Gérard Lanvin est-il soluble dans le bourgogne?

En amont de la sortie de Premiers crus, seul le dossier de presse fourni par la production fait foi. Dans une interview « officielle », voici comment Gérard Lanvin y défend son rôle de vigneron et montre qu’il est parfaitement « soluble » dans le bourgogne.

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Propos recueillis par Stéphane Boudsocq & Stéphane Lerouge

Jérôme le Maire explique qu’il a écrit le personnage de François Maréchal en pensant à vous. Puisque vous avez accepté le rôle, en quoi ce propriétaire de vignoble bourguignon vous plaisait-il?
D’abord, c’est un univers que je n’avais pas encore abordé. Cet homme de la terre, vertueux, noble m’intéressait. J’habite à la campagne depuis 30 ans et je connais les paysans, ce sont des gens que l’on méprise, que l’on oublie et que j’estime, avec qui je me sens bien. Ils défendent des valeurs, une tradition française. C’est Rousseau qui disait: « le plus respectable des arts, c’est l’agriculture » et c’est vrai… Le thème de la transmission me touchait également: des générations entières ont sacrifié leur vie pour un patrimoine destiné à la succession et d’un coup cet homme, Maréchal, est à terre parce que personne ne veut reprendre le flambeau… Nous avons beaucoup parlé de lui avec Jérôme: nous le voyions comme quelqu’un de fatigué, désabusé, sans plus aucune motivation. Au-delà de son aspect psychologique, nous avons travaillé sur son apparence avec des vêtements un peu tristes. Maréchal est en fait un type qui, l’âge venu, veut retourner vers son enfance et ce rêve de construire un bateau pour aller tenter l’aventure sur la mer, loin de sa terre… Quand quelqu’un écrit un film pour vous, d’abord il faut l’en remercier. Cela veut dire que Jérôme a été sensible à tout ce que j’ai pu faire durant mes 36 ans de parcours! Au-delà de ce cadeau, c’est un réalisateur qui aime les acteurs et dans ce cas-là, je m’engage totalement…

Vous parliez des paysans, connaissiez-vous plus particulièrement les viticulteurs et précisément ceux de Bourgogne, vous qui êtes plutôt géographiquement proche de ceux du Bordelais?
Oui, même si je ne les fréquente pas particulièrement. Le Médoc, et notamment ses forêts, est une de mes terres d’adoption. Bordeaux, la route des vins, je connais par cœur puisque j’ai appris à marcher sur les plages de l’Atlantique toutes proches! Je suis sensible à la nature en général, n’étant pas un homme des villes… Quand j’ai découvert la Bourgogne, ce qui m’a frappé, ce sont ces vignes plantées à flanc de coteau, qui semblent monter vers le ciel. C’est très impressionnant… J’ai beaucoup d’affection pour les gens qui fabriquent le vin: ils nous aident à nous réjouir le cœur. Une bouteille sur la table d’un repas, ça favorise les échanges et le partage. On dit bien que Dieu a transformé l’eau en vin et pas le contraire!

Avec aussi des caractères parfois rugueux chez les viticulteurs: François Maréchal n’a pas de grandes tirades de texte mais quand il dit quelque chose, on comprend vite!
C’est ce qui rendait aussi ce personnage intéressant: c’est un homme qui en effet parle parfois sans élégance mais toujours très sincèrement. Il s’est enfermé dans son silence parce qu’il a été blessé, presque détruit par l’absence de relève familiale qu’il vit comme une trahison. Or, le silence est un ami qui lui ne vous trahit pas et les soupirs de François Maréchal sont les mots de son cœur… Avant tout cela, c’était un chef d’entreprise et de famille. Aujourd’hui, il porte un fardeau et sent que s’il ne parvient pas à transmettre sa terre, tout cela n’aura servi à rien.

La relation père-fils est également au cœur de Premiers crus. Le papa que vous êtes à également dû y être sensible…
Evidemment, comme tout parent. A une époque, on me disait: « On ne vous voit plus! ». Mais quand j’ai eu mes enfants, j’ai voulu passer du temps à leurs côtés pour les élever. Aujourd’hui, mes fils ce sont aussi mes amis. Je les ai accompagnés dans leurs envies, les laissant s’exprimer. Ils sont eux aussi artistes mais je n’ai pas eu cette idée de leur passer un quelconque flambeau ou de les laisser penser que le métier d’acteur est un métier heureux! Pour moi, la transmission est avant tout celle des valeurs et élever un enfant c’est faire en sorte qu’il soit ce qu’il doit être. Mes enfants ont 42 et 28 ans, ce sont des hommes qui font le tour du monde, qui ont été repérés par d’autres gens ailleurs et qui connaissent à leur manière le bonheur de ces métiers artistiques…

