Laurent Gotti, journaliste et dégustateur en Bourgogne, raconte sa première vinification

Il ne voulait pas mourir bête. Après plus de 20 ans à écrire sur, déguster et cartographier les vins de Bourgogne, Laurent Gotti a saisi l’opportunité de vinifier une cuvée de ce généreux millésime 2022 en Côte de Beaune. DijonBeaune.fr l’a interrogé entre deux décuvages.

Laurent Gotti le jour des vendanges de la parcelle de Chorey-lès-Beaune qu’il vinifie. ©D.R.

Entre parler de et faire du vin, il y a un petit monde. Réunir les deux vous démangeait ?
Effectivement, faire du vin c’est se frotter à des réalités différentes de celles du monde de la presse et de l’édition. En tant que journaliste, je me suis toujours gardé d’expliquer aux vignerons et œnologues comment ils devaient élaborer leurs vins. Certains de mes confrères le font parfois, plus ou moins subtilement. J’ai aussi rencontré des vignerons qui ont des idées précises de ce que les journalistes doivent écrire. Et qui l’expriment plus ou moins subtilement… Chacun à sa place et les moutons seront bien gardés comme on dit ! Cette aventure est tout simplement une opportunité qui s’est présentée à moi. J’aurais été idiot de ne pas la saisir et sans mélanger les casquettes…

Il existe donc à présent une « Maison Gotti » en Bourgogne ?
Non, je n’ai pas de business plan ni de directeur marketing ! Simplement 700 kg de raisin dans un cuve. En fait, tout est parti d’une boutade au sujet d’une situation qui ne prêtait pourtant pas à la rigolade : un ami vigneron de Savigny-lès-Beaune confronté a de sérieux problèmes de dos a été contraint de confier la quasi-totalité de son petit domaine à des collègues. Devant ses cuves, je lui ai dit : « Elles vont être vides ! Si j’achète des raisins, je pourrais venir les vinifier chez toi. » Il m’a rappelé quelques jours plus tard pour me demander si j’étais sérieux. Je lui ai répondu que ça ne l’était pas, mais que cela pouvait le devenir… La condition : trouver un vigneron qui accepte de me vendre quelques raisins après un millésime 2021 aux volumes désastreux. J’ai eu cette chance. Entretemps, un décès dans la famille de cet ami vigneron a rebattu les cartes et j’ai dû finalement trouver un autre lieu de vinification. Mais l’aventure était lancée !

« Ce n’est pas une aventure personnelle mais un projet pour se réunir entre amis et en famille, autour du meilleur catalyseur pour le faire : le vin ! »

Pour faire du vin, il faut généralement du raisin, des gens qui le récoltent, un peu de matériel, des locaux… Vos économies de journaliste y sont-elles passées ?
Mes économies de journaliste, je les réserve surtout pour la parution de mes prochains livres et cartes dans la collection Pierre Poupon (ndlr, dont le best-seller de référence Les Vins de Bourgogne). J’ai simplement proposé autour de moi, amis et famille, que l’on se groupe pour acheter les raisins. Les réponses ont été enthousiastes pour la plupart. Ils obtiendront dans un an des bouteilles à prix coûtant, à la mesure de leur participation. Une vingtaine d’entre eux sont venus vendanger et tout cela s’est terminé par une bonne paulée ! J’ai créé un groupe WhatsApp dès le printemps pour que chacun puisse suivre l’évolution de la vigne et maintenant du vin. Ce n’est donc pas une aventure personnelle mais un projet pour se réunir entre amis et en famille, autour du meilleur catalyseur pour le faire : le vin ! 

Les micro-négoces ont un positionnement bien particulier. Vos rares bouteilles vont-elles suivre cette logique ?
À mon niveau, on est en-deçà du « micro ». 600 bouteilles… « nano-négoce » peut-être ! Parler de positionnement serait désopilant.  

