Louis de Broissia se débride

Ses récents voyages l’ont ramené aux racines asiatiques de sa philosophie pacifiste. Apaisé et en même temps « débridé » comme l’annonce le titre de son livre, l’ancien président du conseil général de Côte-d’Or fait le pont entre son Yunnan oublié et la Bourgogne-Franche-Comté retrouvée. « Avec nos pensées, nous créons le monde » a dit Bouddha.

Par Dominique Bruillot
Photo  : Jean-Luc Petit

Cela n’a rien d’un livre au sens commun du terme, rien d’un roman égocentrique. Débridé, du fleuve rouge à la Vingeanne est le témoignage abrupte d’une vie, depuis ses sources asiatiques jusqu’à son accomplissement bourguignon et franc-comtois. Louis de Broissia réfute d’ailleurs le concept de l’auto analyse. Après tout, il n’est « que » le résultat d’un concours de circonstances, d’une première enfance coloniale entre Chine et Inde, d’une autre guerre oubliée, d’un père général confronté avec dignité à l’inextricable dont il est aujourd’hui le premier des admirateurs.
La suite, on la connaît. La France s’emmêlera les pinceaux dans ces contrées aussi lointaines et différentes, ce sera le désastre de l’Indochine. Comme les autres, les de Broissia retourneront en France, mère patrie pas toujours tendre pour ses exilés. À Nantes puis à Dole, où ils retrouveront l’un des creusets de la famille, dans le milieu des années 50.

Trahison et fidélité

La vie, têtue comme une mule, fonctionne en boucle. Ce qui nous fait voir le jour nous retrouve au bout du chemin. Né entre le sabre et le goupillon, « LDB » ne cesse de composer avec la fierté qui le lie au maniement du premier et l’humilité que lui suggère le deuxième. Ce moine bénédictin va jusqu’à ferrailler s’il le faut. « Loulou », comme l’appellent avec tendresse certains de ses amis, a d’ailleurs effectué une carrière multidirectionnelle et insolite. Aventureuse s’il le faut, intuitive et élégante en toute circonstance.
Cadre de l’industrie agroalimentaire à ses débuts, il devient ensuite le patron sans doute le plus apprécié du Bien Public, le journal côte-d’orien. Porté par des valeurs humanistes, l’homme de presse sera un combattant politique autant déterminé que pacifiste, un pèlerin autant spirituel qu’œcuménique.

Cet ouvrage n’est donc ni un roman ni une autobiographie. Il pose les étapes d’un parcours comme on grave une sentence dans la pierre, pour longtemps, avec pour seul juge de ses actes le temps qui passe. Dès les premières pages, son mérite est de nous éclairer sur le destin méconnu de ces Français nés entre Inde et Chine, qui devront se reconstruire dans une France cocardière volontiers caricaturiste de son historique rayonnement colonial.

Il enseigne que la chose publique se travaille avec patience, et qu’avant de prétendre présider un conseil général il faut savoir servir la cause d’une petite commune. Il rappelle que l’engagement territorial est une bataille permanente, où la trahison et la fidélité sont des inconnues qu’il vaut mieux savoir anticiper. Même si certaines choses, parfois, mériteraient de rester à jamais dans les vieux cartons de la mémoire…

Sabre et goupillon

Louis de Broissia aurait pu se livrer à un automnal et salutaire exercice autobiographique. Il aurait pu aussi s’interroger sur les rôles qu’il aurait pu occuper dans un autre scénario. Après une existence déjà bien remplie, ce frustré de la Marine trouve en effet grand plaisir à voyager en simple matelot de la Boudeuse avec son ami l’aventurier dijonnais Patrice Franceschi, lequel lui dédicace son ouvrage. Inlassable, bien que retiré brutalement des affaires politiques, Louis de Broissia renoue avec son Asie intérieure, se prend à rêver de convaincre les Chinois d’accueillir le Dalaï Lama en pèlerinage sur les monts Wutaï. L’utopie, la belle utopie est plus que jamais en lui.

Il a de qui tenir. L’un de ses ancêtres, le marquis de Broissia facilita l’arrivée en Chine du peintre dolois Jean-Denis Attiret. L’artiste devint frère jésuite et l’ami proche de l’empereur Qianlong. Son témoignage historique, pictural et littéraire, est unique. Entre le sabre et le goupillon, les de Broissia ont donc vocation à débrider les situations et à jouer les passeurs. Louis assume l’héritage. En toute bonne foi.
Face à son incapacité à mentir en politique, le peintre sino-dijonnais Yan Pei-Ming lui avait ainsi répondu en plaisantant : « C’est pas un avenir, ça ! » En réalité, tout dépend du regard que chacun porte sur son verre. Qu’il soit à moitié plein ou à moitié vide, le niveau est toujours le même. Débridé, du fleuve rouge à la Vingeanne laisse la liberté d’un tel point de vue à son lecteur.


Débridé, du fleuve rouge à la Vingeanne, OO Editions, 164 pages, 18 euros.

Sortie officielle et en avant-première ce lundi 25 juin à 19h00 au Cinéma Olympia 19h, soirée cocktail en présence de l’auteur. Livre en vente à Dijon Librairies Grangier et Gibert Joseph.