Tio Pepe : quand le train-train du musicien dijonnais déraille

Tio Pepe est un musicien extra-terrestre qui vit à Dijon. Le train-train en retard de sa vie aime les stations exotiques et les rendez-vous surréalistes. Il en a fait un livre. Aux dernières nouvelles, dérouté, le chef de gare a démissionné.

« Des trains, des teckels, des blondes, des couples qui s’ennuient, des moches, des moutons, des fakirs, des maisons de disque… des rendez-vous manqués… des stars… » N’en jetez plus, la cour est pleine, livrée en pleine face sur la page de garde de son livre. On ne voudrait pas vivre à l’intérieur de la tête de Tio Pepe. Égal à lui-même, le musicien a déraillé pour le plus grand plaisir de ses fans.

Le train-train de la vie est annoncé avec du retard en dit déjà assez sur le fourmillement d’un esprit en apparence désorganisé, qui se nourrit pourtant méthodiquement de blues, de poésie absurde et de voyages sans road-book. Pour les Dijonnais, el Tio est un phénomène mi-rock, mi-latino qui hante les soirées locales, historiquement attaché à certains lieux mythiques comme la Jam ou feu Le Cintra. Avec un côté goguenard et un poil filou.

Tio s’étale avec nostalgie dès les premières pages de son livre, sur ses origines familiales. Une enfance heureuse qu’il salue comme s’il devait faire un acte de rédemption. Mais tout en expliquant avoir appelé une amie autrice pour cadrer ses pensées délirantes. L’ironie tourne en rond. Le train commence déjà à dérailler.

Le burgondo-latino-chanteur-musicien n’en finit plus de prendre, au fur et à mesure des pages, des wagons tantôt loufoques, tantôt carrément barrés. Jamais normaux en tout cas. Le regard de Tio sur les événements de sa vie est un exercice de style qui motiverait de nombreuses consultations d’ordre psychanalytiques. D’ailleurs, on vient d’apprendre que le chef de gare de sa destination finale a démissionné. Il n’était plus sûr que le convoi viendrait un jour jusqu’à lui. Se joue alors une partie de ping-pong surréaliste entre l’auteur et le lecteur. On y joue, on n’y joue pas. C’est une partie sans règle.

Un train sans heure

Sur l’écran noir de ses nombreuses nuits blanches, Tio est un magicien qui fout la zone. Capable, un soir de concert, de faire croire à un jeune couple présent dans la salle qu’il a gagné la vieille Fiat de la tôlière de l’établissement. Le coup de la tombola bidon finira en cacahuète, provoquant la colère de tout le monde. Des années plus tard, il ne s’explique toujours pas pourquoi l’avoir fait.

On le retrouve un autre jour dans la peau du chien de sa chienne, une femelle teckel imposée par sa compagne, qu’il aurait voulu exécrer. Mais qui finalement fait de lui son propre toutou. Ceci n’a rien de rationnel en apparence, mais reste inspiré de faits réels détournés par el Tio, points culminants d’une vie de patachon diront les uns, fulgurances d’un esprit libre diront les autres.

Le grand voyage dans ce cerveau irrigué par quelques décennies de scènes sans limites serait celui qu’un tour-opérateur peu scrupuleux présenterait comme le parcours d’un témoignage sentencieux. En réalité, rien de tout ça. Le train-train toujours en retard de Tio Pepe ne fait que vous embarquer dans les méandres improbables d’une personnalité diaboliquement attachante. Il n’a pas d’horaire ni de rail. Il est hors champ. À vous de le saisir entre les lignes.


Le train-train de la vie est annoncé avec du retard
Tio Pépé Santisteban, 230 pages, ed. Maïa, 19 € TTC,
en vente en librairie et via [email protected]