L’auteure bourguignonne Lucette Desvignes est décédée

Originaire de Mercurey, Lucette Desvignes est décédée ce mercredi 14 février, à l’âge de 97 ans. Son œuvre, célébrée par ses pairs, lui a valu d’être étudiée jusqu’aux États-Unis où une revue était consacrée à l’étude de ses écrits. Universitaire (agrégée d’anglais, docteur ès Lettres, licenciée en droit), elle a fait l’objet de thèses consacrée à l’écriture contemporaine. L’écrivaine partageait également régulièrement des petites anecdotes du quotidien sur son blog.

Lucette Desvignes, en 2011. © Emmanuelle de Jesus / Bourgogne Magazine n°17 (2011)

Article publié dans Bourgogne Magazine n°17, en juillet 2011.
Par Emmanuelle de Jesus

Sachant ma venue, Lucette Desvignes a préparé ses livres sur des tables nappées de broderies : pas par vanité, non, par politesse. Parce qu’ils seront les jalons de notre conversation. Et avouons-le, voir réunis autour de soi les rejetons d’une vie d’écrivain, depuis le tout premier, Les Noeuds d’argile (1982) jusqu’à sa monumentale Histoire de Colombe (2010), cela doit faire quelque chose ; comme ces réunions de famille heureuse, où le ban et l’arrière-ban de l’arbre généalogique ont été conviés… 

La première vie de Lucette Desvignes, c’est l’université : elle tâte du Droit, passe l’agrégation d’anglais, consacre sa thèse de doctorat à Marivaux puis enseigne durant 25 ans la littérature comparée et l’histoire du théâtre. Une vie d’universitaire bien remplie, qui aurait comblé n’importe qui. Sauf que… « Ma formation et mes années de professorat m’avaient amener à tripoter les littératures de tous les siècles, de tout un tas de gens, déposant en moi des strates de cultures, de réminiscences… » C’est de ce matériau brut dont elle s’empare un soir, « sur une impulsion, dans un état second » et écrit 25 pages de ce qu’elle sent être « un gros roman. Je m’aperçois, indépendamment de ma volonté, que je suis en train de raconter l’histoire de ma famille. En ai-je l’envie, la force, la capacité ? » La réponse est oui. Durant six mois, tout en enseignant à ses étudiants de l’université de Saint-Étienne, elle écrit en secret. Puis montre un jour son manuscrit à son mari, en lui demandant sincèrement son avis. Il n’hésite pas : il mérite d’être publié.

Pendant 22 mois, Lucette Desvignes écrit. Son sujet ? L’atelier de son grand-père maternel à Cluny, le dernier à fermer (en 1967) alors que le verre alimentaire, la tôle émaillée, l’aluminium signaient l’obsolescence de la poterie utilitaire. Son roman est celui de destins mais aussi l’acte de naissance de la société de consommation. « C’était l’époque où un tas de métiers disparaissaient, confirme Lucette Desvignes. L’atelier a survécu en convertissant sa poterie utile en objets de décoration, des fantaisies », avant de fermer à son tour.

À Apostrophes, chez Pivot…

Le manuscrit terminé, reste à trouver un éditeur : par l’intermédiaire de la Drac Lucette Desvignes déniche le sien : Alain Schrotter, à Avallon, publiera Les Noeuds d’argile, le premier tome d’une trilogie bourguignonne, Les Mains nues. « On m’a rapporté que les ouvriers typographes qui composaient l’ouvrage se racontaient les épisodes entre chaque équipe », raconte, émue, Lucette Desvignes. Le livre connaît un beau succès populaire, reçoit le prix Roland-Dorgelès et les honneurs du Monde le jour où, acculé par ses banquiers, Alain Schrotter doit liquider sa maison d’édition…

C’est grâce à Bernard Clavel que Lucette Desvignes se tournera vers Claude Durand, éditeur chez Fayard et lui proposera un autre manuscrit : Clair de nuit lui permettra de passer en 1984 dans Apostrophes, chez Bernard Pivot, onction suprême pour un écrivain à une époque où la littérature d’essence régionale n’était pas méprisée. C’est chez Mazarine, rachetée par Fayard, que Lucette Desvignes signera la suite des Mains nues : Le grain du chanvre et Le livre de Juste paraissent en 1985 et 1986, l’année où elle reçoit le prix Bourgogne pour cette trilogie bourguignonne dont les deux premiers opus ont été préfacés par Jacques Lacarrière. « Et ceci à cinquante ans passés !,s’exclame en riant Lucette Desvignes. Je n’ai pas eu à jouer de mes charmes, inexistants par ailleurs… » Manière de glisser qu’elle ne doit la reconnaissance de ses pairs qu’à son seul talent. Petit coup de griffe aux auteurs en vogue qu’elle ne manque pas d’égratigner au besoin dans son blog quotidien.

