Beaune : le mobilier du château de La Rochepot revit à l’hôtel Le Cep

En rachetant aux enchères plusieurs meubles du château de La Rochepot il y a deux ans, Jean-Claude Bernard a évité une dispersion trop hasardeuse d’un trésor bourguignon. À l’hôtel Le Cep, ses hôtes beaunois peuvent aujourd’hui dormir dans le lit de Sadi Carnot ou… saluer Bouddha à l’heure du petit-déjeuner !

Jean-Claude Bernard dans la salle des petits-déjeuners de l’hôtel Le Cep, avec un rarissime bouddha offert par la dernière impératrice de Chine à Sadi-Carnot. © Le Cep

En octobre 2021, le mobilier du château de La Rochepot quitte son fief à l’issue d’une vente aux enchères tenue à Beaune. Éparpillé façon puzzle. Literie, tableaux, lustres, livres et autres artefacts, tout doit disparaître. 

537 lots partent alors sous le marteau du commissaire-priseur beaunois, maître Grégoire Muon. Près de 450 000 euros au total, soit le triple des estimations, la vente fait un malheur et quelques heureux. Collectionneurs, amateurs d’art, amoureux du château, ils étaient nombreux à s’intéresser à ce joyau de la Bourgogne médiévale. La Rochepot, c’est un concentré de livre d’histoire, une saga familiale qui commence au XVe siècle avec le seigneur Régnier Pot, puissant conseiller à la cour des ducs de Bourgogne ayant donné son nom au château de La Roche-Nolay.

Un véritable roman national, avec ensuite la famille Carnot comme propriétaire durant plus de 120 ans, après que Cécile Carnot, l’épouse du président de la IIIe République Sadi Carnot (1887-1894), a légué les ruines à son fils, le colonel Lazare-Hippolyte-Sadi Carnot, lequel redonna au château tout son lustre après trente années de travaux monumentaux.

Un bouddha au petit-déjeuner

Beaunois de souche et amoureux de patrimoine, Jean-Claude Bernard a les yeux de Chimène pour La Rochepot. Le sort du château touche au plus haut point le propriétaire de l’hôtel Le Cep, qui ne peut s’empêcher de faire le lien avec la passionnante histoire de son propre établissement, dans le centre historique de Beaune, où le client est roi (Louis XIV en l’occurence) depuis plusieurs siècles. Au fil de cette vente tenue dans un contexte particulièrement sensible (lire encadré en fin d’article), l’hôtelier a engagé son cœur et un peu de son porte-monnaie pour que l’histoire de La Rochepot ne s’envole pas trop loin hors de la Bourgogne. Dans la salle des ventes improvisée au sein des Ateliers du Cinéma, toute la journée, il a bataillé pour plusieurs lots.

Sa pièce maitresse est pour le moins improbable. Le Beaunois a payé le prix fort pour un bouddha en bois sculpté et doré, issu de la chambre chinoise de La Rochepot. Un cadeau de la dernière impératrice de Chine, Tseu-Hi, au président Carnot, alors ministre des Travaux publics. Non classé, l’objet avait de fortes chances de quitter la France. Jean-Claude Bernard en a décidé autrement. Cette chambre impériale fascinait déjà le tout jeune lecteur du Club des cinq qu’il était. 

« Elle me paraissait tellement mystérieuse… Nous étions deux à batailler pour ce bouddha. Résultat des courses, il trône dans la salle du petit-déjeuner, aux yeux de tous », apprécie l’acheteur, heureux de donner une nouvelle vie à ce totem d’une autre époque.

Les lits des Carnot

L’histoire ne s’arrête pas là. Un hôtel a besoin de lits. La suite n°150 profite ainsi de deux magnifiques lits jumeaux des filles de Sadi Carnot fils. Leur style Art nouveau, tout aussi étonnant pour un château néogothique, porte la signature d’un précurseur en la matière, l’ébéniste et dessinateur Louis Majorelle. « Le colonel Sadi Carnot voulait faire vivre ses enfants dans un décor résolument contemporain, pour qu’ils soient imprégnés d’idées nouvelles », commente Jean-Claude Bernard, qui a également fait l’acquisition du lit de Sadi Carnot pour l’installer dans la n°251 et offrir le droit à son locataire de faire de beaux rêves dans un monument historique. Fidèle à sa tradition hospitalière, Le Cep est allé au bout du détail en faisant broder le linge de lit avec l’armoirie du chevalier Régnier Pot, comme un juste retour des choses.

Et que dire de ce lustre monumental, passé de la salle à manger du château à la n°351, au troisième étage de l’hôtel ? « Ces témoins de La Rochepot sont visibles de tous, clients ou non, et nous expliquons volontiers leur histoire. Nos portes sont ouvertes au même titre que nous ouvrons à la visite nos cours du XVIe siècle, en lien avec l’office de tourisme », assure le patron du Cep, conscient que l’établissement de la rue Maufoux a désormais un supplément d’âme. Il fait le lien entre les siècles, les cultures et les hommes. Rien de plus normal pour un lieu dédié à l’accueil, finalement, car « un patrimoine, ça se partage. » Et cela oblige. Puisse le repreneur de La Rochepot, après quelques années de procédures judiciaires, y penser.

La Rochepot : une vente aux histoires multiples

Localement, la vente du mobilier de La Rochepot fut vécue comme un nouvel échec, après le fiasco du repreneur ukrainien du château en 2015. Accusé de fraude internationale et de blanchiment, Dmitri Malinovsky, dont le procès en appel se tiendra en mars prochain, aura trainé aux oubliettes un château aimé de ses habitants et dont les 25 000 visiteurs annuels profitaient directement à l’économie locale. Rejointe par une poignée d’élus, l’association des Amis de La Rochepot était montée au créneau pour contester la vente aux enchères. En vain.

Certains objets sont toutefois restés dans la région. Outre les acquisitions de Jean-Claude Bernard, la paroisse de Nolay a racheté 5 000 euros une statue de la Vierge à l’enfant grâce à une cagnotte solidaire. Un acheteur anonyme ayant acquis 2 700 euros un tableau figurant les cuisines des Hospices de Beaune l’a cédé gratuitement à l’institution. Le ministère de la Culture a préempté plusieurs objets classés. Quelques lots ont trouvé des destinations sensées, comme le château de La Prune-au-Pot (Indre), lui aussi fief de la famille Pot et appartenant aujourd’hui au commissaire-priseur Claude Aguttes. De son côté, Siegfried Boulard-Gervaise, en charge du château d’Ormesson (Val-de-Marne) avait émis une proposition de reprise globale au liquidateur – refusée – et n’avait pas caché son envie de racheter le château. Il s’est porté acquéreur de plusieurs pièces au cours de la vente dans l’espoir de les voir, un jour peut-être, revenir à domicile.