Saulieu : Patrick Bertron (Relais Bernard Loiseau) prend sa retraite

Après plus de 40 années de bons et savoureux services, Patrick Bertron prépare en douceur une nouvelle vie qui lui laissera plus de temps pour sillonner les chemins du Morvan à VTT. C’est désormais officiel : Louis-Philippe Vigilant, pur produit de la grande maison Loiseau, lui succède à Saulieu. La transmission marie alors l’héritage d’un lieu emblématique à la créativité de ses acteurs. Elle peut, d’une certaine façon, être symbolisée par l’évolution à travers les époques de la fameuse poularde à la vapeur d’Alexandre Dumaine.

Patrick Bertron cède sa place de chef exécutif du groupe Bernard Loiseau à Louis-Philippe Vigilant. © Jean-Luc Petit / Bourgogne Magazine

Sa découpe est déjà un art. On commence par détacher les cuisses, puis le blanc, par morceaux entiers et compacts, à moitié « endeuillés » (le fameux « demi-deuil » !) par la présence sous-cutanée de truffes. La carcasse, encore rebelle, ne s’en laisse pas conter. C’est la caractéristique remarquable d’une volaille en bonne santé, qui ne se livre pas au premier assaut. Armé d’une cuillère, le maître d’hôtel soutire directement et délicatement sa chair la plus intime, la plus délicieuse assurément. Il n’y a plus qu’à dresser. Avec solennité, pour que passe la procession des palais.

La poularde à la vapeur d’Alexandre Dumaine est un grand classique de la gastronomie française. Succédant à Saulieu au charismatique et imposant « cuisinier des rois », Bernard Loiseau en fit aussitôt, à sa manière et à sa sauce, un plat phare de la table de La Côte-d’Or. Il faut pourtant rendre à César ce qui est à César. Ou plus précisément à l’avocat Lucien Tendret, un disciple contemporain de Brillat-Savarin, qui a puisé son inspiration dans la vieille cuisine du Bugey, pour la rendre éternelle. Un pays où, disait-il, « les volailles grasses cuites à la vapeur ont meilleur goût que celles cuites dans un consommé ». Tendret, tendrement, fut le premier à publier une version à la vapeur de la cuisson d’une poularde truffée dont on trouve trace dans certains écrits… au XVIIe siècle. Une vieille histoire donc.

Le miracle permanent de l’assiette

Le travail remarquable du bâtonnier de Belley confirme que le miracle permanent de l’assiette est d’ordres sociétal et anthropologique. Alexandre Dumaine, Fernand Point et son élève Paul Bocuse, ou encore Bernard Loiseau n’ont fait que s’inscrire, avec le talent qui est le leur et une vision du goût assaisonnée aux attentes de leur époque, dans une tradition existante. Un savant et savoureux héritage où se mêlent le génie des hommes et des femmes, la disponibilité du terroir de proximité et, surtout ne jamais l’oublier, le croisement des cultures. En effet, au même titre que la générosité, la rencontre avec l’autre a toujours nourri l’ouverture d’esprit, et produit le meilleur dans l’assiette. Les épices ne sont pas venues chez nous par hasard.

Patrick Bertron est dans la droite ligne ce cet héritage, tout en apportant, comme c’est d’usage, sa touche personnelle. Dit comme ça, cela paraît simple. Et pourtant. « Je n’ai pas la personnalité de Monsieur Loiseau. Il était unique et je suis arrivé à la position de chef par la force des choses, j’ai appris à ma façon la direction de la cuisine », rappelle humblement celui qui, par sa fidélité à sa maison, demeure un cas à part dans l’histoire de la gastronomie française. En 1982, l’année de ses 20 ans, il est venu de Rennes pour rejoindre Bernard Loiseau. Neuf ans plus tard, la troisième étoile décrochée par l’établissement est un peu la sienne. Puis arrive ce jour tragique du 24 février 2003, quand le grand chef, son mentor, décide de rejoindre les étoiles du ciel éternel. Aussitôt, Dominique Loiseau reprend courageusement le destin inachevé de son mari. Le discret Patrick Bertron, propulsé malgré lui sur le devant de la scène, apporte en soutien l’éclatante révélation de son talent.

