Selongey : la Cocotte-Minute SEB fête ses 70 ans !

Née il y a 70 ans dans une usine du nord de la Côte-d’Or, la Cocotte-Minute a révolutionné la cuisine. Aujourd’hui, 800 000 cocottes sont fabriquées dans l’usine SEB de Selongey chaque année. En 1996, la revue Bourgogne Magazine retraçait en détail l’histoire de cet emblème de l’industrie bourguignonne…

Cette photo, prise en 1996, rend hommage à l’inventeur de la Cocotte-Minute, Frédéric Lescure, avec la complicité de sa petite-nièce. © Jean-Luc Petit / Bourgogne Magazine

Article publié dans Bourgogne Magazine n°11, novembre-décembre 1996.

Selongey, au nord de la Côte-d’Or, aurait pu vivre une paisible vie de village. Il n’a connu dans son histoire qu’une rébellion contre les armées de Gallas, en 1638. Mais, il y a 70 ans, le 19 octobre 1953, cette commune de 2 400 habitants se réveille au son fluet d’une soupape d’autocuiseur qui va révolutionner le monde de la cuisine domestique. La fabrication de la première cocotte-minute (ce nom de marque ne sera utilisé et déposé qu’en 1978) en aluminium embouti vient d’être lancée dans les ateliers de la Société d’emboutissage de Bourgogne (SEB), sous la marque SuperCocotte. Grâce à ce panache de vapeur, Selongey, autrefois réputé pour ses tanneries, son eau-de-vie, sa ferblanterie, ses fabriques de draps et le carillon de son église, figure aussi dans les guides touristiques pour son usine de Cocotte-Minute.

Le boum d’après Papin

Avant d’être une réussite commerciale, avec environ 46 millions d’exemplaires vendus depuis 1953, la cocotte est d’abord une innovation technologique. Sa technique de fabrication par emboutissage sous presse à partir d’un cercle d’aluminium ou d’inox (appelé « flan ») lui a permis, en peu de temps, de conquérir les ménagères. Le corps d’un seul tenant, son système de fermeture par étrier et sa soupape tournante ont délivré l’autocuiseur du syndrome de la marmite « explosive » de Denis Papin.

Pourtant, le digesteur d’aliments, que l’inventeur présentait comme un appareil « à ramollir les os ou à cuire la viande » sous pression, est l’ancêtre de l’autocuiseur. Sa finalité était de mettre à la portée de tous un nouveau mode de cuisson. Celle de Frédéric Lescure, le créateur de la Cocotte-Minute SEB, est voisine. Dans les années 50, les réclames vantaient le gain de temps et d’énergie, les qualités diététiques d’une cuisson sans surveillance particulière, que procure l’ustensile. Le signal donné par la soupape, qui crachote son jet de vapeur, suffit à avertir son utilisateur affairé à une autre tâche. « Dès que la soupape de la Cocotte-Minute chuchote, réduisez le feu. Laissez cuire le temps indiqué. Puis faites tomber la pression et retirez le couvercle » : le conseil n’est pas donné par un maître queux, mais par le livre de recettes SEB, qui accompagne depuis toujours l’achat de tous les autocuiseurs. « Un an après le lancement de la Super-Cocotte, nous en avions vendu 150 000, soit 75 % du marché potentiel en France, à des prix deux fois moins chers que les autres », se souvient Emmanuel Lescure, fils de l’inventeur et PDG du groupe SEB S.A. de 1976 à 1990. Même si la gamme SEB s’est élargie à l’inox, aux cocottes de couleur et à des tailles allant de 2,7 à 12 litres, « de 1953 à 1996, rien n’a changé, si ce n’est des évolutions de détail », affirme-t-il. Ce succès correspond aussi à une évolution des moeurs qui n’a pas échappé à Frédéric Lescure, contrairement à la trentaine de ses concurrentes qui, utilisant la technique peu fiable du coulage des coques en aluminium ou en fonte, ont abandonné peu à peu la partie.

L’odyssée du petit rétameur

L’histoire de la Cocotte-Minute croise celle d’un Auvergnat. Antoine Lescure, ferblantier ambulant, né prés de Mauriac le 11 novembre 1807. Avant qu’il ne s’établisse à Selongey, où il créa. à 49 ans. une entreprise de fabrication d’articles deferblanterie, il faut l’imaginer vivant dans une roulotte, allant de village en village pour rétamer (c’est à-dire recouvrir d’étain) casseroles et chaudrons de cuivre, seaux, baquets et arrosoirs de fer blanc. Une fresque illustrant l’odyssée du rétameur de l’Auvergne à la Bourgogne a d’ailleurs été réalisée par son arriére-petite-fille, Anne Langlois, dans le hall d’entrée de l’usine, à Selongey. Mais la légende rattrape quelquefois l’histoire réelle. La sédentarisation de ce nomade ne tient pas au fait que son cheval soit mort et qu’il n’ait pas eu les moyens de repartir, comme le colporte la rumeur selongeoise, mais simplement parce qu’il devint propriétaire à Selongey, le 17 juillet 1840 (acte notarié faisant foi). Du petit atelier qui fabriqua, jusque clans les années 50, notamment à Rivière-lesFossés, en Haute-Saône, des arrosoirs et des bidons à lait, naquit en 1926 la Société d’emboutissage de Bourgogne (SEB), de l’association des trois frères Lescure, Jean. Henri et Frédéric, arrièrepetits- enfants du rétameur.

