« Fausses Bouteilles Investigation » : Laurent Ponsot raconte l’incroyable escroquerie du Dr Conti

INTERVIEW – En 2008, Laurent Ponsot faisait stopper une vente aux enchères à New York. Des grands crus falsifiés portant la référence du domaine familial étaient sur le point d’être adjugés à prix d’or. Débutait pour le vigneron de Morey-Saint-Denis une enquête qui mènera à la condamnation du plus célèbre faussaire du vin, Rudy Kurniawan alias « Dr Conti ». Dans Fausses Bouteilles Investigation, il témoigne de son combat et de sa collaboration avec le FBI. À déguster comme un (vrai) bon polar.

Dans FBI, Fausses Bouteilles Investigation (éditions Michel Lafon), Laurent Ponsot revient en détail sur l’enquête menée contre le faussaire de vin Rudy Kurniawan. © L.P / captures Raisins Amers

Propos recueillis par Laurent Gotti

Beaucoup a déjà été écrit, et même filmé, sur l’affaire du faussaire « Dr Conti ». Pourquoi était-il important de raconter cette histoire à la première personne ?
Laurent Ponsot : J’ai vécu une aventure un peu bizarre, à laquelle je voulais d’abord mettre un point final. Ensuite, beaucoup de choses ont effectivement été écrites, diffusées. Certaines fake news ont été colportées, notamment dans la deuxième partie du film Raisins Amers (diffusé sur Arte, 2016). Il est notamment dit que Rudy Kurniawan avait un palais extraordinaire. C’est totalement faux !

Comment expliquez-vous qu’il ait pu tromper tant de monde ?
Sa grande faculté est d’avoir une mémoire incommensurable. Il était capable de ressortir, quasiment copié-collé, tout ce qu’il avait lu ou entendu sur le vin. Toutes les bouteilles qu’il buvait, il les connaissait à l’avance. Il est arrivé chez des « adolescents » riches et leur a dit : « Je suis le gourou du pinard ! ». Les autres ont répondu : « Nous t’attendions. Qu’est-ce que tu peux nous vendre ? ». La couverture du livre rappelle un peu l’affiche du film Attrape-moi si tu peux

Vous parlez d’une bataille digne de Don Quichotte. Pensez-vous que votre action contre la contrefaçon a porté ses fruits ? Y a-t-il eu une prise de conscience plus générale en Bourgogne sur ce phénomène ?
Oui, il y avait beaucoup plus de faussaires avant cette affaire. De petits faussaires, des gens qui faisaient cela dans leur cuisine. Encore aujourd’hui, je fais figure d’original mais beaucoup de mes collègues me disent que j’ai bien fait. À Bordeaux ou en Bourgogne, les producteurs protègent maintenant leurs vins. On a tous cette crainte de la contrefaçon vu les prix des vins aujourd’hui. Il y a de l’argent à se faire et donc une tentation. Je n’ai pas entendu parler de faussaire depuis un bon moment. Par contre, les vins de Rudy Kurniawan existent toujours quelque part. Ils vont ressortir et ressortent déjà. 

« Je suis persuadé qu’il va recommencer à faire des faux. Je n’ai jamais rencontré dans ma vie quelqu’un capable d’un tel déni (…) Il a eu 10 ans pour m’écrire : “Désolé, j’ai fait des erreurs”. Mais non, rien. »

Les collectionneurs ont-ils davantage ouvert les yeux ?
Je voulais laver l’affront que Rudy Kurniawan a fait à l’esprit du vin en mettant entre les mains de gens, qui n’étaient pas forcément de grands connaisseurs, des bouteilles qui devaient représenter l’image de la Bourgogne, une passion de vigneron, le terroir, juste pour faire du pognon en changeant une étiquette. Ce n’était pas supportable pour moi. Je suis parti, comme cela, sans forcément bien réfléchir. Beaucoup de collectionneurs font aujourd’hui profil bas. Ils ne veulent pas que l’on sache qu’ils se sont fait rouler. J’aime les gens qui achètent, qui boivent, qui partagent… Pas ceux qui mettent un spot sur leurs bouteilles, avec le score de Parker. Ceux-là, je ne les côtoie plus.

Rudy Kurniawan a purgé près de 10 ans de prison. Avez-vous des nouvelles de lui et le pensez-vous capable de nuire à nouveau ?
Il est sorti de prison l’an dernier et a été extradé à Jakarta. Il aurait un associé prêt à le remettre en selle pour vendre du vin. Je ne peux pas me réjouir de l’avoir envoyé en prison, mais je suis satisfait d’avoir participé à le stopper. Il a joué et il a perdu. S’il essaie de rejouer, il va de nouveau perdre. Je suis persuadé qu’il va recommencer à faire des faux. Je n’ai jamais rencontré dans ma vie quelqu’un capable d’un tel déni. Il a plaidé non coupable au procès. Je m’étais rapproché de lui pour le confondre, je lui ai fait croire que nous étions amis. Il a eu 10 ans pour m’écrire : « Désolé, j’ai fait des erreurs ». Mais non, rien.

A-t-il eu des complices qui n’ont pas été inquiétés ?    
Oui, deux. Le pourvoyeur d’argent, car Rudy Kurniawan n’était pas quelqu’un de riche, et un informateur. Je mets tout cela au conditionnel dans le livre, sur les conseils d’un avocat, mais entre les lignes on peut savoir qui ils sont.

En 2017, après des dissensions, vous avez quitté le domaine familial et créé une nouvelle société avec votre fils. Quels sont vos projets ?
L’équipe que j’avais constituée au domaine est repartie comme un seul homme, pratiquement de zéro. Nous sommes négociants à Gilly-lès-Citeaux. On se qualifie de négoce « haute-couture », non pas pour se mettre en avant mais pour se donner des challenges. Nous vinifions des blancs de la Côte de Beaune et des rouges de la Côte de Nuits : 29 appellations dont 13 grands crus.    

📖 FBI, fausses bouteilles investigation (Michel Lafon), par Laurent Ponsot. 224 pages, 19,95 euros.
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