organise la transmission de son groupe hôtelier à la génération suivante, après avoir côtoyé de très près la résilience lors de la crise sanitaire. Interview « au top » du Central.

Patrick Jacquier, président de l’Umih Côte-d’Or, sur le toit de l’hôtel Le Central à Dijon. © Jean-Luc Petit / DBM

En votre qualité de patron des hôteliers de Côte-d’Or, quel regard portez-vous sur l’offre d’hébergement touristique local, tout particulièrement à Dijon et Beaune ?

Patrick Jacquier : « Nous avons la chance d’être dans une région qui devient de plus en plus touristique (ndlr, plus de 15 millions de nuitées touristiques en 2023 d’après Flux Vision Tourisme +7,8 % par rapport à 2022, le niveau le plus élevé des 7 dernières années selon Côte-d’Or Attractivité), avec un attrait tout particulier pour Beaune et Dijon, deux villes qui continuent d’attirer toujours plus de visiteurs. Aujourd’hui, l’offre est importante et de qualité, qu’il s’agisse d’hôtels appartenant à des chaines ou d’indépendants. Les travaux d’embellissement réalisés mettent ces deux villes au niveau de ce qu’attendent les touristes. J’observe que l’offre d’hébergement se diversifie. Certaines nouvelles enseignes apportent et apporteront d’autres clients. Le jour où le Marriott Aloft (ndlr, l’hôtel qui doit ouvrir en mai place Grangier) va ouvrir à Dijon, c’est tout le carnet d’adresses des Marriott qui va potentiellement s’intéresser à la Côte-d’Or. Il en va de même pour le Hilton de la Cité de la Gastronomie* et ses 179 millions de cartes d’abonnés. Au-delà de la capacité qui augmente, ce qui compte c’est qu’on accède à de nouveaux réservoirs de clients extrêmement prometteurs. Avec ces nouveaux « tuyaux d’alimentation », il y a lieu d’être optimiste quant à l’avenir, et ce même si Dijon et Beaune affichent des capacités d’accueil supérieures à la majorité des villes qui leur sont comparables.

De votre poste d’observation, avez-vous ressenti l’effet des ouvertures de la Cité de la Gastronomie de Dijon, et de la Cité des Climats à Beaune ?

Pour l’heure, l’effet paraît modeste, mais, c’est comme pour tout, il y a sans doute des réglages et ajustements à opérer. Ces cités contribuent à la notoriété de Dijon et de Beaune, et donc aux visites touristiques. À nous de savoir en tirer profit. 

Qu’en est-il des Jeux olympiques ?

Nous n’avons pas de ville olympique en Bourgogne, mais j’espère bien des retombées. Nous sommes à 1h30 de Paris, et l’attractivité touristique de la région devrait conduire certains spectateurs à fréquenter nos établissements à l’issue des épreuves. Nous pouvons aussi compter sur la visite de Parisiens qui fuiront la capitale pour se mettre au vert en province… Nous escomptons plus de retombées du Tour de France, qui fera étape deux jours dans le département. Et des mondiaux de pétanque, qui se dérouleront à Dijon du 5 au 8 décembre 2024. Nous ressentons déjà les effets de cet événement ce qui, je dois l’avouer, m’a un peu surpris. Je n’imaginais pas la pétanque de compétition si populaire.

Noël Lazarini a pris la direction du Grand Hôtel La Cloche, le 31 mars 2024. © Jean-Luc Petit / DBM

L’actualité de votre groupe hôtelier est marquée par le départ en retraite d’Antoine Munoz à la direction du Grand Hôtel La Cloche et l’arrivée de son successeur, Noël Lazarini. La fin d’une époque et le début d’une nouvelle ?

Dans nos métiers de l’hôtellerie, rien n’est perpétuel, sauf le changement. Antoine prend une retraite plus que méritée, après 26 ans à diriger ce grand hôtel de prestige. Je veux le remercier pour tout le travail accompli qui a fait de La Cloche – un hôtel historique ouvert en 1424 – un établissement d’exception. Avec lui, nous avons effectué des travaux considérables dans cet hôtel, y compris des travaux cachés aux yeux des clients, sur l’infrastructure de notre bâtiment. Nous avons choisi le successeur d’Antoine en la personne de Noël Lazarini, un grand spécialiste de l’hôtellerie qui a commencé sa carrière à Paris. Nous avons reçu de nombreuses candidatures, signe de la renommée de notre établissement. Noël aura pour mission de poursuivre le travail d’Antoine, d’innover sans cesse pour offrir des expériences nouvelles à nos clients.

Justement, avez-vous des projets concernant La Cloche, qui est dans le giron familial depuis tout juste 40 ans ?

