Jérôme Prince, le VRP du tribunal de commerce de Dijon

Une entreprise qui va mal n’est pas nécessairement une entreprise qui va mourir. L’important est d’abord d’aller au devant de la situation, selon Jérôme Prince. Courtier et expert en vins à Beaune, le président du tribunal de commerce de Dijon en parle librement et en toute discrétion avec les concernés. Scoop : il adore ça !

Jérôme Prince chez lui, au centre-ville de Beaune. D’une cour à l’autre, le président du tribunal de commerce de Dijon tire profit de ce statut. Il participe d’une affirmation d’indépendance. © Jean-Luc Petit / DBM

En fait, il porte de moins en moins la robe. Non pas qu’il se lasse, bien au contraire. Jérôme Prince a tout simplement raréfié sa présence en audiences pour privilégier un important travail de sensibilisation du sérail côte-d’orien sur les vertus du tribunal de commerce. Syndicats patronaux, fédérations, Direccte, étudiants : en « VRP » décomplexé (l’acte commercial en moins), le président du TC depuis 2017 ne refuse jamais une occasion de dédiaboliser une juridiction qui fait peur

C’est d’abord une nécessité quasi sanitaire. « Notre fonction est d’autant plus essentielle que la situation générale est préoccupante, avec des marges grignotées de toute part, en particulier dans des secteurs comme le bâtiment et l’immobilier. Mais j’observe heureusement beaucoup de résilience, les entreprises du territoire se battent bien. » Ouf !

« Pas un confessionnal, mais presque »

Mandats ad hoc et stratégies de conciliation sont donc des voies possibles pour tout dirigeant, de la TPE au grand groupe, quand les difficultés n’existent pas encore mais qu’il ne fait pas de doute sur leur apparition. À Dijon, Jérôme Prince a donc pris les rênes d’un « service amiable », lui et lui seul, « car c’est la garantie d’une confidentialité totale » et l’assurance que les entrepreneurs en difficulté se sentent en confiance pour exprimer librement des situations complexes. Le bureau présidentiel devient alors « pas un confessionnal, mais presque ». 

En parallèle, un président doit aussi « manager » 28 juges consulaires, totalement bénévoles eux aussi, issus du monde économique. Élus par leurs pairs, ils donnent deux ans de leur temps, possiblement reconductibles quatre ans, dans la limite de quatre mandats. « Pas besoin d’être docteur en droit pour être un bon juge en matière de procédure collective, estime le président. Le système est bien fait, il existe des grandes règles et un rythme bien huilé pour se concentrer sur l’essentiel : la vie de l’entreprise. D’où le besoin d’être ouvert, rapide, flexible face à des situations où, trop souvent hélas, l’urgence est grande. » 

D’une cour à l’autre

Président de tribunal de commerce n’est pas un métier. Beaunois pur jus de pinot noir, millésime 62, Jérôme Prince a grandi dans une famille de courtiers en vins. « Mais je me suis toujours senti libre de reprendre ou non », précise l’intéressé, qui a donc repris le cep de Louis, Maurice et Jean Prince tout en se spécialisant dans les grands vins des Côtes de Beaune et de Nuits. On fait aussi souvent appel à lui pour expertiser des grands flacons. Il vit et travaille dans la maison du grand-père, au centre-ville de Beaune, ce qui l’oblige à naviguer quotidiennement d’une cour à une autre. L’embauche d’une jeune collaboratrice l’année dernière l’a conduit à une réflexion de transmission à moyen terme. 

Très actif président de la fédération nationale des syndicats de courtiers, qui regroupe 300 professionnels dont 45 affiliés en Bourgogne, Jérôme Prince a gagné le respect de sa corporation, dans son style bien à lui, toujours « sur la bête », affable, avec une note d’humour s’il le faut. Comme au sein du tribunal de commerce, il cultive une approche « très territoriale », basée sur la formation et les bonnes pratiques d’un métier en proie à une crise existentielle. Il faut donc régulièrement défendre le bifteck au plus haut niveau de l’État. « Je pourrais écrire un livre là-dessus… »

Un Beaunois à Dijon

Juge consulaire dès 2003 à Beaune, sur la base d’un engagement paternel, l’homme a découvert le caractère addictif et formateur d’un « petit tribunal de commerce très généraliste » (fermé depuis), tout de même distingué sous la présidence du regretté négociant Philippe Dufouleur par une retentissante procédure de sauvegarde – « la toute première en France » – du groupe de spiritueux Belvédère. « Un dossier hallucinant, on croulait sous 350 ou 400 demandes de tierce oppositions pour annuler la sauvegarde… »

En 2009, le jeune élu consulaire filera à Dijon pour devenir vice-président du tribunal et président de la chambre des sanctions. Ce qui lui permet aujourd’hui de faire peu de cas « de ceux qui ont mal agi et qu’il faut sanctionner ». Cette capacité à trancher est le corollaire d’une résistance aux petites et grandes influences. « Être un Beaunois à Dijon me permet déjà d’évoluer en dehors de tous les réseaux », apprécie l’intéressé, qui revendique un attachement fondamental à une justice « sans aucune ambiguïté ». À ce titre, il n’hésite pas à dessaisir ou délocaliser certains dossiers face à l’évidence de risques de conflits d’intérêt ou d’une impartialité variable. « C’est un réflexe sain, qui doit habiter les juges, car il participe à l’image du tribunal et la confiance portée en la juridiction. » Idem pour tout ce qui touche de près ou de loin au vin le concernant.

Il faut en même temps anticiper les mutations de la juridiction, en proie aux grands mouvements. Sur la base du volontariat (pour l’instant), le garde des sceaux a ainsi lancé une expérimentation nationale de deux à trois ans d’un « tribunal des affaires économiques » aux compétences élargies comprenant les agriculteurs, associations et professions libérales. Pas vraiment un cadeau tant il y a déjà fort à faire…

L’habit ne fait pas le moine !

Le président du TC, dont le mandat prendra fin en principe en 2025, s’active donc sur tous les fronts. Son message d’ouverture tous azimuts participe à fluidifier la machine. « Ce côté « welcome » va tout de même de pair avec une certaine prospection, qui est notre rôle originel : nous allons chercher, via des logiciels analytiques, les entreprises en difficulté. Mais je n’ai aucun caractère contraignant, nous échangeons s’ils le souhaitent et le dirigeant ou la dirigeante repartent comme ils sont venus. » Certains ignorent l’invitation. D’autres poussent la porte de Jérôme Prince et en ressortent libérés de leurs aprioris sur l’austérité d’une robe. « On peut être sympathiques et compréhensifs, parce que nous sommes avant tout des chefs d’entreprise », martèle le président-VRP. Comme quoi, l’habit ne fait pas le moine !