Depuis, la « patte » du Breton s’est imposée, dans un style mesuré et respectueux, en rapport avec sa personnalité. Cet amoureux fou du Morvan a trouvé dans sa région d’adoption le terrain d’expression de ses envies sportives, une nature généreuse et, cela tombe bien, un peu du celtisme qui coule dans ses veines. Le chef, adepte de plongée, aime travailler son sujet en profondeur.

La construction d’un chef

En 2023, Saulieu s’apprête à tourner une nouvelle page. Dominique Loiseau prend enfin un peu de bon temps dans son jardin et un recul bien mérité. Bérangère, l’aînée des enfants, dirige le groupe. Blanche, la digne fille de son père, arrose Besançon de son enthousiasme et de sa cuisine généreuse à Loiseau du Temps, bel établissement ouvert au printemps

En douceur, étape après étape, Patrick Bertron prépare celui qui est désigné pour prendre sa relève à Saulieu, Louis-Philippe Vigilant, un pur produit de la maison. Des origines martiniquaises, un passé de basketteur et une passion sans bornes pour la cuisine développée en famille ont construit ce chef de 39 ans. Une école hôtelière le conduit ensuite auprès de grands chefs métropolitains : les frères Pourcell, Gérald Garcia, Yves Thuriès, le Louis XV à Monaco, le Jules Verne au second étage de la tour Eiffel. Sans oublier un apprentissage fondateur chez « BL », qu’il retrouvera en 2013 en donnant une étoile à Loiseau des Ducs à Dijon peu après son ouverture.

« Idéalement, nos cuisiniers passent par Saulieu. J’y ai connu Louis-Philippe en tant que commis de cuisine, il avait beaucoup progressé avant de découvrir de nouveaux horizons, comme cela doit se faire dans nos métiers », se souvient Patrick Bertron. « Dans une maison comme le Relais Bernard Loiseau, on ne pas débarquer en imposant sa marque. C’est une maison familiale avec ses codes, une maison de haute gastronomie dont on doit respecter l’ADN », répond en écho son protégé, rappelé au siège il y a quelques mois pour se préparer à un nouveau chapitre de sa carrière.

« Dans une maison comme le Relais Bernard Loiseau, on ne peut pas débarquer en imposant sa marque. C’est une maison familiale avec ses codes, une maison de haute gastronomie dont on doit respecter l’ADN. »

Louis-Philippe Vigilant, nouveau chef exécutif du Groupe Bernard Loiseau

Juste de la bonne cuisine

La transmission est souvent une question d’alchimie. Entre les deux hommes, elle se traduit par une approche quasi philosophique. « J’ai pris à ma manière la direction de la cuisine, à savoir créer avec ceux qui m’accompagnent, même si c’est moi qui donne la thématique, toujours en considération du nom prestigieux que porte l’entreprise, développe Patrick Bertron. Ce qui n’empêche pas d’apporter progressivement son style ». Dans le cas présent, c’est une véritable complicité qui s’installe. Adepte du vouvoiement, le sexagénaire tutoie le presque « quadra ». Ce rapport à l’autre, exceptionnel, est bienveillant, « il montre à tout le monde l’importance et la considération que j’ai pour lui »., Louis-Philippe Vigilant semble apprécier cette « fraternité ». Surtout de la part de celui qui, à ses yeux, incarne le goût du travail ciselé, de la précision et du respect du produit. La marque de fabrique du Relais sera donc protégée. Les marqueurs qui masquent le produit n’auront pas leur place. Pas question non plus d’aller sur des terrains non maîtrisés, « de se perdre dans des approches trop photogéniques que tu ne serais pas capables de tenir en cuisine, et se feraient au détriment de l’essentiel, le goût ».

Le Martiniquais se sent Morvandiau dans l’âme. Il va même chercher ses légumes à Mont-Saint-Jean, dans l’Auxois tout proche. « Il n’y a pas de cuisine moderne ou ancienne, juste de la bonne cuisine, insiste Louis-Philippe Vigilant. Nous proposerons toujours un ou deux plats totems, sans pour autant vivre dans le passé. » Preuve en est, notre poularde évoquée plus haut est devenue un cas d’étude dans les cuisines du Relais Bernard Loiseau. Qu’on se rassure, elle ne disparaitra pas du menu. Mais notre petit doigt nous dit que le riz basmati cédera sa place à un riz IGP de Camargue, et que la farce de légumes se transformera en « un gâteau plus technique ». On n’arrête pas le progrès !

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