Dijon : rue des Godrans, bénie du tram mais pas que

L’arrivée du tramway en 2012 a métamorphosé la rue des Godrans. Mais ses commerçants ont su « capter le flux » de la deuxième artère passante de la ville. Et en faire un petit village à part entière, qui a largement diversifié sa proposition.

Antoine « Tonio » Veyssière, gérant de la librairie Momie rue des Godrans et président de l’association commerçante Godrans Village. © Jean-Luc Petit

« Ça me renvoie à 2016 quand, sur le point de déménager, je comptais les passants pour être sûr de faire le bon choix ! » Avant d’occuper le milieu de la rue des Godrans, Antoine Veyssière était plus bas, dans un renfoncement de la place Grangier, rue de la Poste. Son univers manga se développait déjà bien. « J’avais une boutique de 40 m2 et je voulais grandir, faire de la BD, des comics… Une rue devait me permettre de franchir un cap. Je me suis assez vite rendu compte du flux des Godrans. » Et comment ! Son renouvellement est indiscutable, servi par quelques accomplissements esthétiques notables : les élégantes grilles à la place du mur de la Banque de France offrent une perspective bien agréable. Puis, au bout des Godrans, tout près de la rue de la Lib et de la mythique Chapellerie Bruyas, on accède à la fameuse cour Bareuzai

« Amener du monde est une chose… »

Ce matin-là, la rame du T1 vient à peine de se mettre à quai. Des dizaines de Dijonnais masqués déboulent. C’est jour de marché. « Le tramway, la piétonnisation et la vitalité des halles ont métamorphosé la rue, qui a longtemps été dévolue aux restaurants. Elle est devenue la deuxième plus passante de Dijon, et sa nature commerciale a changé aussi », confirme tout de go « Tonio », qui a désormais pignon sur rue avec les 230 m2 de son enseigne Momie. Les cellules un temps vacantes autour de lui ne le sont plus. Un salon de coiffure Franck Provost vient par exemple d’ouvrir au n° 5, tout près de la station de tramway.

Antoine ne peut qu’apprécier, en tant que président de l’union commerciale Godrans Village. La dénomination de cette dernière ne fait pas de doute sur son caractère fédérateur et amical. « C’est sans doute la force de notre structure de petits indépendants », enchérit Karine Basset, l’une des dernières arrivées. Sa confiserie est une des huit boutiques en France du fabricant centenaire basé à Aix-en-Provence, Le Roy René. Dans l’échoppe joliment agencée, les fruits confits et les célèbres calissons sont rois. « Après une longue carrière dans l’industrie et la recherche, j’avais envie de changer de cap. Aujourd’hui, je m’épanouis, je fais découvrir aux Dijonnais les saveurs provençales accordées aux vins locaux, je propose des calissons au cassis noir de Bourgogne… J’entends beaucoup dire que la rue des Godrans est celle qui a le plus bénéficié de l’effet tram. Mais ce n’est pas arrivé par miracle : il ne faut pas enlever le mérite à ses commerçants qui ont su adapter leur offre et leur façon d’appréhender le commerce. Amener du monde est une chose, le capter et le séduire en est une autre. » Ça, c’est dit !

Le café du matin, non délocalisable 

2020, chacun le sait bien, aura un peu noirci le tableau. La rue des Godrans, pas si loin de la place de la République, a déjà été éprouvée par les manifestations de Gilets jaunes. Pour autant, Jean-Pierre Asseman voit venir le jour d’après. Cela fait huit ans qu’il tient une échoppe de petite restauration, Coffee & Muffin, au n° 39 : « Je me suis adapté, avec une offre à emporter, en espérant rouvrir en janvier. J’ai eu la chance de bénéficier du soutien d’un noyau d’une trentaine de clients fidèles. Ils ont été géniaux. Cette période a aussi révélé nos rapports aux gens. Je n’imaginais pas que certains tenaient autant à la boutique, ça fait chaud au cœur. Même si c’est dur, je reste confiant pour le secteur de la petite restauration. Le café du matin, il ne se délocalise pas, on ne le trouve pas en ligne ! »

Fabrice Gérard, le gérant du café de l’Industrie, appréciera certainement. Juste en face, Antoine et François, du resto-bar La Menuiserie, ont fêté leur deuxième anniversaire confiné. Pas grave, les deux compères ont redonné vie à leur cuisine. En témoigne un « cochon bio de confinement » à emporter… et ce qu’il faut pour l’arroser. Sur le terrain de l’art de vivre, on ne se laisse donc pas abattre si facilement. 

Juste à côté, c’est aussi le cas pour la mode. La jeune et courageuse Agathe, aidée par son amie Lucie, s’est démenée pour valoriser sur Facebook les jolies collections de sa boutique Icône. Les Dijonnaises adorent. Quand cette période sera derrière nous, il faudra réfléchir à réunir tout ce petit monde. Et pourquoi pas un banquet ? Comme une fête au village !   

Positive attitude en pagaille
Avec presque dix ans d’ancienneté, Célia Beltrand a un peu de vécu dans le « village Godrans ». Son énergie et son sourire sont intacts, ils font plaisir à voir. « Mes clientes, c’est ma famille », résume la gérante de Lili en Pagaille, spécialisée dans les bijoux, objets de déco et accessoires de mode, bien souvent de créatrices locales. Durant le confinement, elle a multiplié les initiatives sur les réseaux sociaux pour garder le lien, lutter contre ce qu’elle appelle « une injustice ». « Je ne suis pas de cette génération du clic, mais je me suis adaptée. » Ce fut le cas de beaucoup d’autres. Et sa perception de son environnement dans tout ça ? Godrans n’a pas toujours eu bonne presse auprès de ceux qui la regardent de loin : « Quand j’étais en apprentissage, la rue des Godrans, c’était, dans l’inconscient collectif, un peu une rue entonnoir, étroite, une sorte de rue poubelle… Or j’y ai toujours vu une rue pleine de vie, avec des commerçants que j’appelle mes collègues. » Un départ en retraite ou un anniversaire : en temps normal, tout est prétexte à un petit pot de l’amitié. « Cette unité et cet esprit d’entraide, les clients la ressentent. Je suis fière d’être là, et je fais tout pour transmettre une bonne énergie. Depuis la réouverture des boutiques, on a décoré et donné une ambiance de fête. C’est le moment de mettre le paquet, tout le monde en a besoin ! » 

Célia Beltrand, gérante de Lili en Pagaille, rue des Godrans. © Jean-Luc Petit