Hôtel-Dieu de Beaune : Véronique Drouhin, petite-fille de résistant

L’Hôtel-Dieu des Hospices Civils de Beaune poursuit sa saison 2025 autour de l’humanité. Le thème inspire l’œnologue et co-gérante de la Maison Joseph Drouhin née ici-même, et dont le grand-père résistant fut caché par les sœurs.

Véronique Drouhin, œnologue et cogérante de la Maison Joseph Drouhin. ©Jean-Luc Petit/DBM

Elle s’appelle aussi Guigone, comme en atteste le quatrième rang de son état civil. « Après Suzanne et Thérèse, mon père a fait rajouter in extremis un dernier prénom », raconte Véronique Drouhin, sensible à cet hommage à la cofondatrice des Hospices Civils de Beaune. 

Comme tant de Beaunois de sa génération, elle est née juste ici, dans le pavillon Saint-Anne abritant la maternité, le 1er décembre 1962. C’était un beau jour de… vente des vins, exceptionnellement retardée pour cause de référendum constitutionnel. À Beaune, quand le destin s’en mêle, il semble plus puissant qu’ailleurs. 

Bourgogne et Orégon

Avec une simplicité bien à elle, Véronique se nourrit de cette « beaunitude ». Même si son cœur balance depuis longtemps entre la Bourgogne et l’Oregon, où son père Robert Drouhin fut un pionnier français aux États-Unis en 1987. Elle puise sa force dans les eaux claires de la famille. Le patriarche Joseph, arrivé de son Chablisien natal, fut le premier à planter le cep généalogique ici en 1880. Avec ses trois frères Philippe, Laurent et Frédéric, chacun dans son rôle entre le commerce et les vignes, cette grande œnologue – la seule de la promo 85 au DNO à Dijon – est à la tête d’un domaine de 100 hectares, dans les plus beaux climats de la Bourgogne, dont l’emblématique Clos des Mouches.

Merci Berthe, merci les sœurs

Evoquer les liens entre la famille et l’Hôtel-Dieu fait inévitablement remonter à la surface l’histoire du grand-père Maurice Drouhin (1880-1960). L’homme ne fut pas seulement un vigneron-négociant visionnaire de la Bourgogne, parmi les fondateurs de l’Inao. Administrateur des Hospices Civils dès 1925, puis vice-président entre 1941 et 1955, il fut un fervent résistant, caché ici par les sœurs pendant trois mois jusqu’à libération de Beaune, le 8 septembre 1944. 

L’histoire est connue par ici. Il s’en est fallu de peu pour que la police allemande ne lui mette le grappin dessus, le 7 juin 1944, après une dénonciation par lettre anonyme. Déjà engagé pendant la première guerre, Maurice Drouhin acceptait mal la défaite française actée dès les premières semaines de l’invasion allemande. « On peut être battu, cela n’est pas déshonorant, écrivait-il le 31 août 1940. Mais je ne me consolerai jamais d’avoir vu mon pays sombrer dans la honte et la lâcheté », 

L’homme fut éternellement redevable à la mère supérieure Berthe Germain, qui le cacha au premier étage dans un recoin d’une pièce jadis nommée la « chambre du Prédicateur » (elle n’existe plus). En plus d’être hospitalières, les sœurs sont braves parmi les braves. À la fenêtre de la planque donnant sur l’extérieur, elles installent un mannequin avec dessus une de leurs robes à la fenêtre, pour écarter tout soupçon. Elles récoltent les confidences du résistant et conversent avec la famille, les dimanches à l’église. « Ma grand-mère était devenue soudainement très pieuse, retrace avec tendresse Véronique. Pendant les offices, elle cachait des petits mots dans le col de son chemisier. »

©Jean-Luc Petit/DBM

Des dons et une cuvée

Maurice Drouhin considère qu’il doit son salut à l’institution. En 1946, il fait abandon, au profit de l’Hôtel-Dieu et pour cinq années, de la moitié des fermages qui lui sont et seront dûs. La somme versée chaque année sera utilisée en priorité pour facilité l’admission de malades ne disposant pas de ressources suffisantes. Le reliquat de la somme sera employé à l’achat d’un service de table aux armes de l’Hôtel-Dieu pour les réceptions. Véronique Drouhin a découvert elle-même récemment cette partie de l’histoire. Elle a beau chercher sur place, pas de trace du fameux service…  Puis, en 1947, Maurice Drouhin ira jusqu’à donner 2,69 ha de jolis premiers crus de son domaine, un tiers de la superficie à l’époque. Une paille ! 

Depuis les années 60, le domaine des Hospices de Beaune enfante donc une cuvée Maurice Drouhin. Naturellement acteurs de la vente de charité, ses petits-enfants tiennent à prolonger cette histoire en achetant tous les ans aux enchères une partie au moins de la cuvée de ce beaune premier cru. « La concurrence est de plus en plus rude au fil du temps », fait tout de même remarquer l’intéressée, laquele a pu, en 2017, honorer les aïeux : pour le soixante dixième anniversaire de la donation de parcelles, la famille Drouhin a acheté l’intégralité des 23 pièces mises en vente.

Le 15 juin comme guide

Le thème de l’humanité développé pendant cette année de programmation coule donc de source pour les Drouhin. Véronique se sent bien ici. Elle qui aimait tant les spectacles son et lumière projetés sur les tuiles vernissés, elle viendra le 15 juin prochain pour guider le visiteur dans les pas de son destin familial (lire encadré ci-contre).

Le vin a ceci de formidable qu’il agit comme une capsule temporelle. Au fil des grands moments vécus et des amitiés tissées d’une rive à l’autre de l’Atlantique, Véronique Drouhin replonge en permanence dans la grande saga familiale. « Un ami américain fou de vieux bourgognes, que j’avais invité à dîner à la maison un jour, m’avait apporté un rarissime Clos Vougeot 1904 fait par mon arrière-grand-père Joseph. Une émotion indescriptible, car je savais que je n’en boirai plus jamais de ma vie. En pleine nuit, nous sommes allés réveiller les enfants pour leur faire goûter ! »

Un tel médicament administré au pied du lit, cela doit laisser un petit goût d’éternité. Véronique confirme. Normal, quand on s’appelle aussi Guigone.

LES VISITES
Hôtel-Dieu x Joseph Drouhin

De la maison de vin à la salle des Pôvres de l’hôpital, partagez une visite autour de la figure de Maurice Drouhin (1890-1960), négociant beaunois et vice-président des Hospices Civils de Beaune (1941-1955), et découvrez par cette déambulation inédite, l’une des histoires mêlées entre l’Hôtel-Dieu, le domaine viticole des Hospices de Beaune et les Maisons de négoce.

Jeudis 19 juin, 17 juillet, 21 août, 4 septembre, 9 octobre, 27 novembre,
18 décembre

👉 Réservation auprès de la Maison Joseph Drouhin : 03.80.24.68.88