Difficile dès lors de concilier professorat et écriture : « J’ai dû apprendre à remplacer mes étudiants par un public », raconte-t-elle. Et le public la suit pour une deuxième saga, Les Mains libres (Vent debout, 1991 ; La Brise en poupe, 1993), éditée chez François Bourin, qui explore cette fois-ci la trajectoire de la famille de son mari, depuis le Luxembourg jusqu’en Amérique. Du miel pour Lucette Desvignes, car les Etats-Unis sont, avec l’écriture, son autre patrie.

En 1973, visiting professor, elle passe six mois dans l’ouest canadien et en revient éblouie. « A mon retour, j’ai cassé les pieds de mon entourage. Mon mari a promis à mes fils de me faire taire en m’emmenant en voyage aux Etats-Unis, pensant que cela me passerait. » Las ! C’est lui qui succombe à son tour aux puissants attraits de la terre des possibles. Durant des années, le couple explorera les USA, un mois par an, visitant presque tous les états… 

Et l’Amérique le lui rend bien : là-bas, depuis des années, l’oeuvre de Lucette Desvignes est fêtée, traduite, étudiée, sujet de thèses et d’une revue (Lucette Desvignes Studies), ce qui fait de la discrète et élégante dame d’une rue tout aussi discrète, sans doute ce que l’esprit bourguignon a su exporter de mieux.

L’hommage de Gérard Gautier (fondateur des éditions de l’Armançon) 

« Je rencontrai Lucette Desvignes pour la première fois chez Denoël. Son éditeur, Alain Schroeter, cherchait un co-éditeur pour la suite de Nœuds d’argile. L’entretien ne porta pas ses fruits et je ne revis Lucette qu’en 1989 au salon du livre de Dijon organisé par la Société des auteurs de Bourgogne.

Toutefois notre relation ne prit vraiment corps que lors de la publication chez BRL des Contes du vignoble. Dès lors, nous nous vîmes très souvent et, en 1999, elle me demanda si j’accepterais de publier Miel de l’aube qu’elle venait de terminer. André, son mari, organisa un déjeuner à Dijon auquel participa le docteur Curtis qui publiait aux USA une revue consacrée à l’œuvre de Lucette Desvignes, Studies on Lucette Desvignes. Il s’était chargé de la composition et de la mise en page du texte, il me restait à l’imprimer, trouver la couverture et le commercialiser. Ce fut l’un des succès de mes jeunes éditions.

La parution du Miel de l’aube consolida une amitié et une étroite collaboration dont les éditions de l’Armançon sont très fières car s’en suivirent de nombreux recueils de nouvelles, un album avec le peintre Michel Dufour, et son roman Histoire de Colombe que je considère comme l’un de ses plus beaux textes.

Quand le prix Lucette Desvignes de la nouvelle vit le jour, elle tint à ce que je fasse partie de l’aventure, tout comme nous tinrent avec Bernard Lecomte et Evelyne Philippe à ce qu’elle soit l’une des premières à adhérer au Club des écrivains de Bourgogne que nous venions de créer.   Sa présence engendrait la bonne humeur quand elle bataillait avec l’ami Pierre Fyot ou dialoguait avec Marie-Thérèse Mutin.

Oui sa joie de vivre, le plaisir des conversations rue Paul Lippe, son immense culture, sa vivacité d’esprit me manquent déjà tout comme elle manque déjà ses amis. Merci Lucette pour tout ce que vous nous avez donné et pour l’immense œuvre littéraire que vous laissez aux générations futures. »

En 2013, Dijon-Beaune Mag (l’ancien nom de DBM) consacrait quelques pages à l’écrivaine (et blogueuse !) Lucette Desvignes. © Photo d’archives Jean-Luc Petit / Dijon-Beaune-Mag n°28 (2013)