« À partir du chuchotement de la soupape… »

À la faveur du boum économique de l’après-guerre, le travail des femmes se répand, réduisant d’autant le temps passé au foyer à préparer les « bons petits plats ». Les ménagères n’ont plus l’impression d’être rivées à leur fourneau. Une cocotte permet en effet de préparer tous les mets, des entrées aux viandes, aux légumes et même aux desserts. La rustique recette de la poule au pot n’exige, par exemple, pas plus de 25 minutes de cuisson par kilo de viande. Le temps pour mijoter un bœuf bourguignon ne dépasse pas 60 minutes. Celui du pot-au-feu passe de 4h, en cuisinant à l’étouffée, à seulement 1h30 à la Cocotte-Minute. Imperturbablement, les temps de cuisson sont toujours calculés « à partir du chuchotement de la soupape ». Ce gain substantiel permet « à la cuisinière, ainsi libérée, de se consacrer à tout autre activité de son choix, bricoler, lire, se faire belle ou se promener », n’hésite pas à proclamer la notice d’utilisation SEB. Cuisiner à la Cocotte-Minute s’impose donc comme un mode de vie plus relax, consacrant la société de loisirs.

La cocotte joua également un rôle certain dans l’égalité des sexes, en incitant les hommes à être plus présents derrière les fourneaux. Il s’agit, pour Frédéric Lescure et ses deux frères associés, Jean et Henri, de conquérir un public moderne et actif. Les arguments de vente sont simples : « moindre dépense, temps gagné, meilleure cuisine ». « Il suffit de couper le gaz ou la plaque électrique 10 minutes avant la fin du temps de cuisson indiqué et de laisser mijoter tout seul pour réaliser des économies d’énergie supplémentaires », recommande de son côté Anne Langlois, sœur de Frédéric, l’une des premières à avoir expérimenté puis utilisé régulièrement la Super-Cocotte. Cependant, les habitudes culinaires d’autrefois, qui laissaient longtemps mijoter les plats sur le poêle, sont difficiles à perdre. Ne se souvient-elle pas d’avoir un jour oublié un rôti de lapin sur le feu, le temps de se rendre à la messe dominicale, et de l’avoir retrouvé tout brûlé ? L’apprentissage laborieux de la Cocotte-Minute démontrait, en ces circonstances, la rapidité de cuisson des aliments…

Un préjugé à propos des autocuiseurs, estimés dangereux, persista aussi longtemps. Quelques femmes du pays, de peur qu’un malheur « explosif » ne survienne en utilisant la Cocotte-Minute, la faisaient fonctionner dans une pièce éloignée de leur maison d’habitation. L’entretien de l’appareil est cependant plus exigeant que celui d’une simple marmite. Les joints de caoutchouc doivent, par exemple, rester parfaitement hermétiques. Pour la première utilisation d’un autocuiseur en aluminium, il contenait autrefois de faire bouillir du lait, afin d’empêcher le noircissement des parois. Aujourd’hui, le sachet de bicarbonate de soude versé dans le premier bain a le même usage.

Le chant de la cocotte

La Super-Cocotte devint vite célèbre et participa aux grands rassemblements populaires, tels que le Tour de France. « Un cocotte géante, fabriquée par un habile ouvrier de l’atelier de Rivière, fut perchée sur le toit d’une 403 qui sillonna les routes de France », se souvient Anne Langlois. Des chansonnettes furent aussi brodées, chantant naïvement sa gloire, ses infortunes passagères et ses vertus. Celle écrite par Frédéric Lescure, par exemple, déplore sur un air de l’époque que le Salon des arts ménagers de 1954 lui refuse un stand. Le refrain de sa soeur, en revanche, recommande gaiement à saint Eloi, patron des ferblantiers, « la petite chanson de la SuperCocotte SEB à Selongey ».

L’aventure de l’emboutissage des métaux avait pourtant commencé 50 ans plus tôt, en 1900, avec l’achat, par la famille Lescure, d’une presse à emboutir pour fabriquer des articles de fer blanc : chaufferettes, passoires, arrosoirs, etc. La manufacture fut successivement dirigée par Jean Lescure, puis par son fils René. La génération suivante des Lescure fut essentiellement représentée par les trois frères : Jean, Frédéric et Henri, sur une famille de 10 enfants. Leur association, fraternelle au vrai sens du terme, donna naissance, en 1926, à la Société d’emboutissage de Bourgogne, la fameuse SEB. Quant aux perfectionnements apportés, ils suivirent la croissance externe de la société selongeaise. Le rachat, par exemple, en 1968, de Tefal, inventeur du revêtement anti-adhésif, permit d’améliorer la qualité des cocottes.

Mais la nouvelle génération des autocuiseurs est de plus en plus éloignée du modèle d’origine. En 1993 est ainsi apparu, sur le marché sifflotant de la cuisine familiale, un appareil aux parois intérieures antiadhésives. La soupape tournante et le système de fermeture à étrier ont disparu. La dernière née de chez SEB est même dotée d’un hublot pour surveiller la cuisson. Autre évolution, d’ordre social celle-ci : elle s’est débarrassée du cliché de la femme au foyer préparant des bons petits plats. Elle s’est également adaptée à la société essentiellement monoparentale, avec de petits modèles pour personne seule. « La Cocotte-Minute traditionnelle reste cependant encore la plus vendue, même si une autre génération plus perfectionnée existe », explique Jean-Jacques Ligny, directeur du département autocuiseurs. L’une des raisons de cette fidélité à toute épreuve est sans aucun doute la longévité constatée de l’engin, que l’on évalue à une vingtaine d’années en moyenne. On ne change pas si facilement une cocotte qui gagne.