On connait le journaliste et dégustateur. Mais quel genre de vigneron êtes-vous ?
Je ne suis certainement pas vigneron ! On m’a confié des raisins, cultivés en bio à Chorey-lès-Beaune, c’est tout. Mon défi est de les vinifier au mieux. Les meilleures bouteilles sont celles dont le niveau baisse rapidement une fois posées sur la table ! C’est la grande différence entre les vins de Bourgogne bien réussis et la production de beaucoup d’autres régions : la bouteille descend sans qu’on s’en rend compte. Et quand elle est à sec, on regrette qu’elle soit déjà vide… Mon ambition est de produire un vin digeste, élégant, aux arômes subtils et nets. Ce que peut nous offrir un pinot noir bourguignon bien fait.

Les idées reçues sont souvent balayées par la vérité du terrain. Avez-vous déjà découvert des choses en la matière ?
Mon bilan, à ce stade encore précoce, c’est que je suis devenu un pro du Kärcher ! Sols, cuves, fûts, égrappoirs et même amphore. Tout ce qui se trouve dans une cuverie, je sais le passer à l’eau sous pression… Ce n’est pas très romantique mais cela illustre la première règle en matière de vinification : l’hygiène et la propreté. Le reste sont des choix qui impriment un style : date de vendanges, utilisation de la vendange entières, durée de cuvaison, etc.

700 kg de raisin à assumer et « une vinification qui se passe comme dans un livre ». Le journaliste appréhende cette expérience avec humilité. © D.R.

Vous n’êtes pas le premier plumitif à traverser le miroir. Laure Gasparotto en a même fait un livre sans rien cacher de ses déboires. Que vous évoque ce passif ?
Laure Gasparotto (ndlr, journaliste vin au Monde) a eu bien plus de courage que moi. Elle est devenue véritablement vigneronne. Elle a cultivé des vignes, vinifié et mis en bouteille ses vins plusieurs années durant. C’est assez amusant que vous citiez son nom car nous nous connaissons depuis plus de vingt ans et c’est l’une des toutes premières personnes que j’ai rencontrées en arrivant en Bourgogne. J’en retiens qu’il ne faut pas craindre d’oser vivre de nouvelles expériences. Même si elles se terminent parfois par un échec. Il y a toujours moyen de les transcender. Laure en a fait un livre qui a touché un large public. Pour ma part, cette expérience enrichira mes multiples activités en synergie autour du vin : journalisme, édition, animation de dégustation, enseignement. Leur point commun étant de vulgariser (au sens noble) tout ce qui accompagne l’élaboration d’un vin.

« C’est un millésime généreux à tous les niveaux. Ça se passe comme un livre… J’ai beaucoup de chance. »

Dans le journalisme comme dans la vie, les bons contacts peuvent aider…
Oui, évidemment. Les bons contacts sont même indispensables. Faire du vin, c’est s’inscrire dans un écosystème fait d’entraide, d’échanges et de conseils. Pas moins de six personnes ont permis cette aventure en incluant bien-sûr le domaine auprès duquel j’ai acheté les raisins. La cuve que j’utilise m’a été prêtée par le vigneron de Savigny précédemment évoqué, un autre m’a prêté des caisses à vendanges, un troisième des seaux et des sécateurs. Mon beau-père Sylvain Pitiot, ex-régisseur du Clos de Tart, m’apporte ses plus de 40 millésimes d’expérience. Enfin, je vinifie chez un micro-négociant qui a accepté de m’accueillir. Il me donne lui aussi de précieux conseils. En retour, je lui assure un bon coup de main en cave.

2022 est un millésime généreux. Débuter ainsi, c’est mieux ou c’est pire ?
Des raisins murs, peu de tri à faire, et concernant ma cuvée entre 13 et 13,5°, pour une acidité totale de 3,48 (les spécialistes apprécieront). Des mensurations de rêve. C’est un millésime généreux à tous les niveaux. Bref, ça se passe comme un livre… J’ai beaucoup de chance.   

Maintenant que vous vinifiez en Côte de Beaune, allez-vous investir dans une panoplie de doudounes sans manches ?
Non, personnellement j’en suis resté à la bonne vieille polaire. Ma femme et mes enfants me taquinent souvent à ce sujet.