La « verticale » des Frachot (1): l’Hôtel du Nord

© Jean-Luc Petit
© Jean-Luc Petit

Dans le domaine du vin, on appelle « verticale » une dégustation qui visite les millésimes plus ou moins anciens d’un même climat. Pour la famille Frachot, la comparaison vaut la peine d’être jouée, tant cette famille s’est inscrite dans la logique de son terroir dijonnais. Depuis plus d’un siècle et jusqu’à Dominik, de père en fils, les Frachot ont tenu l’emblématique Hôtel du Nord. C’est l’histoire que nous vous racontons ci-dessous.
Aujourd’hui dans la famille Frachot, on demande le père, Dominik, indissociable de l’Hôtel du Nord. Demain, ce sera le deuxième extrait de ce dossier du prochain Dijon-Beaune Mag (sortie en fin de semaine) qui vous sera servi, avec un autre lieu de légende, le Chapeau Rouge, et William à son bord, fils de Dominik, qui a décroché en toute indépendance sa deuxième étoile au Michelin l’année dernière.

Arletty : « A Toulon il y a l’air puisqu’il y a la mer, tu respireras mieux. »
Louis Jouvet : « Partout où on ira ça sentira le pourri! J’ai besoin de changer d’atmosphère. »
Arletty: « Atmosphère, atmosphère… est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère? »

L’Hôtel du Nord de Dijon, c’est une évidence, n’a pas grand-chose à voir avec celui du film de Marcel Carné, en 1938. Mais l’un comme l’autre dégagent à leur façon une atmosphère singulière et une sacrée gueule qui en font la distinction. Immuable, associé depuis la nuit des temps à l’histoire dijonnaise, le nôtre porte en lui les gènes de la place Darcy. Il contient entre ses murs les secrets de la vie locale, avec son lot de confidences sur l’oreiller, son casting de célébrités venues incognito ou pas signer le livre d’or, et la jolie lignée des Frachot qui en sont les gardiens.

Car depuis 1907, l’établissement appartient à un Frachot. François de son prénom est alors maître d’hôtel au Buffet de la Gare. L’Hôtel du Nord propose une quinzaine de chambres. Il en achète le fonds de commerce et accroche définitivement son patronyme au destin de l’affaire.

Une quinzaine d’années plus tard, Germaine Oudot vient de Longeot en calèche jusqu’à Dijon. Régulièrement, elle quitte sa plaine dijonnaise pour se faire suivre par son ophtalmologiste. Ses yeux ne sont pas si malades que cela. Comme disent les Québécois, ils tombent en amour pour Alexandre dit Alfred, le fils de François, qu’elle épouse dans la foulée. « Mes grands-parents reprendront l’affaire dans les années vingt, en rachetant la moitié des murs », témoigne Dominik Frachot, le représentant actuel de la quatrième génération.

Drôle de guerre

Pourtant, l’Hôtel du Nord aurait bien pu perdre la boussole. Alors que la Seconde Guerre mondiale arrive, Henri, fils d’Alfred, va mette en pratique sa formation hôtelière, embarqué malgré lui dans un hôtel munichois, dans le cadre du Service de travail obligatoire. Pendant ce temps, les sinistres tortionnaires de la rue Chaussier réquisitionnent pour plusieurs années l’Hôtel du Nord, nouveau siège des redoutables services spéciaux allemands. Paradoxe s’il en est, ces bouchers opèrent en sous-sol pas très loin de là, mais au nom de leurs affaires qu’ils jugent de la plus haute importance, demeurent d’une grande correction. Droits dans leurs bottes. Sans tomber dans les excès et la soulographie, ils soignent leur image. Pas comme ces Américains qui leur succéderont en 44 et 45, des soldats bruts de décoffrage tout droit venus du Kansas. Ces nouveaux colons posent les pieds sur les tables, cumulent les beuveries et se font livrer des capotes anglaises dans les chambres. En 1946, un impôt solidarité nationale de 330 250 francs fait le solde de tout compte de cette période trouble.

Henri reprend les rênes de l’hôtel. Dominik, le deuxième de ses cinq enfants, fidèle à la tradition familiale, passe par l’école spécialisée de Thonon-les-Bains avant de fréquenter quelques établissements de prestige à des rôles différents. Employé au service à Evian et à l’hôtel Meurice à Paris, il s’active ensuite dans les cuisines de L’Hermitage à La Baule avant de se confronter au contrôle de comptabilité au sein du prestigieux Ritz. Une carrière de cadre dirigeant l’attend chez Borel.

Porte Guillaume

Mais en 1977, la famille le rappelle à Dijon. Dans des circonstances délicates: « Mon père était malade, il m’a fallu régler les problèmes de succession avec mes frères et sœurs, en bonne entente car nous sommes toujours très unis, et c’est comme ça que nous nous sommes retrouvés, mon épouse et moi, à devoir redresser une affaire qui en avait bien besoin. »

Voilà comment, par exemple, le petit William devient Dijonnais avant d’écrire son propre parcours au Chapeau Rouge. Voilà comment, en bientôt quarante ans, l’Hôtel du Nord passera de 18 employés à 28 aujourd’hui, et qu’il aura un petit frère, dès 1993, L’Escargotière et son restaurant La Véranda à Chenôve, repris par Dominik Frachot.

La table du restaurant de l’hôtel du Nord a elle-même son propre parcours. « Ma difficulté a été de faire comprendre aux Dijonnais que nous ne faisions pas que de la cuisine bourguignonne. » D’où ce nom de Porte Guillaume, tout naturellement imposé par le monument le plus proche et habilement suggéré par le patron du guide Kléber dans les années quatre-vingt. D’où cette volonté aussi de rester fidèle aux produits maison – bien avant qu’on en fasse tout un plat – que confirme la reconnaissance des Maîtres Restaurateurs de France.

Signe que l’histoire ne s’arrêtera pas là : les nappages, la verrerie et la déco ont pris un bain de jouvence récemment. Et la clientèle locale vient s’y noyer avec grand plaisir, pour déguster une cuisine familiale, sans prétention, bonne comme le pain.

 Demain : William Frachot, « sir William »

* Hôtel du Nord, restaurant
et caveau de la Porte Guillaume, place Darcy, 21000 Dijon
Tél. : 03.80.50.80.50 – Fax : 03.80.50.80.51 – Courriel : [email protected]