50 ans du circuit Dijon-Prenois : récit d’un Grand Prix de France 1979 héroïque

Le circuit Dijon-Prenois a 50 ans cette année. Au classement général de ses moments de gloire, le 1er juillet 1979 figure tout en haut : ce jour-là, la F 1 s’arrête en Côte-d’Or pour un Grand Prix de France légendaire. Ceux qui l’ont vécu racontent.

À l’approche de Dijon, sur l’A38, un panneau touristique illustré annonce le circuit de Dijon-Prenois sous la ligne claire du dessinateur Floc’h. Beaucoup d’entre nous sont déjà passés à toute vitesse devant ce portique. Seuls les initiés auront relevé les particularités des deux monoplaces en train de se tirer la bourre. Un indice ? Leur couleur : une rouge avec le numéro 12 et une jaune avec le numéro 16. Tout sauf un hasard. Il s’agit bien de la Ferrari de Gilles Villeneuve et de la Renault de René Arnoux, lors de l’épique duel qu’ils se sont livrés sur l’anneau côte-d’orien. 

10 km de file d’attente

En 1979, pour la troisième fois de sa jeune existence, le circuit accueille le Grand Prix de France de Formule 1. C’est l’époque très disputée des Jody Scheckter (futur vainqueur du championnat), Niki Lauda, Jacques Laffite, Keke Rosberg, Jacky Ickx… L’effervescence est partout : « Ces grands rassemblements étaient de véritables épopées, rapporte avec gourmandise André Métivier, ancien membre de l’équipe d’organisation des GP, en charge des caisses du circuit. Il fallait voir la file interminable de voitures jusqu’à l’entrée de Dijon. L’attente débutait devant le lycée Montchapet, à plus de 10 km ! » 

Les jours de Grand Prix, l’enceinte de Prenois accueille plus de 100 000 spectateurs, dont les véhicules remplissent des parkings à perte de vue dans les champs environnants : « Les agriculteurs se dépêchaient de faire la moisson ! En ce temps, les courses de F1 n’étaient pas toutes télévisées, on faisait des centaines de kilomètres pour être là, le nez au bord de la piste. C’était la passion avant tout. » 

Et comment : directeur d’une agence bancaire la semaine, André devenait chargé des guichets le week-end, de façon tout à fait bénévole… et rock’n roll. « On mettait la recette de la billetterie dans des boites à chaussures, puis je descendais à Dijon escorté par des motards pour déposer l’argent au coffre de mon agence. Ensuite, il fallait deux ou trois jours à mes employés pour compter pièces, billets, et endosser les chèques. »  

La « théière jaune » en pole

Revenons à ce Grand Prix de France 1979. En ce 1er juillet, Renault joue à domicile et doit prouver l’efficacité de son moteur turbocompressé après deux premières saisons peu convaincantes, à tel point que les observateurs britanniques surnomment la monoplace française « la théière jaune ». Au programme de ce dimanche estival, 80 tours d’un circuit qui, depuis l’ajout d’un grand virage parabolique en 1977, a été porté à 3,8 km. « La piste de Prenois est à l’époque un passage très scruté par les motoristes, rapporte Georges Deffrennes, qui siège alors au collège des commissaires sportifs de l’épreuve, l’instance en charge de surveiller l’application de la réglementation durant la course. Avec la montée de Pouas à 16 %, un tracé vallonné, des virages rapides et des pointes de vitesse sur la grande ligne droite, ce tracé technique mettait les voitures à rude épreuve, ce qui était riche d’enseignements pour les constructeurs. Du coup, s’imposer à Dijon était un gage de notoriété. » À ce jeu-là, le Grand Prix de 1979 va rentrer dans l’histoire du sport automobile. Après un peu plus d’une heure et demie de course, le Français Jean-Pierre Jabouille s’impose, donnant une victoire hautement symbolique à la firme au losange : « C’était la première victoire de Renault, en même temps que le premier succès d’un moteur turbo en Formule 1, rapporte Yannick Morizot, l’actuel président du circuit Dijon-Prenois. Ce fut un tournant énorme pour l’évolution de la motorisation dans cette discipline. » 