Votre fils dans le film est interprété par Jalil Lespert…
Je connaissais son travail d’acteur et de metteur en scène mais pas du tout l’homme. Je sais aujourd’hui que c’est quelqu’un sur qui l’on peut compter et j’adore ça! Il a une parole et des principes. Et puis c’est un bon père de famille, je l’ai vu avec ses enfants puisque nous habitions tous ensemble sur le tournage. Ce genre de moment permet de constater l’aptitude des uns et des autres à se rassembler, à partager et à tout faire pour que ce que nous sommes en train de fabriquer (un film), se passe au mieux. Jalil est un bosseur mais au-delà de cela, c’est quelqu’un avec qui j’ai pris du plaisir à jouer et avec qui je garde des relations sincères…

Vous avez également une fille dans Premiers crus, il s’agit de Laura Smet…
Laura, tout le monde la connait parce que c’est la fille de Nathalie Baye et Johnny Hallyday. J’ai joué à plusieurs reprises avec Nathalie, que j’aime beaucoup et respecte. Sur notre premier film ensemble, Une semaine de vacances de Bertrand Tavernier, elle m’a accueilli avec bienveillance en me rassurant et je ne l’ai jamais oublié. Elle est formidable dans Premiers crus: je trouve que Jérôme lui a offert un vrai rôle de femme, avec une vraie place au sein de cette famille… D’une manière générale d’ailleurs, les personnages féminins du film sont assez puissants, à l’image de ces femmes qui ont toute leur place dans ce monde paysan.

A l’image d’Alice Taglioni qui incarne la fille du domaine voisin, pour qui votre fils Charlie va craquer.
Encore un personnage dominant! J’ai beaucoup d’amitié pour elle, c’est une fille extrêmement franche et respectueuse. Quand Alice a de l’affection pour vous, elle vous le dit et j’aime beaucoup ce genre de caractère.

Revenons à Jérôme le Maire, votre metteur en scène. Premiers crus n’est que son 2ème film, doté d’un solide casting, dont vous! Etes-vous conscient du côté impressionnant qu’il peut y avoir à vous faire tourner?
Non, absolument pas… Pour moi, chaque film est un nouveau départ qui demande autant de concentration que les précédents. Je sais d’expérience qu’un acteur n’est pas dirigé: il vient avec son « matos »! Jérôme a écrit le personnage en pensant à moi mais c’était aussi à moi de lui amener François Maréchal. C’est aussi la raison pour laquelle, je vous le disais, nous avons travaillé en amont sur l’aspect physique: les cheveux, la barbe, la fatigue. Pour moi, les rencontres sont fondamentales. Les rapports nets et précis sont essentiels, surtout pour faire un film! Jérôme a été un patron, toujours disponible et prêt à retravailler son scénario, notamment pour enlever des mots inutiles. Pour répondre à votre question, je ne pense pas qu’il ait été impressionné. Peut-être au départ, mais au bout de deux séances de travail, nous étions des collaborateurs. Il a totalement assumé son rôle de metteur en scène et il m’a laissé prendre ma direction d’acteur, puisque nous l’avions étudiée ensemble. Je voudrais également saluer le rôle très important au montage de Sylvie Landra. Elle a su utiliser la matière première tournée par Jérôme pour donner tout son sens à cette histoire.

Le film parle aussi de cette envie qui parfois vient à manquer et qui efface la passion. Après 36 ans de parcours, j’ai l’impression que cette envie de cinéma est toujours là, intacte pour vous.
C’est exactement ça: une passion. Je prends l’exemple du producteur de Premiers crus, Alain Terzian. Je le connais depuis mes tous débuts mais nous n’avions jamais fait un film ensemble. Pourtant, le respect, l’estime entre nous étaient bien là. Alain avait envie que je fasse ce film et pour moi c’est ce qu’il y a de plus motivant. C’est ça mon moteur: suivre ceux qui ont envie! Chaque film est une aventure, avec ses inquiétudes mais j’aime ça. Le doute est ma ligne de flottaison! Et quand je m’engage, je me dois d’aller au bout, par respect d’abord envers ceux qui m’ont donné du travail.
C’est une attitude d’homme et je trouve que ces valeurs-là ce sont un peu perdues dans le métier, qui reste tout de même une profession magnifique.