Acheter des pièces du domaine des Hospices de Beaune sous la halle, le troisième dimanche de novembre, est un art subtil de professionnel du vin. C’est aussi un élan du cœur, au nom de six siècles d’histoire et d’une suprême cause hospitalière. Certains acteurs en ont fait un sacerdoce. Avant la 165e édition ce dimanche 16 novembre, DBM en a sélectionné une dizaine, soit autant d’histoires à saisir au fil cette intime « descente aux enchères ». Frédéric Drouhin, représentant d’une famille cultivant 100 ans de relation avec l’institution.

L’histoire, incroyable, est connue. En juin 1944, le résistant Maurice Drouhin échappe à la Gestapo grâce à la protection des sœurs de l’Hôtel-Dieu de Beaune, qui le cachent plusieurs mois durant. En 1947, reconnaissant, il lèguera à l’institution 2,7 ha de premiers crus beaunois d’un domaine qui était alors loin d’être celui d’aujourd’hui, avec sa centaine d’hectares et son chapelet d’appellations, dont l’emblématique Beaune 1er cru Clos des Mouches.
Son petit-fils Frédéric Drouhin, le benjamin, préside le directoire au nom de ses frères et sœur Philippe, Laurent et Véronique. Inutile de faire de grandes phrases sur leur relation avec les Hospices et la Vente.
Les successeurs mettent un point d’honneur à acquérir la plupart des lots de la cuvée qui porte leur patronyme. « J’ai des souvenirs des années 80-90 en tant que spectateur, avec des présidents très impressionnants comme Rostropovitch (1984) ou Barbara Hendricks (1992). Mon père Robert levait la main pour acheter la cuvée complète, une époque où l’on donnait encore le nom de l’acquéreur. »
Puis ce fut à son tour à partir de 1997, pour vivre de l’intérieur un événement « qui place Beaune au centre du monde et met le premier coup de projecteur sur le millésime bourguignon à l’échelle de la planète. Ce qui rend les choses un peu plus bling-bling, mais avec des résultats supérieurs, à la hauteur de la qualité des vins et d’une institution à laquelle les négociants locaux sont tous très attachés ».
2023 en apportera une émouvante preuve quand la maison Drouhin s’est associée à la maison Louis Latour, avec le soutien de la FNEB (Fédération des Négociants-Éleveurs de Grande Bourgogne), pour acheter la pièce des présidents contre 810 000 euros, partagés entre les associations Princesse Margot et Vision du Monde. Un record et un geste hautement symbolique, « en hommage à Louis-Fabrice Latour, décédé deux mois auparavant, et à ma fille Romane, disparue en 2020 de la même maladie ».
Cette pièce de corton grand cru renferme donc bien plus que du vin. Après la mise en bouteille, le négociant a l’intention « d’organiser un autre événement caritatif autour de ce vin ». Patience. Et pourquoi pas en 2027, année du 80e anniversaire du leg du grand-père ? Cette année-là, sous la halle, Frédéric saura pourquoi il lève son paddle. Comme depuis (et pour) toujours, en réalité.