Mano à mano

Pourtant, la victoire de Jabouille, le sacre de Renault et de son V6 turbo, tout ça va être éclipsé par une bataille héroïque livrée juste derrière entre « deux gros tempéraments », dixit André Métivier. René Arnoux sur l’autre Renault RS10, le Canadien Gilles Villeneuve et sa Ferrari 312T4 : l’image des deux pilotes à touche-touche, en bout de ligne droite, et des fumées bleues qui s’échappent des freins, a fait le tour de monde. Entre Villeneuve l’acrobate et Arnoux le fougueux, amis hors du circuit, un mano à mano de folie va se jouer dans les derniers tours. 

Après avoir longtemps résisté aux coups de boutoir du Français, le Canadien finit par céder au bout de la ligne droite, laissant croire aux spectateurs à un doublé Renault à la maison. C’était oublier la combativité du pilote de la Ferrari, qui reprit son bien peu après, non sans avoir totalement bloqué sa roue avant-gauche. Il ne restait plus qu’un tour… et le chassé-croisé se poursuivait de plus belle. Arnoux réédita sa manœuvre au premier virage, mais Villeneuve lui tint tête au tournant suivant. Le Français dut virer au large et cassa une attache moteur sur un vibreur tout en restant deuxième, jusqu’à ce que Villeneuve s’infiltre dans un trou de souris et tamponne la Renault ! Le virage suivant redonna l’avantage à Arnoux, placé à l’intérieur. Qu’à cela ne tienne, Villeneuve plongea au prochain pour doubler une dernière fois la RS10 n° 16 et terminer la course à la 2e place, derrière la Renault de Jabouille et devant celle d’Arnoux. 

Un scénario d’anthologie rentré au panthéon de la discipline : « Sur YouTube, ce duel de 1979 est toujours l’une des vidéos de sport automobile les plus consultées et commentées », rappelle Yannick Morizot. Arnoux confesse volontiers qu’il ne se passe pas une semaine sans qu’on lui parle de ce duel. Il s’en amuse souvent, comme lorsqu’il estime qu’aujourd’hui, « on mettrait les gens en prison pour ça ! »

Prestige durable

Au final, Dijon-Prenois accueillera le Grand Prix de France de Formule 1 à cinq reprises entre 1974 et 1984. Alain Prost s’y imposera en 1981. Mais dans les cœurs, aucune des autres courses ne remplacera celle de 1979, année héroïque. « La Formule 1 a été une aubaine pour notre circuit, conclut Georges Deffrennes. Déjà parce que les revenus qu’elle a générés ont permis d’amortir plus rapidement l’investissement consenti pour les infrastructures. Surtout, elle a élevé Dijon-Prenois au rang des circuits de prestige. » Une image et une notoriété qui ne se démentent pas quarante plus tard, même si la F1 a quitté les paddocks pernoleis depuis bien longtemps. 

La F1 version suisse
Si le circuit de Dijon-Prenois a accueilli cinq Grand Prix de France, les Formules 1 s’y sont confronté à sept reprises au total car deux Grand Prix de Suisse ont aussi eu lieu ici, en 1975 et 1982. André Métivier explique pourquoi : « Dans les années 50, le Grand Prix de Suisse se courrait dans les environs de Berne. En 1955, lors des 24 Heures du Mans, un accident a fait plus de 80 morts parmi les spectateurs après la sortie de route d’une voiture. Suite à cette tragédie, les autorités suisses ont décidé d’interdire purement et simplement les courses automobiles sur circuit dans leur pays. Le circuit de Berne cessa donc toute activité et le Grand Prix de Suisse disparut avant de réapparaitre ponctuellement à Dijon-Prenois du fait de sa proximité avec la confédération helvétique, puis de disparaître complètement. » Aujourd’hui, le circuit côte-d’orien demeure plus que jamais le terrain de roulage de prédilection de nos amis suisses.