Nous allons continuer à enrichir l’hôtel avec des œuvres d’art, qui signent la vocation artistique et culturelle des hôtels 5 étoiles. Nos clients sont très souvent intéressés par l’art, la visite du Musée des Beaux-Arts. En installant ces œuvres, nous leur donnons un avant-goût de cette visite. Nous travaillons à un projet d’appartements hôteliers à proximité de La Cloche, mais c’est un sujet que nous devons encore travailler, notamment avec Noël Lazarini avant de pouvoir en parler plus en détail.

Vous mentionnez les appartements hôteliers. La profession s’est battue contre l’offre d’hébergement type Airbnb. Comment vivez-vous cette « nouvelle » concurrence ?

Je ne me suis jamais battu contre Airbnb que je considère comme une offre d’hébergement supplémentaire, qui participe à l’attractivité touristique. Par contre, il faut de l’équité, qui n’existe pas forcément aujourd’hui. En tant qu’hôtelier, nous avons des charges d’exploitation, des obligations importantes en matière de sécurité, d’hygiène et de capacité à donner des renseignements à nos clients. Ce n’est pas le cas pour l’offre type Airbnb, qui bénéficie, en outre, d’un avantage fiscal important. L’effet d’aubaine conduit sans doute à des excès qui font que les propriétaires de logements privilégient ce type de location, au détriment des locations classiques. Il peut devenir difficile de trouver des logements accessibles pour nos salariés et saisonniers. Il y a une limite à poser et une équité à trouver.

L’Umih Côte-d’Or tient son assemblée générale ce mercredi 10 avril. Ce sera votre dernière en tant que président…

J’estime, et je l’avais dit lors de notre précédente assemblée générale, que la mission première d’un président est d’assurer la pérennité de son syndicat. Après 15 ans de mandat, il est indispensable qu’il y ait du renouveau. Je compte sur mes successeurs, et je leur fais d’avance toute confiance, pour apporter des idées nouvelles.

Que retenez-vous de vos mandats, et, plus globalement, d’une vie passée à gérer des hôtels ?

La crise sanitaire m’a vraiment marqué. C’était un monde nouveau, inconnu. Je me souviens comme si c’était hier de ce soir de mars où nous avons du fermer nos hôtels. Mon fils Anthony, avec qui j’ai la chance de travailler, m’a demandé si j’avais des clés pour fermer l’hôtel. Mais non, je n’en avais pas, un hôtel n’est jamais fermé d’ordinaire ! Le soir de la fermeture, je crois que nous avons tous versé une larme. Pourtant, nous nous sommes organisés, avec des réunions visio hebdomadaires, pour maintenir le lien avec nos salariés, et l’espoir. Les prêts garantis par l’État (PGE) nous ont permis de tenir. Je pense que nous avons correctement géré ce moment inédit. Nous n’avons pas enregistré beaucoup de départs à l’issue de cette crise et certains qui nous ont quittés sont déjà revenus aujourd’hui. Le métier d’hôtelier est un métier merveilleux, un métier de contact, où il faut en permanence innover et qui exige d’avoir envie de faire plaisir à ses clients. C’est ce plaisir dont le covid nous a privés. Nous l’avons retrouvé aujourd’hui.

Vous avez choisi d’être photographié sur le toit de l’hôtel Le Central, à Dijon. Pourquoi ?

Il s’agit de l’établissement historique de ma famille, racheté par ma grand-mère, qui était auparavant antiquaire. C’est ici que je suis né, ici que j’ai joué enfant. Je venais m’amuser sur ce toit, ce qui mettait ma mère en colère… J’ai reçu quelques claques à ces occasions. Plus tard, dans ma vie de jeune adulte, je revenais ici après mes soirées en boite de nuit. Mes parents me laissaient toujours des bières, un morceau de fromage et de saucisson pour poursuivre les festivités. Cet hôtel, c’est un morceau de ma vie. »

* Si les travaux sont à un stade très avancé, l’hôtel Sainte-Anne Curio by Hilton tarde à ouvrir après que son franchisé national, le groupe Naos Hôtel, a été placé sous redressement judiciaire en novembre dernier.

Le groupe Hôtels Bourgogne Qualité 

16 hôtels à Dijon, Beaune, Chalon et Paris, plus de 1 000 chambres de l’économique aux 5 étoiles, 9 restaurants et 3 services traiteurs pour 200 collaborateurs tous métiers confondus. Fondé dans les années 1920 par l’arrière-grand-mère avec l’hôtel Central, place Grangier à Dijon, le groupe Hôtels Bourgogne Qualité est une affaire de Jacquier : Alain, son fils Patrick, puis ses petits-enfants Caroline et Anthony. Avec comme fleuron le Grand Hôtel La Cloche, cinq étoiles et dans le groupe depuis tout juste 40 ans. Le dernier en date n’est autre que le Mama Shelter, ouvert l’été dernier.